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[Cinéma] Le Coruskan, brillant sous la pluie

TOURNAGE À CILAOS

Le Coruskan , nouveau film de Fred Eyriey tourné de décembre à janvier à Cilaos est la promesse d’un cinéma cent pour cent créole. Une promesse entravée par la météo et les difficultés de financement.  

tournage du film Le Coruskan de Fred Eyriey à Cilaos
C’est dans l’écrin de Cilaos que Fred Eyriey a choisi de tourner son long métrage Le Coruskan ; une future perle ? (Photos PhN)

«Le samoussa lé pa tro mouyé?», s’esclaffe un spectateur assidu à chaque prise de la même scène. C’est la dernière journée de tournage pour Le Coruskan que le cyclone Belal a grandement perturbé. Dans la rue principale de Cilaos, les figurants improvisés patientent à l’abri de la pluie, les badauds s’arrêtent et observent la scène d’un air curieux sous les injonctions de silence de l’équipe technique. 

Au pied de la case rose emblématique de Cilaos, Marie-Alice Sinaman joue une coiffeuse et Laurent Faubourg est le personnage principal. Ils mangent un samoussa à chaque prise quitte à frôler l’indigestion. «Je n’en mangerai plus jamais», rit-elle. Il pleut, et quelqu’un avance vers eux pour se faire coiffer, il faut dire que le panonceau sur la case est vendeur : «Rentrer vilain, sortir joli». Ce n’est autre que Fred Eyriey, le réalisateur, devenu figurant le temps d’une scène. « On a voulu que les membres de l’équipe fassent de la figuration pour faire un petit clin d’œil, mais sans la prétention de se comparer à Hitchcock », sourit-il. 

  • tournage du film Le Coruskan de Fred Eyriey à Cilaos
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Le Coruskan, c’est une promesse simple : un film avec un casting réunionnais, entièrement en créole, dans un huis clos cilaosien. C’est un long-métrage avec une histoire universelle mais un film réunionnais et authentique, pas juste une carte postale où tous les plus beaux paysages de l’île défilent pour promouvoir le tourisme. Néanmoins, Fred Eyriey souhaite donner la part belle à la nature cilaosienne, qu’il décrit comme « l’essence même du film». 

Le scénario est le suivant : un viticulteur de Cilaos hérite de nouvelles terres à la mort de son père, des terres qu’il souhaite exclusivement donner à des agriculteurs bio. Cette décision ne fait pas l’unanimité dans le village, ce qui va amener le personnage principal à une découverte de la complexité des rapports humains au travers aussi du triangle amoureux qui se forme autour de lui. 

Au casting, on retrouve Gora Patel (ancien DG de Réunion la Première), Marie-Alice Sinaman (Ze Tantines), la chanteuse Ann O’Aro (voir ci-dessous) ou encore Rachel Pothin (Théâtre Vollard). 

Seulement voilà, en dehors des aficionados d’Arte et de ceux qui veulent perfectionner leur anglais, le sous-titrage au cinéma n’a pas le vent en poupe. Et peu de films entièrement en créole ont réussi à obtenir du succès (critique comme commercial) en dehors de Rue Cases-Nègres (1983) d’Euzhan Palcy qui a obtenu un César, et de Sac la mort (2017) d’Emmanuel Parraud, film réunionnais sélectionné au Festival de Cannes. «Cette particularité a été un frein pour collaborer avec la télévision nationale notamment», explique Fred Eyriey. 

Dommage, car il faut parfois des initiatives fortes pour que le grand public suive. 

Le manque de structures de production locale n’a pas non plus joué en faveur du Coruskan, actuellement, le film est essentiellement financé par la Région Réunion mais ce n’était pas gagné. Le Coruskan est passé par plusieurs comités de lecture avant d’être validé. Comme si les services en charge de l’attribution des subventions de la Région revoyaient leurs exigences à la hausse quand il s’agissait de soutenir un film entièrement réunionnais. De peur de participer à un navet dégradant l’image du cinéma pays peut-être ? 

