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Retour d’expérience sur le projet Isopolis

LIBRE EXPRESSION

Partage intime de mon vécu traumatique, peut-être un peu trop critique, de mon expérience au sein du projet d’expérimentation sociétale Isopolis.

Aujourd’hui, cela fait plus d’1 an que le projet Isopolis a pris fin. Plus qu’un projet, ceux qui me connaissent le savent, c’était pour moi une mission de vie. Un engagement sans failles durant 8 années dont 5 bénévoles. Forte de mes convictions, j’y ai laissé beaucoup d’énergie, j’ai usé ma santé, j’ai pris sur le temps de ma famille, sur celui de mon temps de mère d’un enfant singulier, pour pouvoir aller au bout de ce qui me semblait être une voie pertinente et presque obligatoire pour accompagner notre belle mais dépendante île dans sa résilience au profit du bonheur de sa population !

Oui, je le reconnais, le projet a rencontré beaucoup de freins, arrivé en fin de programmation européenne. Nous n’avons eu que très peu de temps : 20 mois au lieu de 3 ans pour amorcer une démarche de transition sans le soutien institutionnel qui aurait aidé à légitimer le rôle de facilitation que nous souhaitions prendre. Le bilan d’évaluation vous donnera son point de vue franc et expert de manière différente la mienne (dans les ressources sur isopolis.re.) https://www.isopolis.re/…/Evaluation%20finale%20du…

Deux plus-values, mais aussi deux “faiblesses” au regard du recul que j’ai maintenant, car la démarche que nous lancions était de nature institutionnelle, nous n’étions qu’une force instituante non connue, si ce n’est de manière trop souvent critiquée : nous étions des bobos, des utopistes, des rêveurs déconnectés des rouages institutionnels déjà bien huilés…

Côté recherche, cela a été également compliqué bien que la délégation locale de l’IRD a été extrêmement soutenante… Nous n’étions pas des chercheurs et nous étions finalement peu familiers du monde scientifique autant que les chercheurs pouvaient l’être par rapport au terrain que je pourrais qualifier de militant ! Ce fut une alliance douloureuse, car nos temporalités et nos connaissances mutuelles étaient complexes à gérer au quotidien… Nous avons tout de même rencontré des chercheurs locaux plus qu’engagés… Car ils étaient eux même d’une certaine manière militants !

Une initiative de transition, c’est au moins 10 à 20 ans… Alors 20 mois, dont 1 seul pour recruter 10 personnes dont des profils très techniques comme l’évaluateur de politiques publiques que nous n’avons pas pu recruter faute de candidatures alors qu’il était le garant du cadre méthodologique du projet centré sur l’expérimentation de solutions comme levier de transition.

À partir de là, il était devenu compliqué d’œuvrer correctement, le temps jouant contre nous. Avec ce délai de recrutement très serré, où en plus de l’évaluateur, nous avons perdu plusieurs mois pour recruter les postes de l’équipe de coordination, nous avons commencé le projet en temps de Covid, et cela, sans internet vu que le propriétaire du lieu ne nous a pas équipé alors que c’était prévu dans le contrat que ça le soit.

Nous avons alors décidé d’axer le projet davantage sur l’animation de la gouvernance, ce qui fut rude parce que nous n’étions pas formés à cela. Nous avions un facilitateur compétent dans la facilitation, mais il n’était pas sur place ce qui a sans doute nui à l’adaptation à la dynamique du collectif très hétérogène. Gérer les décalages du niveau d’information entre les personnes à mesure que nous avancions était un vrai enjeu, car nous avions rarement les mêmes personnes aux ateliers (sauf un noyau que je remercie encore) sans doute aux trop nombreux rendez-vous que nous proposions.

6 mois après notre démarrage, nous avons pu recruter en prestation le cabinet Quadrant, au titre de l’évaluation et nous avons été soutenus. Rares experts en évaluation des projets de transition, l’évaluateur m’a beaucoup aidée à relativiser en mettant en évidence ce qu’est une infinitive de transition.

