LIBRE EXPRESSION
« La violence est la parole inaboutie » Lacan
Comme tous les grands-parents, nous souhaitons avoir une vieillesse heureuse entourée de petits-enfants aimants, nous aidant à passer les dernières années de notre vie dans la sérénité et la joie d’un bien vivre ensemble convivial. Pour l’heure, ce n’est malheureusement pas le cas, même si nous continuons d’espérer. Comme beaucoup de grands-parents, nous constatons que vivre avec des adolescent-e-s n’est pas une sinécure.
Prisonniers de leur smartphone, souvent extrêmement susceptibles, ils/elles réagissent « au quart de tour » à la moindre observation du bien vivre ensemble, prenant cela pour une critique visant à les rabaisser. Les conflits émergent à partir d’un problème réel (travail scolaire, alimentation, sortie avec les copains, argent de poche, manque de transparence…) lorsque leurs besoins, désirs et valeurs divergent avec ceux et celles qui les entournent. Lors de ces conflits, les affects occupent une place prédominante. La communication devient impossible.
Pour ne pas revivre ces épisodes déprimants où les émotions priment sur la raison, nous sommes allés voir, si nous pouvions trouver, du côté de la Communication non-violente (CNV), un apport pour instaurer plus d’écoute et de respect dans nos relations.
La Communication non-violente, un processus d’éveil
La Communication non violente est un processus de communication mis au point et développé aux Etats-Unis par Marshall B. Rosenberg (1934-2015), docteur en psychologie, dans les années 1960. Elle s’inspire des travaux du psychologue humaniste américain Carl Rogers (1902-1987), connu pour son approche centrée sur la personne (ACP), qui s’articule autour de notions d’Empathie, de Congruence (authenticité) et de Considération positive inconditionnelle d’autrui.
Confronté dans sa jeunesse à diverses formes de violence, Marshall Rosenberg s’interrogeait sur une possible sortie de la violence par le haut. Autrement dit, comment rendre inutile, inefficace, le recours à la violence en passant par un autre mode d’expression ? Et ce, en cherchant la réponse à deux questions fondamentales :
- S’il n’y a tout simplement pas de vie individuelle et collective sans communication, pourquoi certaines personnes n’arrivent-elles pas toujours à communiquer sans agressivité et souffrance ?
- Inversement, pourquoi d’autres personnes parviennent presque toujours à communiquer sereinement, voire avec bienveillance ?
C’est en réponse à ce questionnement que Marshall Rosenberg pose les fondations de la Communication non-violente. L’expression non-violente est une référence à l’ahimsa du Mahatma Gandhi (1869-1948) qui signifie quelque chose comme non nuisance, voire la maîtrise et la transmutation du désir de violence qui est en l’homme. Faisant le constat que le langage (les mots) joue un rôle prépondérant dans le passage de la bienveillance à la violence, il définit la CNV comme « le langage et les interactions qui renforcent notre aptitude à donner avec bienveillance et à inspirer aux autres le désir d’en faire autant » (2003). Plus simplement dit, la CNV « est une façon de penser et de parler qui vise à mettre de la compréhension et du respect mutuel dans les échanges », « un art du dialogue au service d’un art de vivre » (Anne Van Stappen, Petit Cahier d’exercices de CNV, Edit. Jouvence, 2013). Bref, un nouveau regard sur les mots que nous utilisons en vue d’une communication marquée par une qualité d’écoute et de présence à l’autre et par une prise de conscience de nos perceptions, de nos sentiments et de nos besoins. L’empathie est donc au cœur de cette communication.
Un processus en quatre étapes
La communication non violente est un processus qui repose sur quatre étapes : Observation, Sentiments, Besoins, Demandes (OSBD). Nous sommes invités à prendre conscience que nous réagissons toujours à quelque chose, à une situation, à un comportement.
C’est l’étape d’observation : nous observons la situation ou ce comportement de « façon neutre », sans jugement, interprétation, analyse, étiquette, etc. (étape 1). Nous réagissons ensuite à ce comportement ou situation par un sentiment, qui correspond à l’émotion, créée par cette situation (étape 2). Ce sentiment éveille en nous un besoin ou correspond à un besoin (étape 3). Pour Marshall Rosenberg, « nos sentiments découlent toujours d’un besoin » (2006). Enfin, ce besoin nous invite à formuler une demande (étape 4), à l’autre afin de satisfaire ce besoin ; une demande qui doit répondre à quatre critères : une action concrète, positive, réalisable et qui accepte le refus de l’autre (Thomas d’Ansembourg, Cessez d’être Gentil, soyez vrai, édit de l’Homme, 2001).
La communication non violente se présente ici sous la forme d’une technique, d’une démarche en « quatre étapes », mais comme elle joue alternativement sur l’expression de soi et l’écoute de l’autre, tout en invitant chacun à s’accepter et à accepter l’autre dans la diversité de ses sentiments et ses besoins respectifs, elle ouvre un espace de communication qui débouche sur de la bienveillance, bienveillant pour soi et l’autre, authentique et empathique. Encore, faut-il aller au terme de la démarche, quand les besoins de chacun ont été pris en compte et qu’émerge la solution au conflit (Fabienne Bony et Annick Doisy, dans Alternatives non-violentes, 2004).
L’apprentissage d’une nouvelle relation
Le but de la Communication non violente est de « favoriser l’élan du cœur et nous relier à nous-mêmes et aux autres, laissant libre cours à notre bienveillance naturelle », pour reprendre les mots mêmes du fondateur de cette méthode. C’est un processus de compréhension de soi et de l’autre dans un esprit de bienveillance. Elle attire notre attention sur les sentiments, besoins et demandes de chaque personne, en nous gardant de certaines sources de malentendus (jugement, étiquettes, comparaison…).
C’est un processus simple à comprendre, mais difficile à mettre en pratique dans le quotidien où il faut constamment prendre des décisions rapides. C’est comme l’apprentissage d’une nouvelle langue : cela requiert de la pratique, de la patience, de la détermination et de la persévérance, voire une conversion de sa manière d’être. Elle demande du temps et de l’investissement. C’est une pratique qui se révèle efficace dans le domaine de la communication, « à tous les niveaux et à toutes les situations » (M. Rosenberg), selon les spécialistes de la méthode. Elle n’exclut pas d’autres approches complémentaires (Méthode Gordon, l’Écoute active de Rogers…).
Ce n’est pas une recette pour enrayer tous les conflits où d’autres aspects (sociaux, historiques, politiques, économiques…) pèsent lourdement. C’est dire qu’on ne peut ramener tous les conflits à une mauvaise communication. Dans une institution, toutes les personnes ne sont pas au même niveau, les responsabilités ne sont les mêmes. Tout n’est donc pas négociable. Et tout ne se réduit pas non plus à l’explicite et au présent. Il y a des mécanismes inconscients. La CNV n’est pas une thérapie. On peut s’interroger également sur une vision de l’homme centrée sur ses besoins.
Cela dit, la Communication non violente nous paraît être, tout à la fois, un processus, une démarche, une approche et une pratique pour construire de relations pacifiques au quotidien avec nos proches. Elle est, en tout cas, une alternative aux rapports de force et à la violence feutrée dans les relations éducatives. La pratique nous dira si la CNV est un art du dialogue au service d’un art de bien vivre ensemble.
Reynolds Michel
Photo : Iris Mardémoutou (Le Bisik)
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