VERDISSEMENT DES CENTRALES THERMIQUES D’ALBIOMA ET EDF
Plan après plan, c’est le même objectif de rendre La Réunion autonome pour son énergie. Bilan après bilan, notre île reste toujours aussi dépendante des importations de pétrole et de charbon. Le verdissement des centrales thermiques d’Albioma et d’EDF annonce la fin des énergies fossiles en 2023 pour la production d’électricité. Mais il perpétue la dépendance à des importations de bois et d’huiles végétales. L’autonomie énergétique est-elle une blague ?
Le Programmation pluriannuelle de l’énergie pour La Réunion est publiée au Journal officiel depuis le 21 avril dernier. Ce document engage le territoire quant à ses choix énergétiques jusqu’à 2028. C’est dans le détail de ses pages que se dessine un projet écologique et vertueux… ou que se cache le diable !
La PPE telle qu’elle s’applique désormais avait été validée par l’ancienne majorité régionale puis à nouveau débattue par la nouvelle. Pour autant l’élu délégué à la transition énergétique, Jean-Pierre Chabriat, ne note pas de différence notable entre les deux documents, si ce n’est l’affirmation d’un nouveau plan solaire régional.
L’objectif reste le même : « l’autonomie énergétique ». La Réunion en est très loin aujourd’hui puisque 87,2% de l’énergie utilisée (pour les transports et la production d’électricité) est importée et provient de charbon, carburéacteur, fioul lourd, gazole et butane. Ce quota de dépendance au pétrole/charbon est de 64% pour la seule production d’électricité.
Les acteurs de la PPE (Etat, Région, opérateurs) annoncent pour l’année prochaine la fin de l’importation de pétrole et de charbon pour produire de l’électricité. Les centrales thermiques Albioma se convertiront à la biomasse solide : la bagasse pendant la coupe canne et des pellets de bois le reste de l’année. La centrale fioul lourd d’EDF tournera quant à elle aux huiles végétales (colza, jatropha, tournesol, orge), aux huiles de cuisson usagées et aux graisses animales.
Est-ce pour autant de l’autonomie ? Les plus critiques parlent même d’un « crime de l’autonomie » puisque l’essentiel de cette biomasse de remplacement viendra d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Afriques australe ou orientale. Réécouter à ce sujet la conférence « L’autonomie énergétique à La Réunion », de Farid Aubras, docteur et ingénieur en physique énergétique à l’Université de La Réunion captée par Parallèle Sud.
20% d’autonomie énergétique serait déjà une victoire
Jean-Pierre Chabriat (lire l’interview) tempère cette dépendance à la biomasse importée. « Toutes les augmentations de puissance le seront sur les énergies renouvelables locales », insiste-t-il. La nouvelle majorité compte sur la multiplication par 2,5 de l’électricité solaire d’ici 2028 pour faire enfin reculer la part des centrales thermiques. Il faudrait relancer les constructions des grosses centrales et équiper 10 000 toits de particuliers de petites centrales photovoltaïques chaque année (au lieu de 500 aujourd’hui). C’est un défi que les précédentes mandatures n’ont pas relevé.
Faire passer l’autonomie énergétique réunionnaise de 13% à 20% serait déjà considéré comme une victoire tant le chantier est immense. Une fois ramenés à cette réalité plus que modeste le concept de l’autonomie énergétique a du mal à se glorifier du verdissement des centrales.
Les huiles brûlées dans la centrale d’EDF viendront d’Europe. Le bois, transformés en pellets, brûlé dans les centrales Albioma de Bois-Rouge et du Gol proviendra d’Amérique du Nord. C’en est à se demander si la trace carbone laissée par le bateau durant les 21 jours de transport ne va pas annuler l’absorption du carbone par la biomasse…
Albioma abandonne le charbon : un immense chantier
« Pas du tout », démontre Pascal Langeron, directeur général adjoint d’Albioma sur La Réunion et Mayotte. La démarche a en effet obligé l’opérateur à calculer précisément ses émissions de gaz à effet de serre. Le remplacement du charbon par des granulés de bois abaisse de 84% ces émissions de GES. Elles sont décomposées en différents postes (2% pour la combustion, 26% pour le transport maritime, 9% pour le transport terrestre, 55% pour la transformation et 9% pour la culture et la collecte).
