L'historienne Sahara Cassim avec son nouvel ouvrage Zarabs & Karanes.

Sahara Cassim met en lumière l’histoire des Gujaratis à La Réunion

Le samedi 29 mars, lors du festival Lève l’ancre Lèv Lank, Sahara Cassim, historienne spécialiste des composantes gujaraties de La Réunion, a présenté son nouvel ouvrage intitulé Zarabs & Karanes, histoire du peuplement des Gujaratis de La Réunion. Ce livre lève le voile sur  l’histoire méconnue de cette communauté emblématique de l’île.

Un véritable travail d’archives

Loin d’être un simple catalogue d’exposition, ce livre de 250 pages est devenu un véritable témoignage historique. Il réunit textes, témoignages et photos d’archives, retraçant le parcours des Gujaratis depuis les côtes indiennes jusqu’à La Réunion, en passant par Zanzibar et Madagascar.

« Le travail s’est étalé sur sept ans, car il a fallu retrouver des archives datant du XIXᵉ siècle et traduire de nombreux documents de l’anglais au français », explique l’autrice.

Une des difficultés majeures fut de convaincre les familles gujaraties de partager leurs archives photographiques, une réticence due à leur confession musulmane, peu favorable à l’utilisation de l’image. L’historienne a pu compter sur l’aide du docteur Ismaël Daoudjee, médecin généraliste à Saint-Pierre pendant trente ans, pour créer un climat de confiance avec ces familles.

« Son lien avec de nombreuses familles et son propre travail sur la communauté gujaratie nous ont ouvert de nombreuses portes », souligne Sahara Cassim. 

Rencontre avec Obeida Mogalia à Saint-Pierre.
Rencontre avec Obeida Mogalia à Saint-Pierre. © Sahara Cassim
Rencontre avec Soraya Goolbaye à Saint-Paul.
Rencontre avec Soraya Goolbaye à Saint-Paul. © Sahara Cassim
Chez la famille Omarjee-Ummer St Denis
Chez la famille Omarjee-Ummer St Denis. © Sahara Cassim

Rendre l’histoire accessible à tous

Plus qu’un simple ouvrage historique, Zarabs & Karanes a été conçu pour être accessible à tous, quel que soit le niveau de connaissance du lecteur.

« En tant que chercheur, il est important de vulgariser les travaux produits afin de les rendre accessibles au plus grand nombre », explique l’historienne. Issue d’une formation de guide-interprète touristique, elle a su trouver un équilibre entre rigueur historique et vulgarisation.

L’ouvrage, soigneusement mis en page par Emmanuel Kamboo, offre une lecture fluide, alternant textes et images pour permettre à chacun de s’approprier cette histoire.

Un livre nécessaire

Sans adopter de position militante, Zarabs & Karanes rappelle le rôle essentiel de la communauté gujaratie dans la construction de La Réunion. Il met en évidence les discriminations qu’elle a subies au XXᵉ siècle, notamment en raison de son essor économique, perçu comme une menace par le pouvoir colonial.

« Aujourd’hui, les Gujaratis vivent en parfaite harmonie avec les autres cultures de l’île, mais cela n’a pas toujours été le cas. Il est important de rappeler que le pouvoir colonial les a longtemps marginalisés », souligne Sahara Cassim. L’historienne mentionne par exemple la manifestation du 29 novembre 1915 à Saint-Joseph lors de laquelle deux commerces Gujaratis sont pillés après de larges campagnes xénophobes relayées par des journaux locaux, La Bataille Sociale et La Patrie Créole.1

Dans un contexte où l’islam est souvent sujet à débats en France, l’ouvrage offre une perspective historique sur son enracinement à La Réunion. On y découvre notamment l’histoire de la plus vieille mosquée de France, construite en 1905 à Saint-Denis.

« J’évoque aussi dans le livre la cohabitation harmonieuse entre les musulmans sunnites (Zarabs) et chiites (Karanes), un phénomène rare ailleurs, mais qui s’explique par leur culture du compromis, propre aux familles commerçantes », conclut l’autrice.  

Une communauté gujaratie tournée vers l’avenir

Les Gujaratis, historiquement commerçants, conservent cette activité comme coeur de leur communauté et ont profité de la départementalisation en 1946 qui apporte avec elle de nombreuses opportunités économiques. Pourtant, on observe une évolution des moeurs avec de plus en plus de jeunes gujaratis qui choisissent de s’expatrier pour aller faire des études supérieures. Un changement qui impacte les structures familiales ainsi que la transmission.

Si la communauté s’organise autour du père, la communauté « va rapidement adhérer aux concepts modernes autour de l’émancipation féminine. »2 D’ailleurs, toute une partie est dédiée à la fin de l’ouvrage aux témoignages de femmes gujaraties. « Un chapitre nécessaire » pour l’historienne qui s’intéresse beaucoup dans ses recherches à la place de la femme dans la communauté.

Par cet ouvrage, Sahara Cassim réussit à faire revivre une part méconnue de l’histoire réunionnaise, rendant hommage à une communauté qui a su s’intégrer tout en préservant son identité.

Olivier Ceccaldi

  1. Zarabs & Karanes, Une histoire du peuplement gujarati de La Réunion de 1860 à 1980 – Editions Epsilon p.67 ↩︎
  2. Ibid, p.242 ↩︎

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