Commémoration de la révolte des esclaves de Saint-Leu au parc du 20 décembre les 5 et 6 novembre 2022. (Photo JSG)

[Lutte] « Plus important que le 20 décembre »

COMMEMORATION DE LA REVOLTE DE SAINT-LEU LE 5 ET 6 NOVEMBRE

Quelques centaines de personnes se sont croisées au cours du week-end du 5 et 6 novembre 2022 au parc du 20 décembre à Saint-Leu. L’objet : commémorer la révolte de 1811, la plus importante et la plus marquante, où des esclaves ont tenté de s’opposer au régime autoritaire en place.

« La révolte de Saint-Leu, c’est pas le maître qui a décidé l’histoire. Ce sont les Réunionnais qui ont été sujets de cette histoire, qui ont décidé. » Alex Mithra, septuagénaire, est passionné par l’histoire de la révolte et des marrons. « Le 5 novembre, c’est une date qui a plus d’importance que le 20 décembre. Pour le 20 décembre, ce sont les usiniers qui ont décidé d’attendre la fin de la coupe. Ce sont les descendants de maîtres qui ont contrôlé l’histoire de ce jour-là. Tandis que le 5 novembre, c’est 51% d’Africains, des malgaches, des créoles et puis tous les autres aussi – ce n’est pas ethnique. »

Inspiration Ravine du Trou

La révolte des esclaves de Saint-Leu prend forme à la ravine du Trou, où ils se retrouvent pour aller chercher l’eau. C’est là que les plans s’échafaudent, que les esclaves s’organisent. Les événements se déroulent entre le 5 et le 11 novembre, avec le concours de plusieurs dizaines de personnes. La révolte intervient à une période où l’Angleterre a remis la main sur la Réunion, chassant les Français en 1809. Et alors que la situation s’est encore durcie entre maîtres et esclaves après de forts cyclones et l’effondrement de l’industrie du café. La révolte est sévèrement sanctionnée. En avril 1812, 30 personnes qui y ont participé sont condamnées à mort et décapitées sur la place publique pour servir d’exemple.

Samedi 5 et dimanche 6 novembre, le Komité Eli organise une série d’événements pour commémorer la révolte. Le film réalisé en 2012 « Elie ou les forges de la liberté » est projeté, des concerts sont organisés sur la scène aménagée pour l’occasion dans le parc du 20 décembre à Saint-Leu. Sobatkoz, hommage aux esclaves et repas-partage sont aussi au programme. Les familles se mêlent aux militants culturels et aux promeneurs du dimanche.

Plante la liberté

« Bann zesclave la révolte 1811, zot la parti plant la liberté dann la ravine piton sin leu », raconte Eno Zangoun, musicien et militant, qui faisait partie du komité Eli à ses débuts. « In parti listwar la Rényon té kashièt, té i koné pa. Nou la komans batay ek bann zinstitusyon pou fé konèt listwar la, mèt ali en lumièr. Nou la fé in film, « Elie et les forges de la liberté », nou la giny fé kado domoun, mont listwar lé inportan. Fo li giny rant dann lékol, dann la kaz domoun. Zordi nou komémor, fo pa nou lès tombé. »

Eno Zangoun a découvert la révolte des esclaves de Saint-Leu à travers les rencontres qu’il a faites lui-même une fois adulte. « Ma découv listwar la dann somin, dann kabar, dann konférans, dann zafèr maron. Nou la komans vréman fé konèt ali en 1998. Ziska arrivé en 2012 desi in gro manifestasyon, le film é in gro kabar èk 3000 – 4000 personnes. Fo nou tir la onte, fo nou tir la pèr, sa lé nout listwar. »

« Rétention du savoir »

« Après l’année Elie en 2001, il y a eu un colloque d’historiens qui ont reconnu que c’était une date historique très importante pour la Réunion », se souvient Alex Mithra. « J’ai entendu les témoignages de gens dont des parents ont vécu les événements. Et ils portent encore ça en eux. Beaucoup plus de Réunionnais ont été concernés par cette histoire qu’on ne le croit. Beaucoup de choses ne sont pas claires. On doit porter la fierté à ces Réunionnais qui ont donné leur vie. C’est très important. »

Le vieil homme poursuit avec verve. « Il y a un livre de Sudel Fuma qui raconte la révolte, « Le soulèvement des oreilles coupées ». Le livre n’est plus disponible. Je ne comprends pas cette rétention du savoir. On a besoin de connaître la vérité. »

A travers le souvenir de la révolte de Saint-Leu, c’est aussi la mise en lumière de figures inspirantes. L’événement invoque l’imaginaire autour de la figure de ceux qui se sont soulevés pour s’émanciper, reprendre leur pouvoir. « Nou na in ta bann éro komsa », poursuit Eno Zangoun. « Na Mafate, na Cimendef… Lavé dot révolte avan. La révolte la lété in pé pli kosto, la rasanm in pé pli domoun, la tié dé trwa mèt. Bann maron la donne anou nout fors zordi. Sé la fors nout tout sa. »

Traumatismes de l’esclavage

Sous son barnum, Passi Flora, artiste et chanteuse, membre du Komité Eli, replace un haut aux couleurs vives sur son ceintre. Elle a cousu les vêtements elle-même, à partir de tissus en provenance du Burkina Faso ou de la Côte d’Ivoire. « Je fais passer mon message par la musique et l’artisanat. Je suis dans la conscience militante panafricaine, je tiens à représenter la femme africaine pour que nos enfants demain sachent d’où l’on vient et où l’on va. On a des ancêtres qui ont dû passer par cette révolte des esclaves, on est des descendants aussi, on doit relever le défi. Pas que dans le mode esclavage, mais dans la fierté de notre africanité. Parce que l’Afrique c’est une richesse, et on doit continuer à la mettre en valeur. Il faut arrêter de la bafouer. Maintenant on veut valoriser tout ça.

« Aujourd’hui on est au début du réveil », lance Alex Mithra. « A la Réunion, on a peur de soi-même. Les traumatismes de l’esclavage nous ont éloigné de la confiance en nous. Il faut la réhabiliter. Le 5 novembre est une source de fierté pour nous. »

Jéromine Santo-Gammaire

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.