Enfants de la forêt et chirurgiens de la biodiversité

[L’ASSOCIATION PLANTALI AU CHEVET DE L’AIRE PROTÉGÉE DE LA PETITE PLAINE]

Balade et entretien. Jo Minatchy et Olivier Clain, amoureux passionnés de la forêt primaire réunionnaise, racontent leurs combats. Ils ont quitté leurs emplois de l’ONF et du Parc national pour devenir les défenseurs indépendants de la biodiversité.

Ajoutez autant d’arbres que possible et vous n’aurez pas forcément une forêt. L’addition des institutions chargées de gérer le domaine forestier de La Réunion ne saurait se traduire par la garantie d’une forêt protégée et respectée. Le Parc, l’ONF, le conseil départemental, l’office de la biodiversité, les aires protégées, les réserves botaniques, les labels de l’Unesco, les contrôles l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et tous les services dédiés dans les collectivités et les services de l’Etat s’occupent de la forêt… Mais pas comme le fait Plantali.

Plantali est une jeune association, née il y a trois ans, à partir du credo d’un sacré bonhomme : Jo Minatchy. Agent de l’office des forêts pendant plus de vingt ans, il était en fait celui qui savait tout de sa forêt, celui qui maîtrisait parfaitement son langage et qui y plongeait ses mains pour y trier les pousses endémiques précieuses des espèces envahissantes.

Pour une raison quasi-mystique il voue à ce patrimoine forestier un amour filial. Un pied de bois lui a sauvé la vie. Il lui doit tout et ce n’était pas au sein d’une institution qu’il pouvait le lui rendre parce qu’il ne peut y avoir d’intermédiaire hiérarchique entre lui et la forêt.

Olivier Clain, travaillait quant à lui au Parc national « trop souvent derrière un ordinateur et pas assez dans la nature ». Sa rencontre avec Jo a été déterminante. Les deux hommes des bois se sont entendus, compris et ont fait cause commune pour créer Plantali et donner du sens à leur vie.

Pas de chimie, pas de biologie

Ils ont signé en mars 2020 une convention avec le Département qui leur a confié la mission de lutter contre les espèces exotiques envahissantes, procéder à la restauration écologique du site et entretenir le sentier de découverte. Ils sont en fait devenus les gardiens, médecins des huit hectares de l’ACI (Aires à contrôle intensif) de la forêt de la Petite Plaine en rive gauche de la ravine Bras Noir aux portes de la forêt de Bébour.

L’aire protégée se trouve au pied du rempart, difficilement accessible par les chasseurs de tangues.

Nous sommes allés à leur rencontre pour comprendre ce que voulait dire « un chantier de restauration écologique » dans l’esprit Plantali.

Ici évidemment pas de produits chimiques, pas de désherbants. Les arrachages mécaniques, comme Jo Minatchy en a effectué des centaines pendant sa carrière, s’apparentent souvent au mythe de Sisyphe condamné à répéter éternellement une tâche sans atteindre son objectif. Les espèces envahissantes parviennent toujours à reprendre les terrains d’où on croit pouvoir les éliminer.

La lutte biologique n’est pas plus efficace. Jo et Olivier citent l’exemple de la fameuse mouche bleue, introduite pour dévorer les ronces de raisin marron. Dix ans après, ils observent que la mouche bleue s’est épuisée et que les espaces qu’elle a libérée de la peste végétales ont été colonisées par d’autres espèces envahissantes.

Mètre carré après mètre carré

A qui la faute ? Les manquements sont nombreux… La réponse institutionnelle ne dispose pas des ressources nécessaires dans un tel combat. Il faut être acharné et sans doute un peu fou. Et c’est cette qualité d’« amour fou » dont font preuve les deux protecteurs de la forêt de Petite Plaine.

Ils s’attaquent principalement au goyavier, au raisin marron, au jasmin pourpre et au bégonia diadème. Et pour gagner en efficacité ils prennent le temps d’observer toutes les dynamiques de la forêt, l’influence de la faune, l’interaction entre les espèces, etc. Ils mènent plus un travail de chirurgiens que de défricheurs pour repérer les bonnes et les mauvaises plantules. Ils savent aussi qu’un minuscule millimètre carré de bégonias suffit à régénérer cette peste.

Avant et après l’opération de restauration écologique. © Olivier Clain
Action sur le sentier. © Olivier Clain

Ils mesurent leur avancée mètre carré par mètre carré, considérant que chaque mètre carré doit héberger une plantule d’espèce indigène. A eux deux, ils estiment avoir « nettoyé » entre 10 000 et 15 000 m2 depuis mi-2020… et donc « planté » près de 15 000 piédbwa indigènes. Au sens littéral, Plantali ne plante pas, mais préserve. Jo et Olivier se refusent par exemple à planter des essences endémiques élevées en pépinière à grands frais alors qu’un chasseur de tangues risque de le piétiner ou l’arracher car il y a très peu de gardes-forestiers.

L’homme, premier destructeur de la forêt

Ils portent un regard critique sur les discours des élus et l’action – ou l’inaction – des organismes de gestion de la forêt. Les quelques plants endémiques de leur pépinière de la Plaine des Palmistes abonderont sans doute la politique annoncée par de Département du « million de piedbwa » mais ils ont des doutes. Plantés en dehors de leur milieu, ces arbres ne sont-ils pas condamnés à être des orphelins, poussés au suicide ?

Ils voient trop bien le paradoxe d’une gestion forestière qui privilégie « l’homme dans la forêt » alors que l’homme est de tout temps son premier destructeur. Dans le long entretien-balade qu’ils nous ont accordé, ils multiplient leurs déclarations d’amour à la nature et ne ratent aucune occasion pour s’en prendre aux chasseurs de tangues, aux apiculteurs, aux tisaneurs et bien sûr aux gestionnaires de cet espace en plein « coeur de parc ». 

Pacifiquement ils poursuivent leur combat de veille écologique. Ce qui passe par leur demande d’interdire la chasse tangue à côté de « leur » forêt. En attendant, ils comptent accueillir des chantiers participatifs, présenter leurs actions, organiser des formations à la lutte contre les espèces envahissantes, faire valoir leur expertise unique et développer leur activité sur un second secteur, celui de la mare au thym de Bébour.

Franck Cellier

La version longue de l’entretien-balade avec l’association Plantali dans la forêt de la Petite Plaine.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.