Crise climatique : fin du monde et petits fours*

LIBRE EXPRESSION

À qui profite la crise ?

Aux RICHES, vraiment très RICHES !

Les ultra-riches ne rassemblent que 1% de la population mondiale.

Pendant la période 1990-2015, ce 1% a été responsable de plus de la moitié des émissions cumulées de dioxyde de carbone (CO2) liées à la consommation.

Les immenses fortunes des ultra-riches sont réparties entre des liquidités, des biens immobiliers et des actifs financiers. Ces derniers sont administrés par des gestionnaires spécialisés — BlackRock, Vanguard, State Street, pour les 3 plus importants — grassement rémunérés pour faire fructifier leur patrimoine, à travers fonds d’investissements privés, fonds spéculatifs, fonds communs de placement, etc.

Selon Capgemini(1), certains riches , dont la fortune est supérieure à 1 million de dollars, disposent de 70 000 milliards de dollars d’« actifs sous gestion », c’est-à-dire confiés à des gestionnaires d’actifs financiers (comme BlackRock !).

Sous l’angle de leurs portefeuilles d’actifs — et donc de leurs investissements personnels — les très riches ont un réel impact sur le climat, dans la mesure où ils polluent plus, à travers leurs propres investissements, que par leur consommation ordinaire.

Depuis les années 1990, leur empreinte carbone(2) n’a fait que s’accroître. Incroyable mais vrai ! Plus les inégalités de richesses augmentent et plus la responsabilité des riches dans la crise climatique est grande, du simple fait de leurs choix d’investissements.

La force de frappe des ultra-riches — et des gestionnaires d’actifs qui gèrent leurs fortunes — leur confère un pouvoir exorbitant sur l’économie réelle et, en particulier, sur les entreprises où ils investissent.

Les centaines de milliards d’euros investis exposent les riches aux conséquences du dérèglement climatique et, in fine, aux répercussions des politiques gouvernementales mises en œuvre pour y faire face.

Les dégâts, matériels et économiques, engendrés par un ouragan, une inondation ou une grande sécheresse, ont des conséquences sur la valeur de leurs portefeuilles d’actifs.

Donc, sur leurs fortunes personnelles !

En vue d’un possible EFFONDREMENT de notre SOCIÉTÉ OCCIDENTALE ?

Face à une catastrophe climatique que les riches estiment inéluctable, voire incontrôlable, ils ont le choix entre deux possibilités :

  1. Le repli sur soi, en investissant dans :
    — des communautés agricoles autosuffisantes ;
    — des bunkers de luxe au milieu du désert de l’Arizona, au fin fond de la Patagonie ou en Nouvelle-Zélande.

Ces survivalistes(3) ont une obsession : se prémunir du changement climatique en s’éloignant des autres humains.

2. L’engagement dans le débat climatique, à travers l’orientation des politiques éponymes, en œuvrant sur deux tableaux :

  • Atténuer la menace de la crise climatique sur leurs actifs.
  • Transformer l’atténuation de cette menace en une nouvelle source de revenus. Donc de s’enrichir encore et toujours !

Intéressons-nous à ces derniers et retrouvons-les au summum de l’entre-soi climatique, autrement dit à la très belle station de ski de Davos, en Suisse. Tous les ans, à l’occasion du Forum économique mondial (FEM), se réunissent anciens ministres et chefs d’État, entrepreneurs à succès, financiers philanthropes, responsables d’organisations non gouvernementales (ONG), célébrités et experts en tout genre, pour parler climat et développement durable.

Lors de l’édition 2020, l’ancien vice-président états-unien Al Gore qui, par ailleurs, codirige une société de capital-risque spécialisée dans les investissements bas carbone(4), a gratifié les participants du FEM d’un discours passionné sur la gravité de la situation climatique. Pourquoi ? De façon à faire peur aux super-riches et… à les rallier à sa cause !

C’est un entrisme de l’entre-soi où les élites parlent aux élites.

Désormais convaincus, ces activistes climatiques d’un genre nouveau estiment qu’en s’engageant ainsi, ils pourront orienter non seulement le débat, mais aussi et surtout, les choix politiques, afin d’éviter le pire pour leur patrimoine.

Au passage, ils pourront même s’enrichir et conforter un peu (beaucoup ?) plus leur pouvoir !

De l’INTÉRÊT de SE RASSEMBLER !

