Jean-François Carenco, Gérald Darmanin

Un scandale peut en cacher un autre

LIBRE EXPRESSION

La nomination récente d’un ministre délégué aux Outre-mer suscite quelques réactions. A raison, mais ces indignations en font oublier d’autres.

Le premier scandale

La Réunion, ancienne colonie, est devenue  au sortir de la deuxième guerre mondiale un département français. Avez-vous entendu parler du ministère de Corse, ou de la Mayenne ?  Pourquoi donc un ministre des Outre-mer? Il se justifie si, comme le ministère des affaires étrangères s’occupe des relations avec les  autres pays, le ministre des Outre-mer s’occupe des collectivités d’Outre-mer qui ne sont pas départements. On est département ou on ne l’est pas !

Liberté Égalité Fraternité. Sommes nous des Français? Cela se discute.

Certains justifient la présence des départements d’outre-mer dans ce ministère par le retard de développement dû à la colonie et donc d’une attention particulière qu’il faut porter à ces Français des îles. Le mot département et la devise Liberté Egalité Fraternité, fondement de la République, auraient dû suffire à gommer en quelques décennies ces retards objectifs.
Au sortir de la guerre, la ville du Havre et bien des infrastructures ont été entièrement détruites. Personne n’a pensé créer un ministère de Normandie. La France a mis les moyens pour rapidement tout reconstruire. Pourquoi ne pas avoir profité de l’élan des Trente Glorieuses pour gommer les différences de développement? Parce qu’on a rendu invisibles quelques départements, ceux d’Outre-mer, en les rangeant  dans un ministère. Invisible à tel point que la grande majorité des français de métropole ignoraient ces concitoyens à l’exception des antillais qui défrayaient la chronique par quelques bombes. Pire encore, ce “bordage” dans un ministère s’est accompagné de mots forts méprisants à relent colonialiste. Certains de nos concitoyens de métropole qui arrivent parfois à situer les départements d’Outre-mer dans leur océan respectif, certains hommes politiques, nous ont affublé à tort du terme condescendant de “danseuses qui coûtent cher  à la République”. Le même jour, ces mêmes personnes auraient-elles dit  que le département de la Creuse coûte cher à la République?

Il a fallu attendre les années 60 et des velléités d’indépendance de quelques politiques locaux (dues à l’oubli de la “mère patrie” et en conséquence, au retard de développement), pour que le premier des premiers ministres de la cinquième république, par ailleurs père de ladite constitution, parachuté député de la Réunion, favorise enfin le début des investissements. Écoles, lycées, hôpitaux, routes … merci papa Debré. Mais point de Liberté Égalité et Fraternité avec les autres départements, nous n’étions  toujours pas de vrais français puisque dépendant d’un ministre de l’ Outre-mer , en dépit de l’esprit patriotique que papa Debré a su ranimer, grâce à son intérêt porté à la Réunion.

Il a fallu attendre les années 90 pour que s’applique à la Réunion le même smic qu’en métropole. Avant cette date, ce salaire était bien moindre. De même, il est considéré que ces français des îles ne sont pas assez matures pour qu’on puisse leur verser l’intégralité des allocations familiales. On évoquait à l’époque le financement des cantines scolaires avec le différentiel. Je me demande si on n’a pas financé le voyage des petits réunionnais de la Creuse avec cet “argent braguette »….. Autres exemples de retard : le deuxième hôpital sérieux a été construit début 80, l’académie d’Aix Marseille gérait l’ éducation nationale, l’université a été longtemps embryonnaire et sous tutelle.

La SNCF recevait une énorme subvention en France , au titre de la continuité territoriale. En effet, un citoyen doit pouvoir se déplacer d’une extrémité à l’autre du territoire , sans qu’il paye le coût réel de la distance. Le principe d’égalité justifiait cette subvention  et le principe de libre circulation oblige, on ne demande à personne sa carte d’identité en gare de Paris. Ici à la Réunion, il a fallu quémander auprès du  gouvernement des subsides d’un montant sans commune mesure avec celui qui est versé  en Corse.
D’autre part, dans les années 70,  il fallait montrer patte blanche pour venir dans ce département “France de l’Océan Indien “; si vous n’aviez pas un contrat de travail ou un billet d’avion aller-retour, vous ne pouviez mettre le pied dans ce département français. A votre avis, à cette époque, si vous imposiez ces mêmes brimades  à un Breton ou à un Corse qui veut monter à Paris ,pensez-vous qu’il l’aurait acceptées?

De ce régime de restriction au droit à la libre circulation il  subsiste quelques traces. Pour aller en métropole, je ne dis pas pour aller en France puisque nous sommes département de France, il faut que vous présentiez un passeport ou une carte d’identité et vous passez un contrôle de sécurité: normal, car la sécurité dans les avions est une chose sérieuse, mais quand vous arrivez à Paris, on vous re-contrôle des fois que sur le chemin, en survolant l’Afrique, vous ayez pris de « vilaines manières »! On demande à un habitant d’Europe, les mêmes éléments relatifs à la sécurité pour monter dans l’avion, mais à Gillot on ne lui demande plus rien…. A cette différence de traitement, on vous rétorquera: Espace Schengen. Bien mais pourquoi dans les accords, la France a oublié quelques-uns de ses départements, ceux d’Outre Mer, alors qu’on y trouve l’Islande, la Suisse et bien d’autres états n’appartenant pas à l’Union Européenne. Sommes-nous vraiment dans un département français? 

deuxième scandale ou scandale puissance 2

Avec le temps, on supporte les brimades et les différences entre français. Quelque part , nous avons été acheté par la sur-rémunération des fonctionnaires, l’abattement fiscal et la défiscalisation.Cadeaux empoisonnés…
Nos élus ne disent rien de tout ce passé et de ce ministère de l’outre-mer car à chaque remaniement ministériel,  ils espèrent devenir le prochain ministre. Pourquoi pas, il y en a eu et des pas mauvais, ils connaissent les départements et ils sont “politique”. J’ai cru comprendre qu’un ministre qui avait été battu aux élections devait démissionner. De cela, on peut déduire que le poste de ministre revient à un politique. Pourquoi nommer un fonctionnaire retraité au poste de ministre délégué aux Outre-Mer rattaché au ministre de l’intérieur? si cela ne s’appelle pas une régression, du mépris ou une punition ?!!! J’ose une image de cette régression: des départements français ont été depuis  longtemps cachés rue Oudinot. Maintenant ils sont dans un tiroir du ministre de la police sous la responsabilité d’un fonctionnaire que l’on a sorti de sa retraite. La prochaine étape c’est la nomination d’un gouverneur!

Jean-Marc

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