LIBRE EXPRESSION
Alors que le cyclone approche, et que seules les directives nationales farinent en amont, je me rappelle les cyclones de mon enfance et le cortège de dispositions que je voyais « mes responsables » enclencher, telles les vérifications des réserves d’eau, des bougies, des piles, des conserves de nourriture…
Je crois qu’à cette époque les parents dirigeaient la vie à la maison.
Pas le préfet.
Pas le président non plus.
Le temps du cyclone était bien sûr un temps spécial. M’en rappeler m’évoque aujourd’hui un sentiment que je pourrais peut-être exprimer par quelques paroles de la chanson d’Ousanousava, « loder mon pei » : kan la plui i tomb su la tolle, na poin lékol !
C’ést le souvenir d’un temps attendu, un peu redouté mais presque enchanté. Il pourrait s’appeler un temps de « ress la kaz », non un « confinement ». On était content.
Il me semble que ce temps a perdu quelque peu de son charme. Maintenant, le « rester chez soi », pas forcément pour « lév midi » comme disait la chanson, a pris des allures de punition. Peut-être parce que la pandémie est passée par là aussi, de même que la multiplication des médias et son discours conventionnel généralisé de traitement d’informations convenues. Nonobstant l’inédit de cette pandémie dans notre monde moderne couplé à la maîtrise admirable, et redoutable, des technologies acquises, il apparaît que c’est surtout la gestion calamiteuse de la situation sanitaire qui nous statufie jusqu’à l’esprit, jusque dans nos chaumières.
Ainsi, l’Homme et la machine restent parfois impuissants et leur fusion par foi un puissant révélateur de leurs propres limites.
Quand Batsirai s’éloigne, ce qu’il laisse n’est heureusement rien d’irréparable avant le prochain cyclone. Mais, aujourd’hui, qui organise la manière d’habiter ?
De gros travaux devront être réalisés, des petites réparations devront être assurées, beaucoup de jardins devront être nettoyés. Pour autant, les effets de son passage sont les mêmes que ceux des cyclones précédents, avec un prisme de gravité différent selon les années certes : mais les constats sont les mêmes, les dégâts sont les mêmes. Quand le cyclone passe, la force du vent, l’intensité et la quantité de la pluie jouent toujours aux mêmes jeux : à souffler sur les montagnes, à balayer les routes posées à leurs flancs et à nous faire part, nous apeurés, de leurs rires en éboulis. Ils jouent à arroser même le plus haut des pitons, à gonfler les rivières un peu trop domestiquées et à nous emporter, nous hébétés, de leurs joies en cascades. Puis, nous, face à « la beauté de la nature déchaînée », émerveillés il nous faut répondre : barrages, filets, goudron, béton. Plus fort encore : réseaux, fibres optiques, et médicaments. Et, plus malin toujours : durcir la risposte en multipliant tous ces accessoires non recyclables qui nous emprisonnent, qui nous empoisonnent, et en devenir dépendants.
Allon pa nou joué pluto ek not « band camarade kréol » ?
nout « ti ker peï », nout « cor la riviere »…
alanoula ! nou ress la.
Nou ress
Du reste, la tempête n’infiltre que nos cachettes et sécrète nos défauts de fabrication.
D’où, la bourrasque des masques sauve nos cirques, mais pas ceux exposés aux sommets des originalités innovantes tels des artefacts de joie de vivre. Ces affichages indignes de notre Histoire, incohérents et déconnectés de nos besoins, ne génèrent que désolation et friches inertes. N’y résiste que la vulnérabilité sauvage, le vénérable instinct. Donc l’essentiel reste préservé. Peut-être comme une chance, après chaque pluie, de faire venir un beau temps profondément différent.
Pendant que le cyclone se manifestait, je me demandais ce qui provoquait les bouleversements de la Vie, la vie quotidienne et la vie au long cours. De quoi est constitué un changement ? Qu’est ce qui déstabilise assez les habitudes journalières pour le chamboulement des actes de lointaine perspective ? Est-ce que les changements sont totaux, et synchrones ? Est-ce qu’à travers le temps, les impactés changent en simultané de ce qui impacte ? Ou, est-ce que l’humain — erectus, sapiens, numérisé, et ses terres — rat ne constitue qu’une réaction mesurable et visible de ce qui le dépasse, de ce qui existait bien avant lui et continuera bien après lui, mais que lui-même évalue mal. Sait-il qu’il ne peut être qu’une infime réaction ? À peine un confetti dans ce qu’il croit être une fête de son pouvoir.
« Néna des millions d’années que nou lé la ». Toutefois, en regard comparé d’il y a deux cents ans seulement, aujourd’hui les individus n’ont plus les mêmes identités et leurs abris n’offrent plus les mêmes ambiances. Ce qui les a fait évoluer, ceux d’il y a des millions d’années autant que ceux d’il y a des dizaines, et bien que différents événements politiques et régimes économiques tous hétérogènes se soient succédé, ce qui se retrouve toujours sur la frise, toujours, le plus fidèlement périodique, s’identifierait synthétiquement, et peut-être même éternellement de manière insulaire, par : le cyclone, la mort, l’amour. Et, à La Réunion, pour ce qui me concerne, la liberté de les respirer.
Alors que le cyclone est là, je la rencontre cette femme, sur cette île.
