Muriel et Maurice

La transmission de Maurice Daubard : de cœur à cœur

LIBRE EXPRESSION

Maurice Daubard s’est éteint en octobre dernier à l’âge de 92 ans. Si son nom ne dira peut-être rien au commun des mortels, cet homme d’une profonde humanité était un exemple dans le monde du yoga. Il y a quatre ans, il était venu sur notre île à l’invitation de l’Association réunionnaise de yoya (ARY) qui, dans son bulletin annuel « Yogary », lui a rendu un touchant hommage à travers de deux témoignages que nous publions à notre tour aujourd’hui.

J’ai rencontré Maurice Daubard en 2011, je l’ai suivi pendant 10 années ; il est devenu un véritable maître spirituel pour moi, et bien plus encore…

Je l’ai connu en tant que présidente de l’Association yoga Midi-Pyrénées puisque dans ce cadre, j’invite des enseignants de yoga renommés pour des stages à Toulouse. 

Une adhérente m’avait parlé de Maurice, je l’ai contacté, et la connexion a été immédiate entre nous. Notamment parce qu’il avait œuvré auprès de jeunes aveugles auparavant, et que moi-même j’avais perdu la vue à l’âge adulte. Mon histoire a résonné en lui. 

Le 6 décembre 2011, notre stage de yoga Toumo a eu lieu. Trente Toulousains et Toulousaines qui se sont baignés dans une eau à 6 degrés, ce n’était pas banal ! Après cela, alors que j’étais pourtant si frileuse et que je craignais le froid, quand j’ai vu l’ambiance chaleureuse de fin du stage, j’ai décidé de suivre Maurice partout, et donc, le plus souvent, dans le froid !

Je l’ai suivi au Pirolin (chez lui, en Auvergne) et au Vétan en Italie. J’ai participé au tout dernier stage qu’il a donné, en mars 2020 (juste avant ses 90 ans).

Lors de ses stages d’hiver en Italie, j’ai très vite appris à le connaître mieux. Ce qui m’a marqué, au-delà du personnage, de son humanité, et de son parcours de vie extraordinaire, ce sont ses histoires !

Maurice Daubard lors d’un stage en italie, en 2019.

Il enseignait par histoires, lui-même disait qu’il n’était pas un « jnani » (érudit et connaisseur des textes), et pourtant, que de sagesse dans sa transmission !

Maurice était un fin psychologue, et un grand connaisseur de l’Humain et de toute la palette de réactions que nous allions expérimenter vis-à-vis de l’exposition au froid. Il savait nous faire rire (ça détend, et ça réchauffe). Il savait nous raconter l’histoire motivante au bon moment, quand, dans la salle chauffée, il nous préparait avant le bain froid (moment le plus redouté par les stagiaires, il faut dire que l’eau était à 0 ou 1 degrés – en photo, Maurice et moi dans l’eau, un jour où il neigeait).

Je connais ses histoires par cœur (mes préférées sont celles où il nous parlait de l’abbé Simon, son père spirituel – l’abbé surnommé « le fou volant » car il faisait des plongeons de haut vol, alors qu’il ne savait pas nager).

C’est grâce à tout cela que je ressens son enseignement comme tellement vivant en moi.

L’exposition au froid, ce yoga Toumo qui invite à dépasser nos peurs, m’a apporté beaucoup de vitalité et une plus grande confiance — à une période de ma vie où le handicap visuel était devenu fort présent, et où j’avais besoin de retrouver foi en mes capacités.  

Le Toumo pour Maurice, c’était sa vie, son tapas (dans les yogas sutra de Patanjali, Tapas, c’est la discipline, l’effort sur soi, et aussi l’ardeur).

Au départ, il l’avait découvert en prenant un bain froid dans la rivière l’Allier, et voyant que sa santé s’améliorait (il avait eu une tuberculose), il a continué sa pratique.

Et puis il y a trouvé toute sa dimension spirituelle, à travers la communion à la nature, et c’est cela qu’il transmettait, avec beaucoup de poésie. En lien avec l’enseignement des Tibétains, puisqu’il avait fait plusieurs voyages au Tibet.

Très vite, Maurice m’a demandé de transmettre ce qu’il avait senti chez moi, en m’invitant à donner des conférences sur le yoga et mon handicap visuel (aveugle, mais pas à 100% comme il le disait). Pour que je raconte aux gens mon histoire, car il disait que ça leur amenait de l’espoir. C’est grâce à son impulsion que j’ai fait publier mon livre Comment j’ai trouvé ma propre lumière, un autre regard, qu’il a postfacé.

Sa transmission était humaine, touchante pour tant de gens (je ne compte plus les larmes et les témoignages de gratitude qu’il recevait lors des stages).

Tous les matins, sous ma douche froide, sa prière du matin résonne : « Dans le silence de l’aube, je te demande la paix ; la force de regarder le monde avec les yeux remplis de ton exaltation Seigneur…»

Avec lui, j’ai approfondi ma connaissance de l’humain (pour Maurice, le yoga est avant tout une culture de connaissance de soi, dans tous les domaines).

Il a influencé mon yoga et ma façon de l’enseigner (dans les cours de Hatha-yoga, il nous faisait beaucoup travailler sur la colonne, les axes dans le corps, notamment lors de ses stages d’été au Pirolin).