A bord de leurs jets privés(5), ils vont de pays en pays, ne ratant aucun rendez-vous climatique, pour prêcher « leur bonne parole » parmi leurs semblables (très riches comme eux !) et auprès des décideurs politiques locaux. Membres de ce que l’on appelle depuis quelque temps la « jet-set climatique », ils ressassent inlassablement le même discours, savant mélange de constat d’urgence, de critique du manque d’ambitions des États, de célébration des forces du marché, voire d’autosatisfecit quant à leur propre rôle de « champions » de la crise climatique.

Rien que cela !

Ainsi, ils incarnent une nouvelle conscience climatique de classe fondée sur l’idée que leur propre salut — en tant qu’ultra-riches soucieux de préserver leurs privilèges — passera par le remplacement du capitalisme fossile actuel(6) par une variante qu’on appelle déjà le capitalisme vert. En lien direct avec la décarbonation(7) !

Après quelques tours du monde (toujours à bord de leurs jets privés !), ces activistes climatiques d’un genre nouveau regroupent autour d’eux, petit à petit, consultants en tout genre, experts incontournables, représentants d’ONG, fondations et think tanks (groupes de réflexion privés), hauts fonctionnaires, bureaucrates de l’ONU, grands communicants et scientifiques spécialistes, pour agir, de concert, dans l’orientation du calendrier climatique et imposer le capitalisme vert, au travers de leur vision d’un monde bas carbone.

Le gros mot est lâché !

La valorisation du carbone et sa conversion en marchandise échangeable sur les marchés financiers sont au cœur du projet de mise en place du capitalisme vert. En valorisant les forêts et autres puits naturels de carbone(8), les nouvelles élites climatiques ne vont pas seulement créer de nouvelles opportunités économiques pour les ultras-riches, mais elles vont aussi favoriser une convergence entre :

  • d’un côté, les grands propriétaires terriens et les adeptes des parcs naturels et des thèses néomalthusiennes(9),
  • et, de l’autre, les nouvelles élites issues de la tech(nologie) et de la finance.

De simples puits de carbone, les forêts sont devenues des puits de crédit carbone pouvant être échangés sur les marchés internationaux. Cette marchandisation carbone des forêts va attiser de nombreuses convoitises et engendrer de nouvelles vocations (et ce, malgré des résultats pour le moins douteux en matière de réductions des émissions de CO2 et de protection des populations locales !). L’avenir sera vert ou ne sera pas !

De la NÉCESSITÉ de COMMUNIQUER !

La route de la normalisation du capitalisme vert passe par la communication. Présentement, dans ce domaine, il n’y a pas mieux que McKinsey and Co, la prestigieuse société de conseil en stratégie(10) qui s’est imposée comme un acteur incontournable du débat climatique international. Parmi les intervenants publics et privés, du Nord comme du Sud, la firme américaine a diffusé une compréhension commune de l’enjeu mondial et des solutions qu’elle propose. La décarbonation de nos différentes sociétés n’est pas seulement nécessaire (indispensable ?) du point de vue environnemental, mais également souhaitable du point de vue économique. En clair, les entreprises et les investisseurs privés sont les mieux à même de définir et de réaliser la transition climatique.

Cibler les seuls décideurs politiques et élites économiques ne suffisant plus, il importe de mobiliser, d’engager de nouveaux publics : des scientifiques (à travers les experts), et des spécialistes en communication (avec les grands médias), afin de s’assurer que leurs discours respectifs soient alignés sur celui des élites et leur projet d’accord climatique. Ainsi, tout ce beau monde étant au diapason et répandant le même récit, les politiques, comme les entreprises et les consommateurs, sont incités à s’engager sur la voie de la transition bas carbone.

L’avenir est tracé !

