RÉUNION À SAINT-ANDRÉ
Devant une assemblée qu’il espère toujours plus nombreuse, samedi dernier à Saint-André, Paul Hoarau a déroulé son discours de comment les Réunionnais doivent devenir un peuple.
« Nous ne sommes pas un parti, nous sommes le peuple. » Samedi 25 mai, Paul Hoarau a réuni à Saint-André, au Colosse, quelque 80 personnes autour de son idée de Conférence des mille. Il n’y a ni parti politique, ni classe sociale dans le projet de Paul Hoarau. Il vise plutôt à réunir La Réunion toute entière derrière une autonomie, au moins de pensée.
Depuis toujours, l’homme milite contre la soumission à la métropole, pour le sentiment d’appartenance à un destin réunionnais. Depuis plusieurs années, il pense qu’il est temps d’assumer sa réunionnité et de rompre avec le jacobinisme. « Kossanouvé, kossanoufé? Il n’y a personne d’autre que nous pour répondre à ces deux questions », souligne-t-il dès le début d’un discours de trois quarts d’heure, invoquant « les forces de l’esprit qui rendent possibles les impossibles ».
Gilbert Aubry
La Constitution, la loi française permettent au peuple de décider, le peuple souverain. Par les élections, le droit de manifester, le droit d’expression, le référendum, pourtant « c’est comme si pour certains le peuple n’existait pas ». « Si un peuple ne peut manifester son opposition, il est condamné à l’assistance, à la soumission, à la perte de son identité », soutient Paul Hoarau.
Dans l’assemblée, assis autour de tables placées en carré, on retrouve tous ceux qui oeuvrent pour la conscience d’une identité réunionnaise. Les intellectuels, les associatifs, les curieux, Gilbert Aubry comme une sorte de caution morale. « Un peuple doit se montrer massivement pour exercer ses pouvoirs », poursuit Paul Hoarau, en lutte contre « les tenants du mondialisme, du profit d’abord. Le temps de la fraude électorale est révolu, mais lui a succédé la séduction par la consommation». La mondialisation, en réduisant les coûts, a éliminé la production locale et a éteint la conviction politique. « Ne reste plus aux politiques pour se maintenir au pouvoir que le clientélisme », souligne Paul Hoarau. Et d’expliquer que, contre la décadence de la démocratie – plus de 70% d’abstention en 2022 -, il faut voter, quitte à voter blanc, il faut manifester, sinon le peuple souverain aura disparu.
Et la place des Réunionnais dans la France ? « Il y a la France et il y a les Outre-mer. Ce n’est pas vrai que les Outre-mer sont en France, sinon, on n’aurait pas besoin de préciser Français d’outre-mer ; pour preuve, on ne se sent pas obligé de dire Français d’Alsace ou de Bretagne. » Et la France, « la métropole pour les Domiens, réduite à une figure géométrique aujourd’hui quand on dit l’Hexagone. » Mais de souligner que « La Réunion fait partie des peuples de la République française ». C’est ce que nous disions dans un précédent article, avec le mot métropole, on confond le géographique et l’administratif. « C’est comme si, pour être Français, on ne peut plus être Réunionnais. Tout comme le président Emmanuel Macron n’est pas le président de la France, il est le président de la République française. » C’est vrai que la nuance est d’importance. Et de compter quatre freins qui empêchent les peuples d’être eux-mêmes.
Honte du métissage
Combattre le jacobinisme, le premier de ces freins, c’est sortir de l’uniformité. « Il faut refuser l’idée que sortir de l’uniformité, c’est sortir de La Réunion. L’uniformité est contre nature, elle est la cause des guerres coloniales ; n’ayons pas peur du retour des peuples de la République », plaide Paul Hoarau. Qui estime aussi, en deuxième, qu’il faut abandonner la honte du métissage. « L’idéologie nous pousse à penser que, quand on devient Français, on devient Gaulois dans le même temps. Il faut sortir du complexe de pas la bonne couleur », poursuit le rhéteur. « Alors que, sans perdre son identité, en devenant réunionnais, le Tamoul devient malbar, l’Africain devient cafre, l’Européen devient yab… C’est une évidence qu’il y a un peuple réunionnais. » La peur de l’indépendance est aussi l’un de ces freins, tout comme le soupçon de communautarisme.
Après le discours, les auditeurs ont pu intervenir. Ghislaine Bessière, de Rasin’ Kaf, estime que « pour connaître son voisin, il faut se connaître soi-même. On ne se connaît pas nous-mêmes, la volonté politique est de maintenir cette méconnaissance ». Un certain Xavier, lui, souligne que « le droit n’est pas fait pour protéger les hommes, il est fait pour protéger l’ordre social ». « On est passible de peines de prison si on dérange », affirme-t-il.
Arnold Jacoud, de son côté, porte un avis de sociologue : « Un peuple doit être conscient de lui-même, sinon c’est une population. Un peuple ne peut se constituer que contre une menace ou un ennemi. Dans chacun il doit y avoir un guerrier, c’est ce qui se passe en Ukraine ou en Kanaky. Pour prendre conscience de son existence, contre qui doit se battre le peuple réunionnais, et dans ce cas il devra renoncer à l’abondance ». Moins radical on s’en doute, Gilbert Aubry pense que « pour être Réunionnais, il faut d’abord oublier qu’on est Réunionnais, d’abord savoir que nous sommes des êtres humains. »
Paul Hoarau préfère le combat dans les urnes et appelle au devoir civique. « Il ne s’agit pas de ce que nous voulons, il s’agit de ce que veut le peuple. » Au référendum dont le contenu sera décidé par des états généraux qu’il appelle de ses voeux, il faut 90% de participation. « Sinon c’est la guerre. »
D’autres assemblées semblables sont prévues, à Saint-Denis, à Saint-Pierre, avec toujours plus de monde espère Paul Hoarau. La prochaine se tiendra en novembre.
Philippe Nanpon