Guy Huet agriculteur bio

Sécurité et qualité alimentaires durables : la priorité des priorités

[LIBRE EXPRESSION]

Le BIO sans le LOCAL est une aberration, car les aliments bio peuvent circuler, parfois en camions et/ou conteneurs réfrigérés, sur des milliers de kilomètres (12 500 km en moyenne selon l’ADEME) au détriment de l’empreinte carbone, de leur fraîcheur, et parfois avec des garanties très douteuses… De plus ce « bio » délocalise le travail et donc importe du chômage (dont le taux général est de 18-20% pour les adultes et de 30-40% pour les jeunes, avec 40% de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté).

Le LOCAL sans le BIO est une spoliation, car tout le monde veut et a droit à une « alimentation saine » à un prix très accessible sans léser les agriculteurs, ce qui est largement possible en supprimant progressivement le « coût caché » de l’agriculture pétrochimique – grâce à l’effet de masse du changement de modèle agricole.

Selon l’étude de Michel DURU, membre du comité scientifique d’OASIS RÉUNION, directeur de recherche à l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), ce « coût caché » peut atteindre 1€ pour 1€ d’aliment acheté, ce qui est colossal !

Le LOCAL & BIO est donc idéal et primordial car vital. Ce n’est – hélas – pas encore le langage des tenants de l’agriculture, qui sont pourtant en charge aussi du développement de l’AB (agriculture biologique), ce qui peut paraître très contradictoire avec un maintien simultané et quasi schizophrénique du modèle agro-pétro-chimique. Il nous faut les convaincre, nous les citoyens consommateurs, d’aller plus loin et plus vite « ici et maintenant » dans le respect du « zéro polluant agricole » de la Trajectoire outre-mer 5.0 adoptée par le gouvernement français en avril 2019.

Il faut cependant reconnaître qu’une prise de conscience générale est en train de s’opérer sur l’île, et que le Conseil départemental (comme le conseil régional d’ailleurs) semble s’en préoccuper de plus en plus fortement.

Pour y parvenir, comme le souhaitent les 40 institutionnels du « consensus territorial réunionnais » (voir le document en page 5) il y a 3 nécessités :

Trois nécessités

1re nécessité : préciser systématiquement et partout quel est le véritable taux de dépendance de l’île aux importations alimentaires :

► Il est de 75 à 80% (77% selon une étude récente de l’ADEME) voire de 99% globalement, contrairement à ce que pourrait laisser croire, à l’inverse, le chiffre de 70% d’autosuffisance avancé par certains organismes publics, qui ne correspond de fait qu’au taux de couverture des « produits frais », or les produits frais ne représentent qu’environ 20 à 25% de la nourriture globale consommée sur l’île.

Le système agroalimentaire réunionnais est un colosse (avec environ 600 000 tonnes de nourriture – 700 000 selon l’ADEME – consommées chaque année par les 860 000 habitants de l’ile) au pied d’argile (avec seulement 4 à 8 semaines de réserves en auto-suffisance dans les dépôts).

► Il fait planer sur nos têtes à tout moment, compte tenu du contexte de rupture et de surenchère énergétique mondial, une épée de Damoclès par le risque de rupture de l’importation des 75-80% de notre nourriture et aussi de rupture de la production locale des 20-25% restants (dépendant eux aussi des importations, ce qui porte le taux de dépendance globale de 75-80% à 99%).

IMPORTANT – Cette 1re nécessité est DÉTERMINANTE car c’est à partir de cette information très méconnue (voire dissimulée par certains qui en profitent scandaleusement) du taux global de 99% de dépendance – que seul OASIS RÉUNION communique publiquement – qu’il peut se produire une vraie prise de conscience de la situation d’insécurité alimentaire totale à La Réunion. L’évocation des chiffres de la balance extérieure de l’île pour 2020 est saisissante de cette catastrophique réalité :

Exportations 286 Millions d’euros / Importations 5,3 milliards d’euros.

Question N°1 : Serait-il raisonnable et responsable de laisser perdurer plus longtemps une telle RÉALITÉ ?

2e nécessité : viser tous ensemble la solution de l’AAAD, Autonomie-Autosuffisance Alimentaire qui ne peut être que Durable (3AD) (elle est possible partiellement ou totalement selon l’étude de Gilles BILLEN, directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), membre du comité scientifique d’OASIS RÉUNION, mais moyennant l’activation de 5 leviers à retrouver plus bas),

• non plus avec l’agro-pétro-chimie, cercle destructeur, polluant et ruineux,

• mais avec l’agro-bio-écologie, cercle vertueux, valorisant, émancipateur, et en même temps, vecteur de bonne santé et de fort développement socioéconomique incluant la création de très nombreux emplois à HVE (haute valeur environnementale) et HVH (haute valeur humaine).

