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L’histoire méconnue de Pitre / Pitsana : entre mythe et réalité

Explorons les faits et les hypothèses. Voilà ce que nous propose Dina Margabim 974, un passionné d’histoire qui nous avait montré tout son intérêt à l’occasion de la découvertes de crânes d’esclaves réunionnais au Musée de l’Homme à Paris. Aujourd’hui il a exploré les pistes menant à l’esclave nommé Pitre qui serait devenu le roi marron légendaire Pitsana.

Selon certaines hypothèses, l’esclave nommé « Pitre », propriété d’Emmanuel de Matte, serait devenu « Le Roi Marron Légendaire: Pitsana », le même qui fut décrit par Eugène Dayot dans Bourbon Pittoresque. Il a aussi été avancé que le nom « Pitre » viendrait du malgache « Pitsana », signifiant « petit et agile ». Or, une analyse croisée des archives et des récits montre que ces affirmations pourraient reposer sur des erreurs et des interprétations incertaines, voire discutables.

Pour commencer, les archives montrent qu’il existait plusieurs personnes nommées « Pierre » peut-être lu «  Pitre » à l’époque, comme le montre les archives C°2791, des Archives Départementales de l’Île de la Réunion (A.D.R), présentées.

Par exemple, un esclave de de Matte, marron depuis six mois, n’ayant pas participé à la révolte de 1705. Un autre « Pierre » / « Pitre » a été tué par Fontaine lors de cette révolte «  pour se rendre Maistre des armes et de l’isle ». Enfin, un certain “Pitre”, qui s’appelait en réalité Pierre Fano, a été innocenté lors d’un procès et a eu des descendants.

Pitre, Pitsana, Mpitsara, Pitra, Petra…

Ces différentes figures montrent qu’il reste difficile d’affirmer, sans équivoque, que l’esclave mutilé était « Le Roi Marron » décrit par Dayot. De plus, les récits de Dayot, bien que captivants, relèveraient davantage de la légende, comme le dit Anne-Laure Dijoux, archéologue spécialisée dans le marronnage lors d’une interview à Parallèle Sud : « L’histoire du marronnage de Bourbon présente de nombreuses zones d’ombre que certains historiens – faute de faits tangibles- ont tenté de combler en se basant sur des faits romanesques sans fondements historiques vérifiés […] A l’heure actuelle des recherches archéologiques, il n’existe pas de preuve tangible appuyant la thèse du « royaume de l’intérieur ». »

Elle souligne que les sites qui sont mentionnés par Dayot dans son livre montrent des vestiges d’occupation agricole de petits colons plutôt que des campements marrons, vestiges qui sont par ailleurs connus des gens vivant dans les environs. Son roi marron, porté dans une carapace de tortue, ne repose sur aucun document historique solide, et les lieux comme « Camp de Pitre » ou « Boucan de Pitre », bien réels, n’établissent pas un lien direct avec ce personnage.

L’origine du nom « Pitre » pose également question. Il est dit qu’il viendrait du malgache Pitsana, mais d’autres mots malgaches sont possibles, comme Mpitsara (« juge »), Pitra (« exprime un dégoût ») ou Petra (« personne à qui on confie une lourde charge »).

De plus, une autre hypothèse mérite d’être explorée : celle d’une origine néerlandaise. Le prénom « Pitre » pourrait être une francisation de « Pietersz », un nom hollandais courant. À l’origine de cette hypothèse, le parallèle avec « Pointe-à-Pitre » aux Antilles qui tirerait son nom de « Pieter ». Il serait alors possible que « Pitre » ait été donné à un esclave par un maître hollandais ou qu’il soit hérité d’un ancêtre européen, le nom ayant été modifié au fil du temps.

Sekeling, Cerlingue… Clain

Un autre élément intéressant concerne Jean Pitre Sekeling, également appelé « Cerlingue ». Ce personnage serait en réalité Jan Pietersz, un arquebusier hollandais embarqué sur un navire de la Compagnie des Indes Orientales (VOC). Capturé par des pirates en 1686, il aurait ensuite été surnommé « Mascate » ou « Macaste » à cause de son passage par le comptoir de Makassar, en Indonésie. Son nom, « Sekeling », pourrait désigner son statut de passager clandestin ou prisonnier (verstekeling en néerlandais).

Pitre Cerlingue dans les Archives.

Les archives montrent qu’il serait arrivé à Bourbon en janvier 1687. Jan Pietersz pourrait être l’un des ancêtres des « Clain » à La Réunion. Son surnom « Sekeling » aurait été progressivement phonétisé et créolisé en « Clain », par processus de francisation orale des noms étrangers, courant dans les sociétés coloniales. D’autres patronymes néerlandais  comme Celijn ou Klein pourraient aussi expliquer cette transformation.

En définitive, les récits liant « Pitre » à un Roi Marron Légendaire reposeraient sur des confusions et des suppositions. Les archives montrent qu’il existait plusieurs « Pitre », mais aucun lien clair entre eux et la figure mythique de « Pitsana ». Par ailleurs, l’origine du nom « Pitre » pourrait tout aussi bien être néerlandaise que malgache, autant qu’une lecture erronée du prénom « Pierre ».

Enfin, l’histoire de Jean Pitre Sekeling, alias Jan Pietersz, offre une perspective fascinante sur les premiers habitants de l’île et sur les liens entre La Réunion et la colonisation néerlandaise, elle enrichit aussi notre compréhension des premiers habitants de l’île, tout en soulignant la complexité des trajectoires individuelles dans le contexte colonial. Ce sujet invite donc à une analyse plus rigoureuse, distinguant clairement les faits des récits légendaires. Cela ne retire en rien à la puissance symbolique du marronnage, ni à la nécessité de valoriser ses figures de résistance.

Dina Margabim 974

Contribution bénévole

Sources :

– A.D.R: Rapport du 30 Août 1752, vue 213/301 des Déclarations de retour de détachements contre les marrons 1739-1757 C° 981-999.

1GG13 Saint-Paul : blancs, libres, esclaves.

Mariages, 1687-1740. Naissances, 1790-1791

C°2791

– Isle de Bourbon 1701-1710, de Jean-Baptiste de Villers

– Les Esclaves et Leurs Maîtres à Bourbon, au Temps de la Compagnie des Indes, de Robert Bousquet

– Histoire de Madagascar, de Hubert Deschamps

– Nationaal Archief: https://www.nationaalarchief.nlonderzoeken/…/fileNL…

– Sites maronages.re & Geneanet

– Page Facebook Zangoun Servis, lien video: https://www.facebook.com/share/v/15czekv8gF/?mibextid=wwXIfr

– Parallèle Sud: Squelettes de l’îlet à Cordes et du Tapcal, vallée secrète de Gilaos, royaume marron: le point sur les découvertes archéologiques du marronnages

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