En interne, dans l’équipe, j’ai appris contre ma volonté que driver des faiseurs de changement, c’était comme essayer de discipliner des mustangs, ça a été sans doute l’expérience la plus douloureuse, je pensais sincèrement que mettre des faiseurs de changement ensemble suffirait pour dépoter, car l’équipe recrutée était de grande qualité ! Mais comme tout le monde, nous avons nos propres casseroles… Je pense que les faiseurs de changement sont des atypiques en termes de singularités cognitives, émotionnelles et perceptives… Singularités souvent vécues consciemment ou inconsciemment comme une forme de marginalisation par l’entourage et la société… Là aussi il faudra apprendre à mettre un cadre, souple, mais un cadre quand même et apprendre à gérer notre rapport au cadre et à l’autorité, institutionnelle notamment !

En parallèle, histoire de rendre le contexte un peu plus adversif :

Nous avions passé 6 années à convaincre de manière laborieuse la mandature de Didier Robert tout en revendiquant le caractère apartisan, ou devrais-je dire, transpartisan de notre démarche. Malheureusement, nous démarrions le projet en juin 2021 sous les hospices d’une nouvelle mandature qui nous l’espérions vraiment nous soutiendrait. Mais la politique étant ce qu’elle est nous avons été qualifiés par les élus au pouvoir “d’association de Didier Robert” et de “mangeurs de subvention” lors d’une réunion rocambolesque où l’on nous a fait comprendre que nous devions être des partisans de Didier Robert qui ont profité des fonds publics et d’un lieu par échange de faveurs politiciennes…. Cela n’a jamais été le cas et nous espérions que notre insistance à nous démarquer de la politique politicienne nous protégerait de ces sordides conséquences. Certains élus nous ont tout même écoutés, peut-être pas entendus.

Attention je ne veux pas dire que la responsabilité des grandes difficultés que l’on a rencontrés était uniquement dues au changement de politique, loin de là !

Je vous laisse imaginer mes propres remises en question….c’était un très gros budget quand même ! Je me dis que c’était voué à l’échec et que je n’aurais pas dû déclencher le projet dans ces temporalités… mais après 8 ans d’engagement presque obsessionnel je n’ai pas réussi à ne pas le tenter.

Nous avons beaucoup cravaché, le rapport d’activité disponible sur notre site isopolis peut en témoigner (pas assez digeste je m’en excuse d’avance) mais la n’est pas mon propos, ce que ne livre ici est mon vécu experienciel. https://www.isopolis.re/…/Bilan%20d’activit%C3%A9…

À ce jour, je suis blacklistée par certains institutionnels…. Je dois représenter quelque chose qui menace et au vu de ce que cela m’a coûté et aussi à la société je me pose beaucoup de questions… Je porte en moi une grande culpabilité de ce que je qualifierais d’échec au vu des résultats que je visais qui ne se sont pas manifestés comme je l’avais envisagé… Mes amis et thérapeutes me disent que je suis trop dure avec moi-même, mais je n’arrive pas à faire autrement… Je suis lentement la courbe du deuil… En effet, j’ai fait un burn-out après la fin du projet et j’ai encore du mal à m’en remettre… Comme si je me disais dans mon for intérieur que toutes ces grandes gens ont raison à mon propos, je n’aurais jamais dû lancer une telle démarche ! Et en même temps s’est fait !

Je n’ai pas encore résolu la question… Peut-être ont ils raison et en même temps, on dit qu’il vaut mieux essayer plutôt que de ne rien faire… J’avoue être dans le doute !

Résilience dirait le projet Isopolis… J’espère pouvoir bientôt vous partager mes apprentissages car il y en a eu et il y en a encore plein… Le temps sans doute.

À suivre

Merci de votre lecture

Jaëla Devakarne

A propos de l'auteur

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