[Agriculture] Les huit vérités du planteur de canne

LE COLLÈGE PAUL HERMANN, POINT COMMUN ENTRE JEAN-BERNARD MARATCHIA ET LES APPRENTIS JOURNALISTES DE SIXIÈME

Il n’y a pas de coïncidence. La rencontre entre l’ancien élève du collège Paul-Hermann, Jean-Bernard Maratchia, et les 6es des classes ayant participé à l’atelier d’éducation aux médias mené par Parallèle Sud devait avoir lieu un jour ou l’autre. Le planteur syndicaliste, aujourd’hui élu régional délégué à l’agriculture, a répondu au pied levé à l’invitation, signe d’une énorme envie de partager sa passion avec les jeunes générations.

Jean-Bernard Maratchia, planteur de canne et élu régional délégué à l’agriculture.

1. De la honte à la fierté

Langage de vérité face aux enfants ! C’est de l’authentique, comme dirait Marcel Pagnol, avec une petite larme qui pointe au coin de l’œil. Jean-Bernard Maratchia s’est reconnu dans les regards des enfants scolarisés en classe Segpa. « Papa ne savait pas lire, je signais mes bulletins moi-même. Ne faites pas ça ! » Il raconte sa honte d’enfant quand ses camarades se moquaient de lui parce qu’il était un paysan, parce que son père venait le chercher en camion avec de la paille dedans et qu’il devait aller au champ avant d’aller à l’école. Dès ses 3 ans, il allait au champ.

Il leur raconte sa fierté d’être planteur depuis 1984, date à laquelle il a repris les terres de son père. C’est ce que les enfants écriront ensuite dans leur journal. Il leur dit que ce qui était alors considéré comme un « sous-métier » apparaît aujourd’hui comme une richesse aux yeux de la société. « Quand tu es agriculteur, tu as du foncier et quand tu travailles, à la fin tu obtiens un résultat positif. »

2. Le syndicalisme

Jean-Bernard Maratchia fait sans doute partie des planteurs les plus efficaces. Avec ces 4,45 hectares, il produit jusqu’à 600 tonnes de canne par an. Et en même temps il mène une carrière de syndicaliste à la CGPER. « Quand ça va pas à l’usine, on bloque tout ! » Ça, c’était en 1995. Aujourd’hui, ce qui l’inquiète, c’est la sécheresse et le manque de main-d’œuvre. L’élu qu’il est devenu en 2021 déplore l’imprévoyance des politiques agricoles face à la montée de l’urbanisation. Il s’attend cette année encore à une très mauvaise récolte si la météo reste défavorable.

3. Les risques sur la santé

Alors que le sujet a fait polémique, lui, ne regrette pas les interdictions de plus en plus nombreuses sur l’utilisation des engrais et pesticides chimiques. Il remplace les « molécules » par une méthode de travail héritée de son père : le désherbage mécanique : « On broie les mauvaises herbes, on les laisse à terre pour enrichir le sol. On emploie moins de désherbants. Moi-même j’ai utilisé du désherbant sans protection depuis que je suis très jeune. Eh bien aujourd’hui je suis malade dès que je vide un bidon de désherbant dans un autre. J’espère que ce n’est rien mais, vous savez, il y a beaucoup de cancers chez les agriculteurs »

4. Un métier d’avenir ?

Il est difficile de séduire les collégiens qui regardent leurs chaussures quand le fier planteur leur demande s’ils veulent devenir agriculteurs. Mais il essaie quand même. Lui a commencé sans diplôme, ce n’est plus possible aujourd’hui, prévient-il : « Il faut travailler à l’école. » Et plus généralement, il explique qu’il va falloir nourrir un million d’habitants et récupérer les terres en friche. « On a fait des études à la Région pour installer des centaines de jeunes sur des parcelles de 5 000 m2. Mon envie c’est de voir ces jeunes sortir des lycées agricoles pour nourrir nos enfants avec nos produits. Si demain il y a une guerre, faut penser à ça »… 

Mais même en leur proposant de « faire du maréchage en hauteur, en restant propre », aucune vocation d’agriculteur ne s’est révélée…

5. Replanter les légumes longtemps mais pas le riz

Avec nostalgie, Jean-Bernard Maratchia regrette la saveur des « légumes longtemps, patates, manioc »… « Au lycée de Saint-Paul ils en produisent et les élèves adorent. Il n’y a pas besoin d’empiéter sur les surfaces de cannes pour y arriver. Il suffit de récupérer 6 000 hectares de terres en friche. Il y a l’argent de l’Europe et de la France pour nous permettre d’installer des jeunes. »

Il  raconte aussi que son père plantait du riz mais que cette culture a été abandonnée à cause de la Soboriz qui a fait chuter le prix du riz importé. « On n’arrivait plus à vendre notre riz parce qu’il coûtait trop cher.  Aujourd’hui ce serait compliqué de cultiver à nouveau du riz , il faudrait recouvrir les champs de filets à cause des oiseaux. Ici on mange 65 kilos de riz par an et par habitant, il faudrait que Madagascar redevienne le grenier à riz de l’océan Indien ».

6. Qui s’enrichit ?

« Je fais du fruit de la passion, je le vend à 5€ le kilo et en magasin il est à 10€ le kilo. C’est l’intermédiaire qui gagne de l’argent. Il faut que demain on développe les ventes directes entre le producteur et le consommateur pour que personne ne s’enrichisse sur notre dos. » 

7. La canne, une valeur sûre

L’élu régional défend la canne comme étant une culture respectueuse de l’environnement : « Elle capte 90% des gaz d’échappement et elle nous protège de l’érosion car ses racines retiennent la terre. C’est notre histoire et notre environnement social. C’est notre paysage. On ne peut pas voir La Réunion sans la canne. On dit qu’on est trop subventionné. Mais quel secteur n’est pas subventionné ? On a le RSA. On a les transporteurs qui sont aidés pour acheter des bus et des camions. Même les fonctionnaires, ils ont 53% de vie chère. La canne est résistante. Après un cyclone toutes les cultures sont par terre mais je n’ai jamais eu plus de 20% de perte après un cyclone. Mon banquier sait bien qu’avec la canne, je suis sûr d’être payé. C’est un métier dur, mais c’est une valeur sûre. »

8. Urbanisation injuste

Enfin, Jean-Bernard Maratchia raconte aux enfants que des subventions européennes ont servi à améliorer des terres agricoles qui on été déclassées ensuite. « C’est injuste, on a pris l’argent du contribuable, et les terres qu’on a améliorées sont envahies de constructions en béton. On pousse les agriculteurs vers des terres plus difficiles à cultiver. A cause des constructions et du béton, les gens sont inondés à chaque fois qu’il y a la pluie. Les ravines débordent. Il y a le réchauffement climatique qui provoque des cyclones plus puissants. C’est à votre génération de corriger les erreurs que nous avons faites. »

Propos recueillis par les collégiens

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.