Question N°2 : Pourquoi OASIS RÉUNION a-t-il décidé de mettre côte à côte les deux mots Autonomie et Autosuffisance qui sont habituellement utilisés l’un ou l’autre comme s’ils étaient synonymes ? Car les deux sont en réalité complémentaires, ils recouvrent à eux deux : « la sécurité, la quantité, et la qualité alimentaires durables » qu’il nous faut viser sur l’île en toute cohérence et en toute responsabilité, le plus rapidement possible.

EXPLICATIONS :

L’Autosuffisance Alimentaire pourrait s’envisager en forçant la production de cultures vivrières sur l’île avec le modèle agro-pétro-chimique actuel. MAIS pour autant nous n’aurions pas garanti à la population l’Autonomie Alimentaire qui ne peut pas se faire avec le modèle agro-pétro-chimique car celui-ci dépend entièrement des importations pour ses fertilisants, ses traitements, ses semences, la nourriture du bétail (qui de surcroît, contient du maïs et du soja OGM), … et même pour les poussins !

Il est donc absolument nécessaire de passer à l’AGRO-BIO-ÉCOLOGIE, méthode agricole qui respecte le « vivant » sans utiliser aucun produit pétro-chimique de synthèse, qui est, de plus, un cercle vertueux et bénéfique pour La Réunion aussi sur de nombreux plans tels que la santé, la biodiversité, l’emploi, etc.

Et ce, le plus rapidement possible, compte tenu de l’explosion inflationniste à 2 chiffres des prix de l’agro-alimentaire au niveau mondial. Cette crise géopolitique n’exclut pas une « guerre énergétique et alimentaire ».

N.B. Le concept global « autonomie – autosuffisance alimentaire durable peut se retrouver dans le concept « souveraineté alimentaire durable » s’il est correctement défini selon La Via Campesina https://viacampasina.org

3e nécessité : créer une représentation très forte (avec voix décisionnelle) des citoyens réunionnais loco-bio-consom-acteurs dans toutes les instances des pouvoirs publics en charge d’Agriculture et d’Alimentation, au travers d’un collectif associatif Loi 1901 éventuellement sous forme coopérative. Ce dont l’association Bio Consomacteurs Réunion est en train de se préoccuper concrètement.

Cinq leviers

Pour atteindre l’Autonomie-Autosuffisance Alimentaire Durable (AAAD), voici les 5 leviers mis en évidence par l’étude d’OASIS RÉUNION et l’étude des 2 scientifiques Gilles BILLEN et Josette GARNIER (directeurs de recherche CNRS venus faire un voyage d’étude à La Réunion en juin 2022 pour vérifier sur place certaines données auprès de nombreux acteurs réunionnais :

1er levier : la mobilisation d’un nombre d’hectares minimum de la SAU (surface agricole utilisée) nécessaire pour atteindre l’objectif de chacun des 3 scénarios prospectifs, incluant une valorisation et une diversification des espaces plantés actuellement en canne selon un choix qui devra se faire collectivement et selon des modalités d’accompagnement technique, financier et économique, fiables et appropriées.

2e levier : le changement de modèle agricole : de l’agro-pétro-chimie vers l’agro-bio-écologie (sinon pas d’autonomie possible). Car il ne faut plus que l’agriculture choisie dépende des importations. Sinon ce serait « reculer pour mieux sauter » !

3e levier : la mobilisation d’engrais azotés organiques par la polyculture, la récupération des déjections animales et humaines avec certaines précautions sanitaires (pratique des toilettes sèches), le compostage systématique de tous les déchets organiques, et la mise en place de rotations de cultures incluant des engrais verts (association légumineuses et graminées) dont pois, haricots, lentilles, etc. très riches en azote d’origine atmosphérique.

4e levier : La réduction drastique du gaspillage alimentaire qui est, du champ à l’assiette, d’environ 30% (voire 40-50% en restauration collective scolaire), et aussi du volume de consommation alimentaire sur l’île qui correspond à plus de 3 000 calories par personne, pour revenir, selon certains critères, à 1 800 / 2 200 calories recommandées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé).

5e levier : La réduction de moitié du taux de « protéines animales » dans l’alimentation (actuellement de 60%) à 30% (moyenne recommandée par l’OMS) avec 70% de « protéines végétales », ce qui était l’équilibre alimentaire réunionnais il y a encore quelques décennies à l’époque de la vie rurale et des jardins créoles un peu partout, avant l’exode accéléré vers les villes.

Il ne s’agira pas – si on s’y prend dès maintenant – d’une « révolution » brutale mais d’une « ré-évolution » progressive et incitative dans la bonne direction, au bénéfice de tout le monde, via l’élaboration et la mise en œuvre, de façon authentiquement collective, du Plan stratégique global (PSG) proposé par OASIS RÉUNION, qui devra répondre aux impératifs d’urgence, d’intensité, et d’échelle, appropriés aux enjeux agro-alimentaires de l’île dont le caractère vital désormais incontournable.

Oasis Réunion

Voir aussi « Oasis Réunion » écrit à Carendo (https://parallelesud.com/autonomie-alimentaire-oasis-reunion-ecrit-a-carenco/)

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