Histoire de La Réunion de Paul Hermann

Toush pa mon zistwar

LIBRE EXPRESSION

La polémique créée par l’œuvre de Méo a été déclenchée par l’une des inscriptions présentes sur un détail de la fresque de l’artiste. Mais on n’a pas été suffisamment attentif, me semble-t-il, au fait que les deux autres n’ont fait l’objet d’aucune réaction négative, ni positive d’ailleurs. 

Ainsi Mon péi bato fou, énoncé issu des paroles d’une chanson engagée de Ziskakan, n’a suscité aucune passion. Le vavangaz politique dénoncé dans la chanson serait-il devenu un fait qu’on ne questionne plus ? L’interrogation « Ousa banna i ral anou ? » serait-elle devenue inactuelle ? Elle est pourtant répétée à l’envi, sans trouver de réponse. Elle s’inscrit, en ce sens, dans ce que l’historien américain Timothy Snyder appelle « politique d’éternité ». Il s’agit d’une expérience du temps plaçant une nation au centre d’une histoire cyclique de victimisation : Banna (l’ennemi) i ral é i ralra  anou (victimes) touzour ousa zot i vé. Et la politique d’éternité répand l’idée qu’il n’y a rien à faire. Quoi que l’on fasse Banna va ral anou dans le malheur, bien sûr. Et les politiciens de l’éternité pour masquer leur incompétence souscrivent à cette fable. 

Venons-en à la deuxième inscription « Kréol mon lang ». Étonnamment, elle n’a fait l’objet d’aucun rejet. Il ne s’est trouvé personne, cette fois-ci, pour contester l’équivalence entre kréol et lang. C’est là le signe, je veux le croire, d’un progrès des mentalités concernant la question linguistique. Le créole réunionnais semble avoir conquis définitivement (quel optimisme !) son statut de langue. Une langue capable d’exprimer des subtilités, qu’il nous arrive de ne pas percevoir.

En effet, si nous prenons à la lettre l’inscription incriminée, nous lisons Zistwar la Rényon, énoncé qu’on a voulu monnayer en français par L’Histoire de La Réunion. Or dans le carreau de sens du mot « zistwar », tel qu’il est présenté dans le « Petit dictionnaire Créole réunionnais/ français » de D. Baggioni (1987) et la 2ème édition du « Dictionnaire Kréol/français » d’A. Armand (2014), on prélève les significations suivantes : .1. « Truc, machin » .2. « Affaires » .3. « Histoire, récit, conte ». On pensera aussi au fameux « Touche pas mon z’histoire » de Maxime Laope qui enrichit le champ sémantique du mot en question en l’étendant aux parties intimes. Ainsi, si l’on veut respecter la logique lexicographique, il faudrait traduire par (les) histoire de La Réunion en actualisant la 3ème série de sens, et non par l’Histoire de La Réunion. Pour être tout à fait complet, notons que le dictionnaire d’Armand offre une autre entrée : Zistoir ou Listoir pour signifier « histoire » au sens de connaissance du passé. Mais il utilise, conformément à l’usage, le 1er mot dans l’exemple proposé : « Listoir la Frans ».  Cela m’amène à penser que la polémique aurait été évitée si on avait pris à la lettre le mot incriminé.

Mais c’était sans compter avec l’idéologie ki koné pa lir et s’est empressée de substituer une lettre (L) à l’autre (Z) et de transformer des histoires inoffensives (croit-on) et rassembleuses en histoire subversive et séparatrice. 

Mais si on persiste à traduire Zistwar La Rényon par l’Histoire de La Réunion, il faut se souvenir que le premier manuel scolaire de la Réunion, « Notice historique géographique et religieux de l’Île Bourbon ou de la Réunion » était un livre d’histoire qui présentait, dans son édition de 1863, des connaissances concernant la France bien sûr, mais aussi la Réunion et plus surprenant encore des connaissances relatives aux pays de l’océan Indien. Ainsi les Frères, à l’origine du manuel, qui propageaient pourtant l’idéologie coloniale, ne voyaient aucune incompatibilité à enseigner l’histoire de la Réunion, celle de la France et celle de l’océan Indien. C’est vers cela qu’il faut tendre, en se délestant de tout endoctrinement néocolonial bien sûr. Mais, n’oublions pas ce proverbe africain rappelé par le grand écrivain nigérian Chinua Achébé, dans son roman « Le Monde s’effondre » : « Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire/leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur. » 

Jean-Louis Robert

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Zistwar

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