MOBILITÉ
Le réseau Car Jaune est le réseau de transport interurbain phare à La Réunion. Mais entre ses retards, son manque de place dans les cars et de concordance avec les autres réseaux, le service peine parfois à satisfaire ses usagers et à convaincre les aficionados de la voiture.
Il est 17 heures un mardi à l’arrêt 2 de la gare de Saint-Paul et le bus en direction de Saint-Pierre est très attendu. Combien descendront, combien pourront monter ?
Quand il arrive enfin, seule la porte arrière pour la descente est ouverte. Puis c’est le champ de bataille. Dans ce jeu de coudes, il n’y a plus de statut prioritaire, c’est chacun pour sa peau et non plus les femmes et les enfants d’abord. Un jeune homme encercle sa copine pour lui permettre de se frayer une place dans la file. Une fois à l’intérieur, chacun scrute les places à la recherche d’une qui serait libre. Deux personnes restent debout au milieu du bus à la place « handicapé ». Le chauffeur les interpelle : « Vous savez très bien qu’il n’y a pas de places debout dans les Car jaune ». Ils redescendent agacés, et rejoignent les autres restés sur le trottoir, contraints d’attendre le prochain qui pourrait être tout aussi bondé.
Cette scène, c’est le quotidien de nombreux usagers des Car jaune. Lycéens, étudiants, retraités, actifs ou chômeurs.
Une étudiante, usagère régulière, nous raconte :
« Un jour, on m’a refoulée de trois bus dans la même journée parce qu’il n’y avait plus de place. Le premier c’était à Saint-Paul pour aller vers Saint-Denis et les deux autres fois c’était au Barachois. Pourtant le Barachois, c’est le deuxième arrêt après la gare de Saint-Denis d’où part le car. J’allais jusqu’à La Ravine-des-Cabris et une fois arrivée à Saint-Pierre, je n’avais plus de bus pour monter chez moi. Heureusement qu’une amie m’a hébergée, sinon j’aurais dormi dans la rue. »
Satisfaction quasi totale des passagers ?
Il y a eu 5,8 millions de passagers en 2022, soient 20 000 voyageurs quotidiens, et presque 9 usagers sur 10 (8,8) se déclaraient satisfaits de la prestation du service public de la Région opéré par le groupement Cap’Run. Sur le site MobiL’idées, le magazine sur la mobilité durable à La Réunion, on peut même lire que « le réseau Car Jaune est considéré par les acteurs de transports de voyageurs de l’Hexagone comme le réseau interurbain le plus performant de France. »
Pourtant, entre retards presque systématiques, qui sont aussi symptomatiques de la problématique de la circulation à La Réunion, le manque de places et de flexibilité horaire et même parfois l’insalubrité, le portrait dressé par des usagers rencontrés ne semble pas à être à la hauteur d’un service qui pourrait réduire le nombre d’automobilistes à La Réunion.
Lilian Reilhac, fondateur du magazine MobiL’Idées dédié à la mobilité durable à La Réunion, connaît bien le sujet. Lui qui pratique le réseau depuis une quinzaine d’années sait qu’il y a une marche de progrès à faire mais souligne une nette amélioration en termes de fréquentation et de fréquence depuis les débuts de Car Jaune.
Certains véhicules, vieillissants, devraient être remplacés à partir d’avril 2025 et d’autres devraient s’y ajouter.
Le Car Jaune plus rapide que la voiture ?
Actuellement il y a 75 véhicules, en avril on devrait pouvoir en compter 120. Plus de bus, pour plus de cadence car la Région souhaite que les principales lignes passent d’une fréquence de 20 à 25 minutes contre une heure actuellement (pour les lignes O1 et O2 Saint-Pierre/Saint-Denis). Et cela a évidemment un coût, 2,5 millions de kilomètres, en plus des 8 millions de kilomètres annuels actuels, qui s’ajouteront aux 29 millions d’euros annuels que dépense la Région pour ce réseau.
Améliorer la fréquence des bus, c’est une chose. Améliorer leur rapidité en est une autre. Car, à défaut, d’être laissés sur le carreau, les passagers pourront monter dans des bus mais subiront toujours les mêmes embouteillages.
Ce à quoi Lilian Reilhac répond qu’avec les voies réservées aux transports en commun et notamment celles située à l’entrée de Saint-Paul ou sur la Nouvelle Route du Littoral, le réseau a gagné en rapidité. Et sur certains horaires de pointe, cela permet même au car qui part de Saint-Pierre pour aller à Saint-Denis d’être plus rapide que la voiture. Sur certains horaires spécifiques, ce qui ne permet pas d’en faire une généralité.
« Cela a mis du temps pour que la Région comprenne l’intérêt de ces voies mais c’est chose faite », relève Lilian Reilhac. Une voie réservée est à l’étude pour l’entrée de Saint-Pierre. Si ces voies se développent, et que les Car jaune deviennent plus rapides que la voiture, peut-être que le service pourra prétendre attirer les automobilistes mais ce n’est pas encore le cas.
On aimerait croire à cette campagne de pub, mais difficile de travailler ou de dormir quand vous avez une fuite d’eau juste au-dessus de votre tête …
Du car à la trottinette
D’autant qu’en dehors des problématiques du réseau interurbain, il existe un manque de concordance entre les Car Jaune et les réseaux urbains de l’île. Par exemple, la gare routière de Saint-Pierre située rue du Presbytère est éloignée d’un kilomètre du pôle d’échange urbain, ce qui ne facilite pas la fluidité pour les usagers.
Sur ce point, certains utilisateurs ont choisi de compter sur leurs propres moyens avec des trottinettes, vélos pliables ou encore skates. « Les nouveaux cars seront équipés de rails à vélo, c’est une mobilité douce qui peut être combinée pour gagner en rapidité. »
Concernant la sécurité, malgré quelques apparitions dans les faits divers, le réseau Car jaune s’en sort plutôt bien comparé à ceux de l’Hexagone. « L’insécurité dans les transports à La Réunion est deux fois moins importante qu’ailleurs. Avant, certaines personnes n’osaient pas prendre le bus par crainte d’incivilité mais cela a été réglé, même s’il ne faut pas baisser les moyens dans ce domaine à mon sens. »
Avec les nouveaux véhicules attendus pour avril et les projets de voie réservée aux bus, la Région Réunion semble prendre conscience des lacunes du réseau même si cela touche plus largement au problème de la circulation sur l’île. Rendez-vous dans un an pour voir si le constat aura évolué.
Léa Morineau
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