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Ue histoire nord-américaine : Savannah, Georgia, USA

LIBRE EXPRESSION

Jetons un œil dans le rétroviseur.

Il y a un peu plus de cinq siècles, le traité de Tordesillas (1494) organise le partage des colonies du Nouveau Monde entre les frères ennemis espagnols et portugais. Par voie de conséquence, sur les mers, le 16e siècle est ibérique. Et sur la planète, la paix semble installée pour longtemps.

Les richesses rapportées des Indes (orientales et occidentales) ne laissent pas indifférents leurs voisins européens. La cupidité et l’ivresse du pouvoir les font prendre la mer. Dès la fin de ce 16e siècle, les Hollandais partent à la conquête de terres inexplorées jusqu’alors. Histoire d’en ramener, entres autres, de précieuses épices. Très vite, les Anglais leur emboîtent le pas. Puis, vient le tour des Français, avec la lignée des rois Louis. De par le vaste monde, c’est à celui qui aura le plus de colonies.

Un peu plus tard, au début du 18e siècle, en Amérique du Nord, les Anglais poursuivent la colonisation de la côte atlantique commencée au siècle précédent. Provisoirement, les Français sont tranquilles sur le fleuve Saint-Laurent. Par contre, au sud, les Espagnols se confrontent aux ambitions anglaises depuis quelques décennies. La guerre d’usure a raison des Espagnols. En 1732, le général James Oglethorpe met la main sur cette région au nord de la Floride. Région qu’il baptise « Georgia » en l’honneur du roi d’Angleterre et d’Irlande, Georges II (1683-1760). En retour, son souverain l’autorise à créer une ville sur la plaine dominant la rive gauche du fleuve, à une trentaine de kilomètres de l’océan. En souvenir de l’époque précédente, il lui donne le nom que les Espagnols avaient attribué à la grande rivière : Savannah (1).

Désormais, le général Oglethorpe consacre toute son énergie à son audacieux projet : une ville de style anglais, dans un rectangle de 1,625 km x 1,250 km environ. Dès 1733, dans ce cadre, pratiquement horizontal, il commence par placer 24 squares d’égale surface et comportant un puits en leur milieu. Ensuite, tenant compte des vents dominants, il ouvre deux grandes artères orientées est-ouest, comme le fleuve. Puis, délimitant les différents blocs d’habitations, il s’ingénie à tracer le damier des rues. Au cordeau, comme dans toutes les villes nouvellement créées depuis le siècle précédent. In fine, il positionne la caserne, les églises, les bâtiments administratifs, l’hôpital et … le cimetière !

La suite est connue. D’Angleterre et d’Irlande, les émigrants arrivent. Alentour, les terres sont de bonne qualité, voire très bonne. Le climat est de type tempéré chaud. Dans la région, les Indiens survivants se font rares. A l’époque, pour pallier le manque de main d’œuvre, la mode est à l’esclavage dans toutes les colonies. Donc, on fait venir des Noirs d’Afrique. Très vite, dans leurs grandes plantations, les propriétaires, ayant opté pour des cultures spéculatives (le riz et, surtout, le coton), font de considérables profits. Ils sont à l’origine de la prospérité de la Géorgie, donc de la ville de Savannah. Et de son port qui accueille les bateaux transatlantiques de plus en plus nombreux. Dans le centre historique, d’opulentes maisons, d’imposantes demeures dans l’architecture de l’époque remplacent les premières habitations. Dans le plus pur style anglais, des jardins les entourent. Très vite, la petite église du début cède la place à une majestueuse cathédrale. Désormais, c’est à l’aune de l’ancienneté que, socialement, les familles bourgeoises se situent dans la hiérarchie de cette nouvelle cité. Chacun a sa place. Et les Noirs dans les plantations, ou à l’extérieur de la ville. En Géorgie comme dans les autres Etats sudistes, l’organisation de la société coloniale s’affirme au cours de la première moitié du 19e siècle. Elle semble parfaitement rodée.

Est-elle en place pour mille ans ?

