LIBRE EXPRESSION
Voilà plusieurs semaines maintenant que les défenseurs de la savane sont catalogués comme détracteurs par certains journalistes locaux, tandis que d’autres organes de presse, indépendants, locaux et nationaux, soulèvent avec fougue les incohérences nombreuses dans ce dossier animé par des enjeux politico-économiques, en dépit du bon sens !
Comment ignorer les 20 000 signataires de cette pétition qui vise à sensibiliser et protéger notre savane, ainsi que la présence an poundiak de ceux qui sont venus sur place constater l’ampleur du projet dévastateur ? Il me semble que ces chiffres sont représentatifs d’une voix à entendre et j’encourage ici nos responsables, plutôt que de fomenter une opposition entre citoyens, à comprendre cette connexion commune et unanime qui a pour but d’épargner la savane des ambitions hautement manichéennes qui lui sont imposées. Je n’étalerai pas ici les exemples de la politique vieille école qui rejaillit des fonds de tiroir alors que certains élus se revendiquent d’un mouvement populaire nouveau basé avant tout sur l’écoute des préoccupations de leurs administrés !
Cependant, en envoyant la SEDRE discuter avec ceux que l’on nomme « détracteurs », en s’entêtant dans ce projet contre nature, en faisant une totale abstraction de qui se trame à l’échelle planétaire en terme de catastrophes et d’atteintes à l’écologie, il m’est difficile de croire que, dans ce dossier précis, nos politiques œuvrent dans l’intérêt commun.
Entendez ceux qui vont dans peu de temps se saisir des bulletins pour évaluer leur confiance dans la réponse apportée à leurs besoins et à leurs préoccupations. Inutile de déployer une armada d’arguments pour vanter la nécessité des logements sociaux. Le peuple est profondément convaincu de leur bien-fondé. Toutefois, alarmé par le choix géographique qui est soumis à toute La Réunion, ses contestations sont parfaitement légitimes.
90 hectares de surface dérobée à la savane. C’est 128 terrains de football, 20 cap Sacré Cœur ! S’il s’agit de loger, il ne s’agit pas forcément de construire à tout va ! D’autres solutions existent. Anticipons ensemble ce que nous souhaitons pour La Réunion de demain, celle de nos enfants et de ceux qui verront le soleil après eux. Aucune médaille ne sera décernée pour avoir réalisé des logements en masse, encore moins dans des conditions conflictuelles. Aucune gloire ne sera obtenue à entretenir des relations belliqueuses entre les citoyens et leurs représentants alors que notre péi aurait tout à gagner d’un partenariat apaisé, constructif et bienveillant. Il n’est pas question de lutter contre la construction de logements, mais de préserver ce qu’il reste de cet espace naturel grignoté bout par bout depuis des générations. Il est dommage que le débat se cristallise sur une opposition quand le point de visée est une sauvegarde.
Sortons des calculs à courts termes. Cette savane est un poumon pour toute la zone Ouest, du Port à Saint-Leu, du Guillaume à Boucan-Canot. Ne la sacrifions pas sous prétextes de remplir absolument dans l’urgence des promesses électorales que d’autres élus n’ont pas respectées. Qui peut nous prouver que ce chantier pharaonique, cette ville dans la ville, ne pourrait s’installer de manière exclusive qu’à cet endroit ? Des surfaces constructibles il en existe bien d’autres dans l’île.
Pour rappel, les Réunionnais ont été dépossédés de leurs terres dès l’arrivée des premiers habitants. Une des solutions pourrait par exemple s’illustrer dans une redistribution, pour l’intérêt collectif, de ces centaines d’hectares donnés ou volés, laissés en friche et qui appartiennent encore aux quelques descendants d’une histoire basée déjà sur le profit et l’abus, au lieu de s’approprier des espaces publics qui seront alors perdus pour tous. En raison de « l’intérêt général », des familles sont souvent expropriées ou leurs terrains sont rachetés en-dessous du prix du marché. Par contre, à aucun moment, les gros propriétaires sont inquiétés sur leurs immenses surface inutilisées.
