Bâtiment où est stocké de l'amiante, arrêt de bus Croisée Sans-Soucis La Plaine Saint-Paul à côté de la boulangerie l'Île aux Pains. Jean-Marc Law Waï.

Une centaine de tonnes d’amiante laissée à l’abandon menace la santé publique à Saint-Paul

Une enquête a mis en évidence le stockage irrégulier à la Plaine Saint-Paul d’une centaine de tonnes de déchets d’amiante provenant de chantiers de toute l’île. En attendant le procès en mars 2026, cela fait plus de cinq ans que la santé publique est en danger car l’inhalation d’amiante provoque des cancers mortels.

Ce mardi 25 mars, devait se tenir le « procès de l’amiante » dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Saint-Pierre impliquant deux sociétés de désamiantage et treize victimes. On parle ici d’une centaine de big bags bourrés de déchets amiantés et abandonnés dans une bâtisse non sécurisée à Saint-Paul. Et il y en a sans doute ailleurs, notamment deux tonnes dans le sous-sol de la mairie de Saint-Denis. Sauf que ce procès a été reporté à la demande de l’un des prévenus, gérant de l’une des deux sociétés, retenu dans l’Hexagone pour « raison médicale »

Le procès de l’amiante programmé le 25 mars au tribunal de Saint-Pierre a été reporté en mars 2026. (Photo d’archives : Franck Cellier)

La substitut du procureur a eu beau s’opposer à ce report et s’étonner qu’un prévenu convoqué au mois d’octobre ne soit pas capable d’organiser ses rendez-vous médicaux pour répondre à la justice, l’affaire a été renvoyée au 10 mars 2026. Ce délai de presqu’un an s’explique par la saturation du calendrier judiciaire et le sous-effectif du tribunal. On se souvient qu’en janvier dernier un autre « gros » procès environnemental, portant sur un trafic de 200 containers de déchets dangereux entre La Réunion et l’Inde a lui aussi été reporté. C’était alors 7 mois de perdus pour la lutte contre les pollueurs. On en est à 12 mois…

12 mois pendant lesquels un danger de dispersion d’amiante va perdurer sachant que ce risque a débuté il y a cinq ans. « Si dans vingt ans, on observe une recrudescence des cancers du poumon dans le quartier, on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas d’où ça vient », soupire l’avocat de la commune de Saint-Denis en quittant la salle d’audience une fois le report prononcé.

Une seule fibre d’amiante est mortelle

L’enquête a mis en évidence la gestion présumée irrégulière des déchets amiantés extraits de dizaines de chantiers par les sociétés SAS Amiante Ingénierie Réunion et SAS AI France qui se fait également appeler AI Désamiantage. Les désamianteurs indélicats auraient ainsi grugé quelque treize clients maîtres d’ouvrages parmi lesquels on trouve la SCI Law Wai, la SARL Rogay, la mairie de Saint-Denis, la Direction des infrastructures de la défense à Saint-Denis, la mairie du Tampon, le Régiment du service militaire adapté (RSMA), la Société foncière de la Plaine, l’Etablissement public foncier de La Réunion et même la Cour d’appel de Saint-Denis.

Bâtiment où est stocké de l'amiante, arrêt de bus Croisée Sans-Soucis La Plaine Saint-Paul à côté de la boulangerie l'Île aux Pains. Jean-Marc Law Waï.
Le centre de transit clandestin d’amiante est facilement accessible et ouvert aux vents. © Philippe Nanpon
Bâtiment où est stocké de l'amiante, arrêt de bus Croisée Sans-Soucis La Plaine Saint-Paul à côté de la boulangerie l'Île aux Pains. Jean-Marc Law Waï.
110 big-bags d’amiante provenant de chantiers de toute l’île ont été découverts par les inspecteurs de l’environnement. © Philippe Nanpon
Bâtiment où est stocké de l'amiante, arrêt de bus Croisée Sans-Soucis La Plaine Saint-Paul à côté de la boulangerie l'Île aux Pains. Jean-Marc Law Waï.
Il faut s’approcher pour lire le panneau indiquant le danger. © Philippe Nanpon

Les prévenus sont accusés d’avoir mis en danger autrui avec un risque de mort ou d’infirmité. Comme l’a rappelé le parquet, « il n’y a pas d’effet de seuil : l’inhalation d’une seule fibre d’amiante peut déclencher un cancer ». Les désamianteurs indélicats sont soupçonnés d’avoir violé les règles de sécurité dans le traitement de l’amiante présente dans les bâtiments détruits. L’enquête a surtout mis en évidence leur stockage complètement illégal.

