[Aménagement] Chantier sur le dernier fragment de savane

CONSTRUCTION DU WOOD HOTEL SUR LA POINTE DE LA GRANDE RAVINE À TROIS-BASSINS

Inéluctable progrès ? Ou destruction aveugle de la nature ? La côte Ouest, théoriquement protégée par le Conservatoire du Littoral est en train de perdre un dernier espace de respiration et de savane avec la construction d’un complexe hôtelier d’une centaine de suites de luxe.

Quiproquo au téléphone. Daniel Pausé, le maire de Trois-Bassins affirme qu’il n’y a aucun souci sur le chantier du Wood Hotel. Les travaux seront « terminés comme annoncé » en novembre 2023… Sauf que novembre 2023 c’est maintenant et ce qui est présenté comme le nouveau fleuron de l’hôtellerie réunionnaise est loin d’être achevé. Les communications datant de la pose de la première pierre, le 23 juin 2022, auraient donc été mal rapportées par les médias locaux et il aurait fallu entendre « novembre 2024 »

En tout état de cause le site internet de ce projet hôtelier du groupe Côté Sun Hotel, annonce toujours une « ouverture début 2024 ». Au vu de l’avancement du chantier, cela semble impossible. Joint au téléphone, Christian Wolff, le gérant du groupe, indique que le conseil d’administration a décidé de ne pas communiquer sur le Wood Hotel.

Après quelques coups de fils, le maire de Trois Bassins assure que l’on ne se dirige pas vers le scénario catastrophe du Superbe, du nom de l’hôtel fantôme jamais achevé qui a défiguré le magnifique site de Basse Vallée à Saint-Philippe. « Ici, nous avons affaire à des investisseurs réunionnais sérieux (le groupe hôtelier et la société Fibres spécialisée dans la construction en bois), ça pousse doucement mais sûrement ».

Une enclave constructible au milieu de sites protégés

Piano, piano, c’est en effet ce qui apparaît quand on voit que le permis de construire date de 2017. Le projet a inévitablement dû surmonter les obstacles fonciers dans une zone minée par les conflits de propriété, il a aussi traversé la période d’incertitude du Covid. Il s’est mûri sans tempête apparente malgré le point sensible de sa localisation sur l’un des derniers sites préservés de la côte ouest : la pointe de la Grande Ravine également appelée pointe des Diamants.

A la consultation de la carte des sites protégés du Conservatoire du Littoral on distingue à peine une petite enclave à urbaniser qui s’est glissée entre deux zones naturelles bleu clair. « Le plan d’occupation des sols (ancêtre du Plan local d’urbanisme) a été modifié en 2001 pour inscrire cette zone de développement touristique, indique Daniel Pausé. C’est d’ailleurs la seule zone touristique que nous avons gardée ». 

Le Wood hôtel se construit sur une enclave au milieu des sites protégés du Conservatoire du littoral.

Le futur hôtel voisine, au nord, le site protégé de la pointe des Trois-Bassins et se trouve à la lisière de celui de la Grande Ravine. Le premier est présenté comme étant « d’une grande qualité paysagère » : « des espaces ouverts de savanes herbacées alternent avec des poches de végétation arbustive de bord de mer et des affleurements rocheux ainsi que des ravines et des falaises offrant des points de vue vers le Sud. » Le second est décrit comme le « refuge des dernières reliques de végétation indigène, devenues très rares à l’échelle de l’île ».

Promesse d’invisibilité

Nous avons rencontré un riverain, nostalgique des années 1970 et d’un rare endroit « où on trouvait un habitat des hauts dans les bas ». Depuis la Souris Blanche s’est considérablement bétonnée et ce n’est pas fini. Les projections municipales prévoient un millier d’habitants en plus pendant les dix prochaines années soit le doublement de la population de cet écart trois-bassinois. « Pour l’hôtel, ils ont totalement détruit de magnifiques rochers de basalte à coups de bulldozer », déplore le riverain. Il s’inquiète pour les salanganes nichant dans les grottes des remparts de la Grande Ravine, ces oiseaux ultra-vifs ont l’habitude de venir chasser sur le site.

La Souris Blanche se développe. Les projections démographiques de la mairie lui attribuent mille habitants supplémentaires dans dix ans.

L’architecte Eric Chavoix, maître d’oeuvre de l’hôtel, défend un projet, quasiment tout en bois, végétalisé avec des essences endémiques de la savane et s’intégrant au paysage d’origine en replaçant les rochers. L’hôtel promet d’être invisible vu du ciel. L’éclairage sera étudié afin de ne pas perturber les vols de pétrels. La piscine de 50 mètres sera chauffée grâce à la récupération des énergies produites par l’établissement… « Il ne faut pas s’inquiéter, il reste beaucoup de savane tout autour de nous », précise-t-il.

Photo publiée sur la page Facebook du Wood Hotel.

Le complexe de luxe (84 suites et 5 villas) n’empiète pas sur le domaine public maritime. Un panneau à l’entrée du chantier vante la préservation d’un « chemin pêcheur ». Pas de quoi rassurer le collectif SOS DPM 974 qui se bat pour que le littoral ne soit pas confisqué aux Réunionnais. Dominique Gamel prévient : « Nous avons déjà averti que nous ne laisserons pas cet hôtel s’accaparer le littoral où se trouvent quelques criques et une petite plage. » Le porte-parole du collectif propose que le projet de sentier littoral, promu par le Territoire de l’Ouest, équipe cette pointe des Diamants de tables de pique-nique pour que ça profite à toute la population.

Vers la ville annulaire

Il ne croit pas l’annonce faite lors de la pose de la première pierre, d’un hôtel destiné à la clientèle locale. « C’est du tourisme de grand luxe qui pratiquera des tarifs exorbitants que la grande majorité des Réunionnais ne pourront pas se payer. C’est encore un moyen de nous priver de nos plus beaux sites naturels », dénonce Dominique Gamel.

Ce n’est pas le sentiment de Daniel Pausé qui se félicite d’accompagner le projet du Wood Hotel depuis le début. Le maire de Trois Bassins assure que le littoral restera accessible à tous. « Nous sommes aux côtés des investisseurs pour lever toutes les contraintes. Il faut développer des emplois sur notre commune et cet hôtel va en créer 70. Nous avons monté une commission d’insertion avec des propositions de formation pour que ça profite le plus possible aux habitants de Trois-Bassins. »

Avec fatalisme, les défenseurs de la nature remarquent que l’argument de l’emploi l’emporte toujours sur les considérations environnementales. C’est un pas de plus vers la ville annulaire qui bétonnera tout le pourtour de La Réunion.

Franck Cellier

La pointe des Diamants avant le chantier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.