Il a bien sûr changé pour toujours ma relation au froid, et je transmets à mon tour un rapport positif avec le froid à mes élèves, quand la salle de yoga manque de chauffage, ou quand l’hiver arrive. 

Je transmets évidemment tout le yoga des yeux, qui était un des enseignements phares de Maurice, et que j’ai personnellement poussé fort loin en raison de mon histoire avec la vue (j’ai ainsi rééduqué ma presbytie et une photosensibilité lourde, mais ça, c’est une autre histoire !).

En écrivant ce témoignage, je me rends compte que c’est comme si j’avais « internalisé » Maurice en moi. Nous avons eu une rencontre de cœur, car au fond de nous, nous nous sommes reconnus, de par notre vécu en lien avec la maladie, et la motivation commune que nous avions à nous en sortir.

Alors finalement, transmettre son enseignement, c’est simple : je me branche sur mon cœur, je me connecte à tous mes souvenirs « vivants », et je le laisse parler.

Muriel Joubert

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Le yogi de l’extrême

Maurice Daubard, « le yogi de l’extrême », s’en est retourné dans le grand Purusha.

Il n’est plus présent physiquement et vit désormais dans les cœurs de ceux qui ont eu la chance de le rencontrer et de recevoir son enseignement.

Ceci est une humble tentative de partager la transmission que j’ai reçue à ses côtés.

Maurice enseignait le Toumo d’inspiration tibétaine et avec beaucoup d’espièglerie répétait que ce n’était pas « un enseignement métaphysico-intellectuel». Maurice se voulait homme de terrain et ne parlait que de ce qu’il connaissait pour l’avoir vécu personnellement.

Avec beaucoup d’humour, Maurice se disait serrurier des cœurs, des coffres les plus blindés. Maurice avait la foi.

Il m’appelait petit frère. Il était pour moi un père, un maître et beaucoup plus.

Elisabeth m’a demandé d’écrire un article en son hommage.

La première émotion fut une grande joie, celle de pouvoir parler et témoigner de cette personne de cœur.

La deuxième, rapidement, toujours aussi prompte à apparaître : serais-je capable de livrer en mots ces trente dernières années ?

30 années de rire, de froid, de complicité, de joie, de confiance, mais aussi ce chemin de vie sur lequel il m’a guidé.

Puis comme une vision de Maurice, me répétant ses phrases qu’il affectionnait tant :

« Lorsque que deux chemins s’offrent à toi, choisis toujours celui qui te semble le plus difficile. »

« Toute mésestime de soi devrait être considérée comme une bénédiction. »

Puis, enfin et surtout, j’ai reconnu, là en moi, ce qu’il appelait les démons déguisés, dont j’ai plutôt l’habitude qu’ils se manifestent avec vigueur avant un bain glacé.

Message reçu de Maurice, je vais trouver les mots !

Je n’écrirai donc que mon vécu, ce que je connais :

En mars 1992, après un long périple en train et en bus, je terminai à pied, de nuit, la dernière grimpette jusqu’au chalet sportif, où j’allais rencontrer Maurice pour la première fois.

Le voir, assis, à l’aube, sur un tas de neige, en maillot de bain, sur une pente en plein vent du Valais suisse, allait opérer un profond et durable changement en moi.

J’ai rencontré là, la saveur d’une humanité simple et chaleureusement partagée, dans une ambiance où « la victoire d’un(e) seul(e) est une victoire pour tous ».

Moi tout jeune, dans ma soif d’absolu et d’idéal, comme le chante si bien Alain Souchon, j’étanchais enfin pleinement ma soif, celle de cheminer avec ardeur vers une libération que mes lectures de jeunesse évoquaient tant.

L’exaltation me percuta de plein fouet, elle m’anime encore aujourd’hui. Chaque redescente dans la vallée était douloureuse, mais indispensable à cet équilibre intérieur, Sthira/Sukha, qui se construisait peu à peu. Comme me disait Maurice, sacraliser, par un tissu que j’affectionne, mon espace de pratique, c’est monter dans le train de la vie et ne pas le laisser s’éloigner.

Benjamin, un de ses nombreux élèves, nous disait que l’on devient ce que l’on rêve et j’en déduisis que rien n’est impossible ou hors de portée.

C’était là tout le travail de Maurice, la force du Sankalpa, pendant un yoga Nidra, lors d’assises méditatives ou de pratiques posturales comme par exemple la barque (navasana).

Avec espièglerie et moult paraboles, Maurice m’a amené progressivement, au fil des ans, à devenir disciple de ma discipline et à me vivre comme « fils du ciel et de la terre dans l’univers entier qui est ma maison ».

Ces dernières années, Maurice insistait tout particulièrement sur la nécessité pour nous, humains, de développer l’amour universel en nous, celui d’envers tous les êtres vivants et « d’agir détaché des fruits de l’action, animé de pensées nobles ».

Sans lui, je pratique et chemine maintenant et je continue à transmettre son héritage.

Maurice est dans mon cœur, à chaque instant, au centre des deux, le physique et le cosmique.

Vous souhaitant joyeuse pratique, à vous qui lisez ces lignes.

Om namah shivaya

Shanti, Shanti, Shanti

Marc Halleux

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