«En dernier recours, et je n’aime pas faire ça, j’ai dû m’adresser directement aux politiques pour obtenir gain de cause », regrette Fred Eyriey.

Quoi qu’il en soit, le budget du film est très modeste pour un long-métrage puisqu’il n’excède même pas 800 000 euros, quand le budget moyen d’un film français était de 4,4 millions d’euros en 2022. Ce qui s’explique par une équipe réduite de 23 techniciens contre à peu près le double habituellement et un cachet solidaire, chaque acteur étant payé au même montant à la journée de tournage. 

  • tournage du film Le Coruskan de Fred Eyriey à Cilaos
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Au-delà des problématiques de financement, l’équipe du film a dû faire face aux aléas climatiques propres à La Réunion. Cyclone Belal, éboulements sur la route de Cilaos et fortes pluies ont chamboulé l’organisation. Pour autant, l’été austral était une condition pour le film parce que les vignes devaient être vertes pour les besoins du scénario. De plus, Jean-Laurent Faubourg, l’acteur principal, est professeur des écoles et n’est disponible que pendant les vacances scolaires.

Fred Eyriey souhaite que le film soit terminé en juillet/août, montage compris, pour une sortie en salle en fin d’année , il espère distribuer Le Coruskan à l’international et dans des festivals.

Léa Morineau

Ann O’Aro, artiste multitâche

tournage du film Le Coruskan de Fred Eyriey à Cilaos

Comédienne, Ann O’Aro est également chanteuse et musicienne, auteure et compositrice, mais aussi danseuse et chorégraphe. Elle est désormais connue pour son style de maloya organique. Ann 0’Aro tient le rôle principal dans Coruskan, et s’est vue confier par Fred Eyriey, le réalisateur, la lourde tâche de composer la musique du film. Deux de ses chansons avaient été choisies pour illustrer le court métrage produit avant le long.

« Pour l’instant, je me concentre sur mon jeu d’actrice. La musique, ça viendra plus tard », nous a-t-elle confié. Après le tournage, elle n’aura que peu de temps entre deux mois de concerts déjà prévus, le visionnage des images du film, savoir les besoins du film avec le réalisateur et les moyens qui seront mis à sa disposition.

Malgré tout, elle a déjà commencé à réfléchir à sa composition future. « Il n’y aura pas que des instruments et musiques traditionnels », explique-t-elle. Elle attribue un thème musical, un instrument à chacun des personnages. Ce qui permet de façon très subtile d’indiquer au spectateur qu’il y a dans une scène une référence au personnage en question. « Le père de Gito, par exemple, joue de la guitare électrique. On ne peut lui attribuer un instrument traditionnel », remarque la chanteuse. Pour autant, l’ambiance d’un film qui donne la part belle aux paysages, qui veut prendre le temps de la narration, aura bien besoin de références musicales réunionnaises. « Pour les moyens, j’aurai besoin d’embaucher des musiciens, de travailler dans un studio, toutes choses qui ont un coût dans la production musicale », relève-t-elle. 

Sa composition sera-t-elle l’objet d’un disque ? « Peut-être, mais ce n’est pas l’objet; mon rôle est d’illustrer les images, pas de faire des chansons. » D’ailleurs, ne dit-on pas qu’une bonne musique de film, c’est une musique que le spectateur n’entend pas ?

PhN

A propos de l'auteur

Léa Morineau | Apprenti journaliste

Cocktail de douceur angevine et d'intensité réunionnaise, Léa Morineau a rejoint l'équipe de Parallèle Sud pour l'éducation aux médias et à l'information, elle s'est rapidement prise au jeu du journalisme. A travers ses articles, elle souhaite apporter le regard de sa génération et défendre un journalisme qui rayonne au-delà des apparences.