Paul Hoarau

L’amputation de la chaise vide : la désertion du chantier Réunion

LIBRE EXPRESSION

Séduits par Le PROJET (Conférence des Mille, États généraux de La Réunion, Référendum local, négociations), des Réunionnais se présentent. Mais chacun a dans sa tête une idée du projet, généralement accrochée aux initiatives habituelles : création d’un parti, d’un syndicat, d’une association ; proposition d’un programme d’action par rapport aux soucis du moment : retraite, vie chère, coma circulatoire, chômage, illettrisme, mal logement, etc. Dès les premières réunions, certains participants « ne se retrouvent pas » .

« LE PROJET » est en effet, singulier. Il ne s’agit pas de « se retrouver », entraîné par un leader, avec les objectifs particuliers d’une organisation. Il s’agit que Le Peuple se retrouve pour construire une société de Réunionnaises et de Réunionnais, collectivement responsables de leur « communauté de destin ». Le Peuple, c’est le rassemblement des différences, des divergences et des oppositions, le rassemblement de l’unité, le rassemblement de la culture du dialogue. « Le vivre ensemble » des uns à côté des autres, réel aujourd’hui n’est pas encore tout à fait « l’être ensemble » pour « faire ensemble », à venir.

Ceux qui partent quand « ils ne se retrouvent pas » doivent savoir que leurs chaises restent vides, que le Peuple d’ici est amputé, que le chantier de la maison Réunion est privé d’ouvriers. Il ne s’agit pas de faire le plein et de les remplacer pour avoir des voix. Chaque titulaire d’une chaise vide est irremplaçable. Il est constitutif du Peuple réunionnais.

LE PEUPLE,

RASSEMBLEMENT DES DIFFÉRENCES, DES DIVERGENCES ET DES OPPOSITIONS


Le Peuple, c’est tout le monde. Le Peuple, c’est le rassemblement des différences, des divergences et des oppositions. Ces différences, ces divergences et ces oppositions entre nous, font que, lorsque nous sommes ensemble, nous ne nous reconnaissons pas toujours dans les visages et à l’écoute des autres. Nous pouvons « vivre ensemble » pourvu que chacun vive à part : « mardi gras, chacun sa bande » dit un vieux proverbe. Certains voudraient que leur mode de vie soit le seul mode de vie réunionnais, le seul pour tout le monde.

Cette domination d’un modèle n’est pas pensable dans notre société réunionnaise, métisse d’Afrique, d’Asie et d’Europe. L’Afrique, l’Asie et l’Europe sont en chacun de nous, quelles que soient nos origines, que nous soyons Blancs ou Noirs. Ce qui se trouve dans chacun de nous doit se retrouver collectivement dans notre société. C’est cette société, ce Peuple, qui est français.

Pour construire la maison Réunion, trois conditions :

1. Dire clairement qui nous sommes (origines, classes sociales, religions, partis politiques, etc.). Personne ne doit avoir de problème à dire ce qu’il est et tout le monde doit avoir sa place ;

2. Chacun à sa place, doit respecter, écouter et entendre l’autre (les différences, les divergences, les oppositions). Personne n’a le droit d’imposer sa différence, sa divergence, son opposition à tous les autres ;

3. Ce respect et cette écoute des autres ouvriront les esprits à la culture du dialogue pour trouver l’Esprit réunionnais commun qui traversera les différences, les divergences et les oppositions. Le déni, la répression, l’oppression et la suppression des différences, des divergences et des oppositions est irrecevable , c’est une affaire de vie, d’identifiant de la communauté réunionnaise, du Peuple réunionnais.

LE PEUPLE,

RASSEMBLEMENT DE L’UNITÉ

Mais l’unité du Peuple est aussi vitale que les différences, les divergences et les oppositions. L’unité se trouvera dans la capacité des Réunionnaises et des Réunionnais de dialoguer pour trouver cet Esprit commun qui les identifiera et leur permettra de régler eux-mêmes leurs différends. Cette capacité d’enraciner l’unité dans la diversité et de la réaliser par le dialogue sera le signe principal, le signe cardinal, de la responsabilité. Sans cette responsabilité de « notre communauté de destin », il y a un Peuple ontologiquement, il n’y a pas la conscience d’être un Peuple.

Le Peuple, c’est le rassemblement de l’unité enracinée dans la diversité. Cette unité doit venir de nous-mêmes. Si elle vient de l’extérieur, la responsabilité qui va avec appartiendra à une « métropole ». Contrairement à ce que je pensais jusqu’à récemment, « la métropole » n’est pas la France (les régions et les peuples de France ont les mêmes problèmes que nous), « la métropole » aujourd’hui, c’est un lobby politico-financier parisien qui prétend administrer directement, de façon uniforme, l’ensemble des Peuples de la République à partir de Paris.

LE PEUPLE,

RASSEMBLEMENT DE LA CULTURE DU DIALOGUE

L’unité enracinée dans la diversité n’est possible par nous-mêmes que si le dialogue entre nos différences, nos divergences et nos oppositions est ouvert. Si quelqu’un « qui ne se reconnaît pas » s’en va sans rien dire, il n’y a pas de dialogue. S’il n’y a pas de dialogue, il n’y a pas d’unité possible. S’il n’y a pas d’unité, il n’y a pas de responsabilité. S’il n’y a pas de responsabilité, il n’y a pas la conscience d’être un Peuple. Si dans la société, des chaises sont vides, il n’y a pas d’unité ; si au chantier de la maison Réunion, il y a des absents, le chantier n’avance pas. Si le Peuple n’est qu’une « population » anonyme, irresponsable, prise en charge et assistée, la maîtrise de son destin lui échappe.

La relégation de notre Peuple au rang de « population » a des effets concrets négatifs. Elle retire aux Réunionnaises et aux Réunionnais, au nom de l’uniformité nationale, la responsabilité particulière de leur destin commun de Réunionnais par le déni de cette responsabilité particulière. Absents de cette responsabilité, celle-ci est assumée par des hommes et par des femmes venus d’ailleurs. Eux, les Réunionnaises et les Réunionnais, sont au chômage, aux « emplois aidés » ou dans des placards ; eux, ne se forment plus pour assumer la responsabilité réunionnaise que l’on ne leur reconnaît pas (illettrisme, manque de compétences). Ce problème n’est pas que réunionnais. Il est national. Il vaut pour les peuples français d’Europe, d’Amérique, de l’Indianocéanie et du Pacifique.

Si la compétition entre candidats au travail, locaux et extérieurs, au nom de l’uniformité nationale, est si désavantageuse pour les locaux, c’est que le plan de développement de La Réunion est littéralement fondu dans un plan de développement « national ». Du moment que les besoins réunionnais sont satisfaits par la production nationale, la production locale n’a plus d’objet. Il n’y a plus de moteur local de développement, il n’y a plus de mobilisation d’acteurs, de cadres, de travailleurs locaux. Si les locaux veulent s’en sortir dans ce système, ils doivent s’inscrire dans un mouvement national organisé de mobilité. Encore une fois, il ne s’agit pas de condamner les vocations réunionnaises à faire leur vie ailleurs.

Paul Hoarau

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Kozé libre

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