J’ai beau chercher, je ne trouve pas l’atout exclusif qui ferait de La Savane un site avantageux à la construction de ces logements alors même que :
– l’eau étant une préoccupation primordiale et que même l’est de l’île connaît des pénuries,
– la température va considérablement augmenter à cause des surfaces bétonnées et des immeubles qui feront barrière aux courants d’air naturels,
– les besoins énergétiques vont se démultiplier alors que la production locale n’arrive plus à suivre la cadence depuis plusieurs années,
– le nombre de véhicules va continuer de croître, dans une région pensée comme un « dortoir » de plus, obligeant les futurs habitants à prendre la route des Tamarins pour aller travailler, se ravitailler, profiter de loisirs ailleurs,
– le nombre d’enfants scolarisés va exploser dans une zone déjà en manque de collèges et de lycées,
– les risques sont sous-estimés dans cette surface surbétonnée qui, empêchant l’eau de s’infiltrer dans le sol, va fragiliser davantage la cuvette naturelle dans laquelle se trouve la ville en contrebas,
– les derniers chiffres de l’INSEE ont été réévalués à la baisse quant au nombre de logements manquants, tout comme ceux de la croissance démographique des prochaines années,
– l’espace naturel existant va devoir résister contre la quantité démesurée de promeneurs dans ses sentiers.
A l’heure où la mobilisation des votes est très difficile, que les écarts entre les partis se réduisent de plus en plus, qui parmi nos politiciens serait prêt à ignorer l’avis de 20 000 adultes et potentiels votants, à jouer sa carrière dans un projet qui va à l’encontre de toute responsabilité face à l’urgence climatique et aux dernières recommandations européennes en faveur de la préservation des espaces naturels ?
Je ne suis pas un « détracteur » parce que bouillonne en moi ce besoin de protéger l’environnement, de prendre soin de mon péi, de tenter d’épargner encore un peu la planète ! Ma préoccupation n’est pas centrée uniquement sur cette zone géographique, mais elle s’étend vers des luttes bien plus nobles pour ce peuple qui scintille en moi. Cette savane n’est pas exceptionnelle, elle est unique ! Les conséquences de ce projet sont
irréversibles ! Mon péi, nos enfants, nos gramoun, nous tous, méritons mieux que ça !
Il manquera toujours des logements sociaux dans l’île tant que les bailleurs seront soutenus pour construire sans suivi, sans entretien, sans dignité ni accompagnement proposés aux locataires. Et cette responsabilité appartient plus aux politiciens qu’aux citoyens eux-mêmes, qui finalement sont les seuls à en payer les frais. Il sont comptables également de l’enlisement progressif de notre peuple dans une misère sociale sans précédent. La modernité a rendu beaucoup de familles réunionnaises plus pauvres aujourd’hui que celles du tan lontan où la famille, le kartié, la solidarité, le respect étaient des valeurs portées avec fierté, car même si « nou lété mizèr, nou lété pa maléré ! »
Aujourd’hui la misère ne se mesure plus à une condition sociale, mais à un pouvoir d’achat défaillant associé à une honte permanente.
C’est alors que je suis très sensibles aux conflits sociaux qui revendiquent une équité, une répartition des profits, une vie décente, dans ce grand pays des Droits de l’Homme qui est de moins en moins à l’écoute des préoccupation de ses administrés. Il est facile de critiquer Paris et le fabuleux dysfonctionnement du système gouvernemental en place, quand dans notre propre territoire, la stratégie politicienne préfère multiplier les grandes surfaces et les enseignes de malbouffe, favoriser la vie à crédit, donner du pain et des jeux à ceux qui demandent de pouvoir vivre la tête haute. Ne peut-on pas distiller des valeurs plus justes et plus humanistes et idéaliser notre société ? Il est plus que temps de redonner du sens à nos actes ! Et cela implique d’abord de reconnaître les failles, les limites et les incompétences des autorités, valider ce qui n’a pas été fait et ce qui a été mal fait pour ne pas reproduire les mêmes schémas, rectifier la trajectoire de cette politique sociale suicidaire qui nous a conduit droit dans le mur depuis des générations.