Restent les manifestations diverses et variées, les marches pour le climat de Friday for Future/Youth for Climate (YFC) et les actions de désobéissance civile d’Extinction Rebellion (XR) et de quelques autres ! Depuis la fin de l’année 2018, le mouvement des Gilets jaunes et le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) sur les 1,5°C de réchauffement planétaire, on assiste à une montée en puissance des mobilisations pour le climat. Parallèlement, les élites climatiques fournissent un effort concerté de réappropriation et d’instrumentalisation du mouvement climat(11). De menace, ce mouvement, aux marges du processus de négociations onusien, est devenu un outil au service du nouveau régime climatique mondial instauré par l’Accord de Paris(12) et les intérêts qui le sous-tendent. Désormais, il est de bon ton d’applaudir, d’encourager (voire de financer ?) les interventions de Greta Thunberg et les manifs d’XR. Ces nombreux témoignages de sympathie transparaissent non seulement sur les réseaux (a)sociaux, mais aussi dans les grands médias. Au final, comme un anaconda ou un boa constricteur, les élites climatiques cherchent-elles à enserrer le mouvement climat pour l’étouffer, l’avaler et le régurgiter vidé de son potentiel de transformation sociale ?                                                                                        

 À suivre !

Michel Boussard

* Fin du monde et petits fours : les ultra-riches face à la crise climatique. Livre d’Édouard MORENA, La Découverte, février 2023, 163 pages.

Autres références d’ouvrages (en français) cités par l’auteur, en bas de page :

  • « Comment les riches détruisent la planète » par Hervé Kempf, Seuil, 2007 ;
  • « Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales » par Aykut, Stefan et Amy Dahan, Presses de Sciences Po, 2015.

NOTES

(1) Capgemini est une très importante entreprise de services du numérique (ESN) française créée en 1967 à Grenoble.

(2) L’empreinte carbone est un indicateur qui vise à mesurer l’impact d’une activité sur l’environnement, et plus particulièrement, les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à cette activité. Dioxyde de carbone (CO2) et méthane principalement.

L’empreinte carbone peut s’appliquer à un individu, à une entreprise ou à un territoire.

(3) Le survivalisme désigne les activités d’individus qui se préparent à une catastrophe éventuelle, à l’échelle locale ou globale, à un cataclysme ou à l’effondrement de la civilisation industrielle.

(4) Un projet bas carbone est un projet qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), ou de séquestrer les émissions de CO2.

(5) A propos des jets privés : malgré une forte mobilisation (avec pétitions, …) et l’urgence absolue dans laquelle nous nous trouvons de réduire rapidement nos émissions de GES, à commencer par les plus superflues, nos député-es ont voté contre l’interdiction des vols en jet privé, le 6 avril 2023.

Dans ce domaine de l’utilisation des jets privés, la France est championne d’Europe !

(6) Le capitalisme fossile actuel est basé sur la consommation effrénée d’énergies primaires émettrices de GES, c’est-à-dire de combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel).

La société multinationale française Total investit-t-elle plus dans la recherche de pétrole et de gaz que dans les énergies renouvelables ?

(7) La décarbonation, ou décarbonisation, désigne l’ensemble des mesures et techniques mises en place en vue de limiter l’empreinte carbone d’une entreprise, d’un secteur d’activité, d’un pays ou d’une économie. Autrement dit de réduire la consommation de combustibles fossiles et de stoker le CO2 dans le sous-sol.

(8) Les puits naturels de carbone, ou puits de CO2, sont en premier les océans, en second les arbres des forêts, les sols des landes, des marais et le bocage.

(9) Le néomalthusianisme se fonde sur le postulat que la planète Terre est un système fini et que ses ressources naturelles sont limitées. C’est une actualisation de la doctrine de l’économiste britannique Thomas MALTHUS (1766-1834).

Pour faire court, les néomalthusiens font de la limitation des naissances sur Terre un droit et un devoir humains.

(10) McKinsey & Company est un cabinet international leader du conseil en stratégie. Fondé en 1926, son siège est à New York. Il est présent dans 60 pays. En France depuis un demi-siècle, il dispose de 2 bureaux, à Paris et à Lyon. Aux dernières nouvelles :

(11) Le gouvernement français a bien versé 2,5 milliards d’euros à McKinsey et consorts, « pour services rendus » ;

— Jusqu’en 2021, l’Inspection générale des finances confirme l’explosion des dépenses en direction de cette société de conseil en stratégie.

— Le mouvement climat, ou pour le climat, est un mouvement social mondial qui vise à faire pression sur les gouvernements et l’industrie pour qu’ils agissent contre les causes et les impacts du changement climatique.

(12) L’Accord de Paris est un traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques. Il a été adopté par 196 Parties (pays) lors de la COP21, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, à Paris, le 12 décembre 2015. Il est entré en vigueur le 4 novembre 2016.

Son objectif primordial est de maintenir « l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels » et de poursuivre les efforts « pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels ».

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