Le pot-aux-roses a été découvert en août 2023 dans un bâtiment inoccupé de la Plaine Saint-Paul à côté de l’arrêt de bus de la Croisée de Sans-Soucis, en face d’une boulangerie réputée, soit un endroit abondamment fréquenté. Les inspecteurs de l’environnement y ont découvert plus de cent big-bags d’une tonne chacun, remplis de déchets amiantés et déposés sur des palettes. Rien à voir avec les conditions strictes de stockage de tels déchets qui doit être fait dans une zone fermée, balisée, étanche et hors de portée du vent et des intempéries.

Station clandestine de stockage des déchets de toute l’île

Le 29 septembre 2023, la société SCI Law Wai, propriétaire de l’entrepôt, a été mise en demeure d’évacuer les déchets issus de ses travaux de désamiantage dans un délai de deux mois. Mais, comme le précise son avocate, Me Lucie Kerachni, la société de désamiantage, censée procéder à cette opération délicate, n’a rien fait : « Mon client s’est fait rouler, quand la société de désamiantage évacuait un container, elle en ramenait deux. »

Surtout, seulement 10% des big-bags découvert provenaient des chantiers de la famille Law-Waï. Les 90% restants ont été identifiés grâce aux bordereaux de chaque big-bag. C’est ainsi que les enquêteurs sont remontés jusqu’aux autres chantiers. Ils ont honoré 81 procès-verbaux de réquisition et constitué un énorme dossier qui méritera 4 heures d’audience le temps venu. Le bâtiment des Law Waï est devenu la station de transit à long terme de tous les déchets amiantés de l’île. Au-delà de Saint-Paul, les territoires de Saint-Denis, Saint-Louis, Le Tampon, Saint-Pierre et les Avirons sont potentiellement concernés par les accusations de gestion irrégulière de l’amiante.

En attendant, ça commence à se savoir. Ce mardi, nous sommes allés sur place à la Plaine Saint-Paul. « Ça fait un an ou deux, il y a bien eu des bâches de protection. Nous avions pensé à de la poussière, pas de l’amiante », témoigne Raphaël, qui habite un peu plus bas.

Du côté de l’Île aux Pains, la boulangerie qui jouxte le bâtiment graffé d’une baleine bleue, on ne sait pas grand-chose. Une vendeuse sait que de l’amiante y est stocké, mais pas sa patronne Mme Forget.

Qui va dépolluer ?

Cette dernière a appris que Jean-Marc Law-Waï envisage avec la vingtaine d’autres héritiers d’y installer une station de lavage, mais rien de plus. Et, bien sûr, elle ne sait pas non plus si les riverains sont au courant de la présence de ces déchets dangereux sous leurs fenêtres et si un mouvement de contestation a pris forme dans le quartier. Tout juste a-t-elle remarqué des travaux réguliers le mercredi, jour de fermeture de la boulangerie. 

Le stock n’est en tout cas guère sécurisé. Il est facilement accessible. Le bâtiment comporte des ouvertures au vent. Les récents dégâts cycloniques, qui ont essentiellement concerné le Nord et l’Est de l’île, rappellent qu’une inondation soudaine est possible partout, surtout en zone bétonnée urbaine. Et il faut vraiment s’approcher tout près pour lire le minuscule panneau annonçant le danger « Déchet amiante ».

Ce risque identifié de pollution à l’amiante pesant sur la santé publique des riverains mériterait-il une action préventive de l’Etat ? Comme ce fut le cas pour « dépolluer » la barge pétrolière Tresta Star à Saint-Philippe avant de présenter la facture à l’armateur ? Ou bien la procédure judiciaire en cours freine-t-elle toute « interférence » de  la préfecture ?

Les questions restent posées et soulignent un peu plus les difficultés inhérentes à La Réunion pour traiter les déchets dangereux.

Franck Cellier et Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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