Elle inspire cette sentimentale réflexion personnelle,
et expire d’analogies perçues entre mes éternités parsemées d’allusions de bouts de présent.
K.L.
Son souffle
Je voudrais le regarder passer,
s’avancer doucement,
sans pression
puis accélérer, appesanti.
D’abord, je voudrais le voir s’approcher,
l’attendre.
Pendant ce temps me préparer,
m’enthousiasmer, m’exciter ou m’inquiéter,
ressentir qu’il va me prendre,
sans m’avoir,
juste m’entourer d’atmosphère,
l’appréhender, m’apprêter,
cent surprises sans trauma.
Réfléchir à sa venue,
m‘équiper pour le salut.
Me sentir prête,
même à jeun de douilles
de mèches de crêpes chinoises,
et rêver bigre!
De le vivre,
une fois là,
de m’ouvrir.
Complètement.
Déployer chaque pore de mes ports,
délester toute attache,
imaginer son étreinte,
sans même savoir jusqu’où il va s’approcher,
effleurer ma peau de granit
ou pénétrer mes originelles coulées de l’âme.
Si je vais le toucher,
Ou m’y jeter
jusqu’à en être mouillée,
ruisselante même,
submergée, figée
Ou transportée.
Apprécier son impact,
évaluer mon outillage,
tout mon maquillage.
Le laisser venir
et le laisser passer.
Prononcer son nom,
crier sa force
hurler ses effets,
chuchoter sa chaleur
et murmurer sa douceur.
Tendre mes mains
voir ce qu’il tient,
ce qu’il faut laisser,
abandonner
ou consolider,
colmater, réparer, ou louer d’avoir bien fait.
Je voudrais l’accueillir,
Simplement,
l’accueillir.
Peut-être secourir,
Comme un navire
Ami d’une île sœur Maure
« It’s » « never » sauver l’émigrant
Passons « more » vers hier,
jamais née pierre
ici bat
le céans indien
l’intimité fière
des frères
de vie d’épave
où cogne le phare
du Mana palmier.
Saint Frais du jour.
En jouir
sans me trahir
en ais-je le droit
Ou faut-il m’enquérir de son pas censitaire
sans y taire
les gestes, les zests des tests
selon ce qu’ils en disent
Selon la bienséance,
et ce qu’ils jugent de prudence.
D’où est le plaisir,
D’eux ?
Doux est le sourire,
à deux !
Trombe de paupières,
Il plisse les nuages
Et progresse
Mes formes en col or
Oser
Ta couleur décoiffée
Dans cette supposée indolence
Emprisonnée d’une alerte de pain de mie :
Cour vide,
Reste au rang de bois
le confit ne ment :
Il n’y a plus le goût de l’enfance,
De l’innocence,
Ils me forcent la connivence.
Mais c’est perdu d’avance.
Ce n’était qu’en première instance,
l’heure avance,
vois, y’a l’âge,
voyage
ainsi va variance.
Le chant d’urgence
ou des terres nuitées
n’est réglé sur aucune de leurs constances
Et mes circonstances
Ont posés mes propres garances.
Face à ce qu’on peut :
Notre champ de « can »
Il a la clé du sol
des caresses de mélodies.
Mon chemin part en transe
En danse
En cadence
En ignorance
De leurs panses
Explosées
Ils sont morts.
Moment déboire
mémoire oblitérée
Interrogatoire obligatoire
Institutionnalisation d’illusions
Prestige charmant
Ciment aboli de quilles
Mensonges vieillis débattent
Entre chaînes pourries
Débacle et des bagues
coulent
le lent d’eau
mon songe tressailli
le monument boit
quelques failles de folie
des creux cratères baillent l’espoir
le soir guette
requête ?
rougail pâquerette
car un embrun cale
au grand ritz
oh grandir !
savate savoir
ma claire joie apprise quand
ma lumière d’ermitage
Sans hache
élague
Ta symphonie de silence
élégance et délicatesse bavardent
Avec mon horizon.
Au loin de séduction,
Cent rappels sans invitation
Déchire la vibration
Tremble le rivage
Enseveli le naufrage
Le feu désert
Rallume l’écume
déroule les doigts
Observe la paume
Les lignes sont coupées
Mais le courant passe
Comme unique
Comme union
coche les voiles
décroche les étoiles
Guide la ferveur
Goûte la moiteur
Croque la nasse de mer si
ma chute s’élève,
S’envole
de rien !
Deux reins en montagne
sous mes mains entre lacets
testent au test au péroné
os trop gêné
je tape
Perçois
ta voix
A outrance
En outrance
sans arrogance.
Il est là !
Soulève la foule
Provoque ma houle
Arrose la clique
suspend mes tics
couche le drapeau vert
des filles en cascade
Défie la baignade en surface
Aspire à la plongée
sans masques
la boue et la vase avilisées
La bouée autorisée
Sur les planches
Pour le spectacle
les ampoules clignotent
les pétrels flottent
La Seine est loin.
J’embarque plusieurs actes
Allonge la digue
Digresse la paresse
et traverse l’intrigue
«- je t’attendais
-je le savais
-mais repars-tu ?
-où est le départ, où est l’arrivée ? »
Une histoire d’île store
Défilée de moques
Un jeu de toques
Ouvre la bouche
Paroles en sac à dés
etc.
Kala Livalisse
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