Nous subissons depuis les années 60 une politique de rattrapage car le modèle unique de société, brandi comme LA solution, consiste jusqu’à aujourd’hui à créer des blocs de HLM, des quartiers dits sociaux, dans lesquels la misère danse avec la violence au quotidien.
Ah oui, on y ajoute un peu de mixité, histoire de « rétablir l’équilibre »… Nous avons l’occasion dans ce projet, ici et maintenant, de réfléchir à comment penser l’avenir ensemble en anticipant les dégâts à venir et non en palliant sans cesse les manquements.
Lorsque les bâtiments de la ZAC 2 de Plateau-Caillou venaient d’être livrés, les politiciens disaient qu’ils ne voulaient plus jamais construire des cités comme celles-ci. Et j’ai vu vingt ans de chantier à l’Eperon pour déboucher sur le même type d’habitats – mais avec très peu de commerces et d’activités de proximité-, gorgés de malfaçons, accouchant dans la douleur d’une population errante et souffrante qui arrive à peine à joindre les deux bouts dès le 10 du mois.
Il est obscène de critiquer à haute voix l’immobilisme de la Macronie quant à l’action écologique, de s’élever contre un état dictateur qui s’éloigne de l’intérêt du peuple, de proclamer être porté par l’indignation de la population et ne pas recevoir les arguments de ceux qui aspirent simplement à un meilleur vivre ensemble fondé sur une conscience « éco logique » qui questionne « l’éco nomie » (répartition des ressources) !
Brandir le manque de logements pourrait aller de pair avec l’évocation du parc locatif vacant dans l’île, des immeubles abandonnés, des espaces urbains délaissés qui pourraient être mis à disposition, mais il apparaît plus simple de détruire une zone qui serait à préserver au regard de sa large biodiversité remarquable. Et ce, pour y construire des espaces dans lesquels, en plus du béton, on viendra revégétaliser pou la forme ! Mon péi bato fou ! Ousa nout bann la pou ral anou ? Faire croire que cette zone sur laquelle sont prévus 2000 logements n’endommage en aucun cas le reste de la savane (parce que cette surface constructible est extraite par les Décideurs de la surface totale à protéger) est une réelle ineptie quand on connaît l’impact d’un simple battement d’ailes à l’autre bout du monde sur l’ensemble de la planète.
Je ne suis pas un détracteur. Je suis un père de famille, un enfant de l’Eperon qui a joué dans cette savane. Un adolescent qui la traversait pour se rendre au lycée à pieds en observant ça et là des cailles, des lièvres, des cabris et des nuages de becs roses, des pointillés de martins et de cardinals. Un adulte qui y retourne régulièrement tout comme les centaines de promeneurs chaque jour. Cette savane n’est pas qu’une carte ou une photographie avec des traits délimitant une zone à sacrifier. Elle est dynamique, inspirante, ressourçante. Elle s’anime de couleurs multiples tout au long de l’année et annonce les saisons. Elle se hume avec des sensibilités variées à chaque moment de la journée en égrenant les heures. Elle s’entend d’une oreille différente selon l’endroit où on la traverse, elle symbolise la vie. Elle s’admire sous des lumières changeantes et invite à une reconnexion à soi-même. La savane, c’est du plaisir, des efforts, des rires, des malheurs, des histoires familiales, des drames personnels, des rivières asséchées, des espèces menacées, des axes historiques, des sentiers de lutte, de fuite, de kashièt dann zèrb, de koboy zindyin, de sharètbèf, de tibondié, de kolzoizo dann vavang, de Sintespédit prié pour nou…
Je suis un amoureux de la vie, de la Terre, de mon péi.
Mon péi lé fé ek tout péi, l’i lé tout péi. Si nou pangar nout péi, nou pangar tout péi !
Et je suis certain que la voix encore silencieuse des artistes, des passionnés, des citoyens engagés et conscientisés saura prendre sa juste place dans cet amour pou nout péi.
Teddy IAFARE-GANGAMA
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