« Il est encore possible de réduire ses émissions si nous nous approvisionnons en Afrique, à 7 jours de bateau au lieu de 21 », précise le cadre d’Albioma. La société respectera les directives européennes en se fournissant auprès de forêts certifiées dont l’exploitation est durable (1 tonne de bois prélevé pour 1,9 t de régénération). Le bois brûlé à La Réunion devrait provenir des forêts d’Afrique australe, du Mozambique et d’Europe et pas seulement des Etats-Unis.
L’arrivée des premiers pellets (de la sciure de bois agglomérée) est prévue pour le mois d’août. Cette première livraison sera brûlée dans l’une des trois chaudières de Bois-Rouge.
Le chantier a commencé depuis 18 mois. Celui de la centrale du Gol va suivre. Les investissements ont été considérables (voir le document joint). L’aspect le plus spectaculaire de la conversion réside dans la construction de dômes où sera stocké le bois. Le plus grands dômes (45 000 m3) se situent au Port et doivent pouvoir assurer une autonomie de deux mois. Des dômes plus petits (9 000 m3) alimentent les chaudières. Leur autonomie de stockage est de deux semaines.
Leur mode de construction, qui fait l’objet d’un brevet américain, prévoit le gonflage d’un gros ballon en liner. Dans une première phase, de la résine est projetée à sur la paroi interne pour permettre la fixation de picots. Le tout est ensuite recouverts de béton ferraillé… Lors de la visite du site de Bois-Rouge, Pascal Langeron a expliqué que les entreprises réunionnaises ont su s’approprier cette technique innovante. (Visionner la vidéo)
Un savoir-faire qui permet de tout brûler
Hormis donc les gros travaux pour équiper les centrales des équipements de stockage et de transports des pellets, les vieilles chaudières n’ont quant à elles pas besoin de grandes modifications. Elles sont toujours les garantes du savoir-faire d’Albioma pour brûler toutes sortes de combustibles : de la bagasse chargée d’eau au charbon.
C’est ce qui permettra au centrale du Gol de brûler également de la biomasse réunionnaise : 45% de broyats de déchets verts, 25% de bois d’élagage, 10% de résidus d’emballage, 10% de bois forestier inexploitable en bois d’oeuvre, et 10% d’espèces envahissante). Le Schéma régional bagasse table sur 100 000 t de biomasse réunionnaise par an contre 700 000 t de bois importé. Il est sans doute possible de faire mieux, notamment en récupérant une partie des pailles de canne qui restent sur les champs. Mais impossible de fournir la totalité des besoins des centrales Albioma.
Durant cette intense transition, Albioma vient d’annoncer qu’un fonds d’investissement américain, KKR, venait de lui faire une offre publique d’achat (OPA) amicale (information parue dans le Quotidien du 29 avril). L’affaire est bien engagée pour se concrétiser au troisième trimestre de cette année. « C’est le propre des sociétés cotées en bourse sans un gros actionnaires de référence, constate Pascal Langeron. On est captif. Ce qu’on comprend de l’offre KKR c’est qu’ils valident le fonctionnement d’Albioma et son implantation dans les Dom et qu’ils vont accompagner l’entreprise dans son développement international ».
Albioma exploite des usines et des centrales au Brésil, en Turquie, aux Antilles, à Maurice et à Mayotte, en solaire, en biomasse et en géothermie. A priori ses activités réunionnaises ne devraient pas être perturbées mais la question de la souveraineté économique sur un secteur aussi sensible que la production électrique se pose. Un début de réponse tient dans la structuration de l’actionnariat d’Albioma qui, sauf preuve du contraire, n’interdit pas à des investisseurs réunionnais d’acheter des actions. « Cette responsabilité sociale est posée à chacun d’entre nous », relève Jean-Pierre Chabriat dans l’entretien que lui a consacré Parallèle Sud.
Franck Cellier