Le cours de l’Histoire n’est pas un fleuve tranquille. Très souvent, l’Homme qui croît l’écrire n’est en fait que son objet. Dans le cas présent, en moins d’un siècle, deux cataractes vont marquer à jamais l’histoire de l’Amérique du Nord et, plus précisément, celle des (futurs) Etats-Unis.

  1. Guerre d’indépendance (1775-1781) :

Face aux exigences financières de la Grande-Bretagne, le mécontentement des colons américains de la côte Est s’exprime clairement à partir de 1770. Comme d’habitude, la répression anglaise est sévère. Une fermeture de port plus loin (Boston, 1774) et une fusillade de trop (Lexington, 1775) précipitent l’ouverture des hostilités. Le 4 juillet 1776, le Congrès continental vote la déclaration d’Indépendance : les 13 colonies anglaises deviennent les 13 Etats fondateurs. Pendant plusieurs années, l’issue de la guerre est incertaine. En 1777, emmenés par La Fayette, des volontaires français participent aux combats. Grâce au corps expéditionnaire européen, commandé par Rochambeau, l’offensive finale aboutit à la capitulation de l’Anglais Cornwallis, à Yorktown, le 19 octobre 1781. Officiellement, l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique est ratifiée par le traité de Versailles en 1783. Un peu plus tard, le 17 septembre 1787, la Constitution des Etats-Unis est adoptée. Elle créée, au-dessus des Etats, un gouvernement fédéral souverain pour la défense, le commerce et la politique extérieurs. A peine deux années avant la Révolution française !

  1. Guerre de sécession (1861-1865) :

Au cours de la première moitié du 19e siècle, le dynamisme de la jeune nation, alimenté par de nombreuses vagues d’immigrants, engendre un fort développement économique de la Fédération et une expansion territoriale qui atteint les Grands-Lacs, au nord, et dépasse très vite le Mississippi, à l’ouest. Pour écouler son importante production agricole (coton, surtout), le Sud commerce avec les Etats européens, dans le cadre d’une politique du libre-échange. Politique qui entraîne une prospérité insolente. Par contre, le Nord, jouant la carte de l’industrialisation, adopte une tendance protectionniste à l’égard des Vieilles Nations. Deux régions, deux politiques non seulement distinctes, mais divergentes.

Parallèlement, une différence culturelle s’affirme à propos des droits de l’Homme, donc de la légitimité de l’esclavage. A la faveur de sa Révolution, la France l’abolit une première fois en 1794, avant que Napoléon 1er le rétablisse en 1802. Les idées progressistes faisant leur chemin à travers l’Europe, l’Angleterre abandonne la traite des Noirs en 1807 et abolit l’esclavage en 1833. En France, l’abolition est décrétée et appliquée dans toutes ses colonies courant 1848. Depuis le siècle précédent, les idées des Lumières circulent aussi entre les deux rives de l’Atlantique. Mais, peut-être un peu moins entre le Nord et le Sud des Etats-Unis ? Ce dernier, engoncé dans ses habitudes, voire ses convictions ségrégationnistes, n’envisage pas de céder à l’air du temps.

Le problème est donc double, à la fois économique et culturel. Au plus haut niveau, les querelles s’intensifient. Tant et si bien qu’en 1860, la Fédération se partage en deux. Onze États sudistes se regroupent dans la Confédération. En face, les nordistes, ou fédéraux, forment l’Union. La tension monte au point qu’en 1861, la guerre civile est une réalité. Malgré un rapport de force inégal — 22 millions d’habitants contre 9 — l’issue est imprévisible. La stratégie nordiste l’emporte en 1865 (2). Et, la même année, l’abolition de l’esclavage est proclamée. La victoire du Nord entraîne sa prépondérance sur la direction de l’ensemble de la Fédération. A Savannah, comme dans de nombreuses villes du Sud, la rancœur est tenace et le Ku Klux Klan se développe à la fin du 19e siècle. Mais, la reconstruction du pays aidant, son influence se limite à quelques extrémistes. In fine, au cours du siècle suivant, la Géorgie devient l’un des États les moins ségrégationnistes.

Suite à cette guerre fratricide, le pays panse ses plaies. Très vite, il se reconstruit. Et cela grâce, ou malgré l’exode de la main-d’œuvre noire des campagnes vers les villes. Dans les champs, heureusement, la mécanisation apparaît. Sur les marchés, le coton continue à bien se vendre. La Première Guerre mondiale est son chant du cygne. Peu après, le charançon du coton est à l’origine de la chute de la production qui commence en 1920. Un malheur ne venant jamais seul, la Grande Dépression fait, à partir de 1929, de nombreuses victimes dans tout le pays. Surtout chez les pauvres !

L’expansion territoriale ayant gagné l’océan Pacifique, désormais, il faut compter avec la concurrence du coton californien. Après une longue décennie de reconversion économique, la Géorgie réussit à rebondir en diversifiant sa production agricole avec le tabac, la canne à sucre, les céréales, le soja, les arachides, les légumes et l’élevage de qualité. Parallèlement, la ville portuaire développe ses industries : textiles, sucreries, bois, pâte à papier et constructions navales. Tant et si bien que Savannah reste un des ports les plus actifs de la côte Est (3) !

En ce début du 21e siècle, Savannah abrite quelque 130 000 habitants et son agglomération presque le triple (348 000). Depuis 1966, le rectangle initial du général Oglethorpe a été classé « site historique national ». Chaque année, les touristes se font de plus en plus nombreux pour parcourir ce centre-ville résidentiel entièrement d’époque. A pied ou en calèche. De belles demeures, souvent imposantes, bordent des rues aérées et fleuries. Peu de piétons, de rares voitures. Pas de bars (hélas !), juste une supérette. Sommes-nous dans un décor de cinéma ?

Le long du fleuve, rive gauche, une double voie de circulation automobile irrigue un quai très bien aménagé. Côté falaise, un bel alignement de boutiques pour touristes égaye, avec bonheur, le rez-de-chaussée de vieux immeubles, dont certains aux tristes façades hésitant entre le gris souris et le noir douteux. Sont-ce des bureaux ou des logements sociaux ? Ou sont-ils tout simplement abandonnés ?

De l’autre côté de la route, aucune construction, juste une belle promenade arborée le long de la rivière Savannah, avec des squares et des aires de jeux pour enfants. Accostés à la berge, attendant le prochain groupe de touristes, plusieurs bateaux de l’époque de la roue à aubes (4), dont le « Georgia Queen » qui distille en continu une musique qui va bien, les classiques du rock and roll. Que du bonheur !

(1) Premier établissement anglais dans la région, Savannah devient la capitale de la colonie, puis de l’Etat de Géorgie jusqu’en 1785, date à laquelle Atlanta la supplante.

(2) En partie grâce aux troupes du général nordiste William Sherman qui, après la victoire d’Atlanta, accomplit, avec ses troupes, la célèbre « marche vers la mer », à travers la Géorgie jusqu’à Savannah (qui, en 1864, paye très cher sa sécession de 1861), avant de remonter vers le nord, pour la victoire finale.

Beaucoup plus tard, le nom de ce général est donné à un char d’assaut de la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui en dit long sur le renommée du personnage !

(3) C’est de Savannah que partit, en 1819, le premier bateau à vapeur qui a traversé l’Atlantique, concrétisation nord-américaine de l’invention de James Watt en Angleterre (1776), l’homme à l’origine de la première révolution industrielle.

(4) Au début de la grande époque des roues à aubes, le moteur est une machine à vapeur. Sur les fleuves, l’imposante roue à aubes, est située tout à l’arrière du bateau, celui-ci présentant un faible tirant d’eau (souvent inférieur à un mètre). Contrairement aux transatlantiques qui, de largeur beaucoup plus réduite, sont équipés d’une grande roue à aubes de chaque côté de la coque, pratiquement au milieu de celle-ci.

Texte élaboré courant mars 2016, par Michel Boussard, au Tampon, à partir du dictionnaire « le Robert des noms propres », d’Internet et de mes souvenirs de voyage

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