[Mafate] Scies de long, larpon et sok d’arrosage

EPISODE 32 – OBJETS LONTAN

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Le sociologue Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Pour ce 32e épisode, il mentionne des scies, de long ou à tronçonner, ainsi que le dernier sok, un système d’arrosage archaïque par aspersion…

Le terme de larpon est mentionné par Daniel Baggioni, dans son dictionnaire créole français (publié en 1990) – Longue scie à couper les troncs munie d’une poignée à chaque bout et maniée par deux hommes.

• Scie de long, datée d’environ 1920.

Fierté de M. Giroday Hoareau, cette scie a été achetée à Cilaos vers 1970. “Elle était déjà ancienne à l’époque“, affirme-t-il. Sa datation semble tout à fait vraisemblable. Elle avait été utilisée à Mare-à-Joseph à Cilaos, pour scier des planches de cryptomerias et de tan rouge. Elle sert à Mafate également pour le tamarin.

Elle mesure 1,80 m de long et sa lame 11 cm de hauteur. Poignée de métal rivetée avec des rivets artisanaux. Son état de conservation est excellent. Elle est encore en usage.

• La seconde scie : Logement de poignée riveté également avec des rivets artisanaux – Cette scie est rouillée, mais utilisable. Mesure 94 cm de long. C’est ça, de fait, le « larpon » (harpon). Chez M. Giroday, on dit “larfon”. Sa caractéristique est d’être d’une longueur inférieure à la scie de long et d’avoir une fonction de tronçonnage.

• Selon certains interlocuteurs, cette scie peut être également appelée “passe partout”. Ce serait sans doute une scie de long partagée en deux, pour être utilisée par un seul travailleur. Dans sa longueur initiale, le double de ce qu’il en reste, elle était utilisée à deux.

• J’ai retrouvé d’autres scies de long qui ne sont évidemment plus utilisées, rouillées, fragilisées, même dégradées ou sectionnées, reliques d’un autre temps où elles avaient été indispensables !

– Au Gite Le Pavillon, chez Benoît Boyer

Benoît Boyer

Mais à La Réunion, pas de cadre pour immobiliser la lame
– À Ilet à Bourse, chez Sylvio Thomas.
Au chemin Charrette, chez Fabrice Duval.

Pour connaître et comprendre ce métier tel qu’il était exercé sur l’île, on se référera au texte remarquable de Christian Fontaine, scieurs de long à La Réunion publié le 26/07/2014 dans le blog « Défense du patrimoine architectural de La Réunion » ou « dpr974 »

Le dernier Sok aux Lataniers

Il s’agit d’un système d’arrosage archaïque par aspersion…

« … De loin, les marmay regardaient. Tous vêtus de la même toile grossière, ocre et sale. Les filles en robe et chemise jouant avec leurs deux petits frères, et le bébé. L’un en pantalon, les deux petits tout nus. Pas question qu’ils s’approchent pendant que les deux vieux se disputaient. Ils s’étaient assis sur les murets, à bonne distance, en rentrant de la parcelle où ils venaient d’asperger au sok haricots et lentilles. Ils avaient l’habitude d’aider les parents au ménage et à la culture. Même les deux filles devenues adolescentes étaient bien obligées de suivre le père aux champs… » (Extrait de « Mafate – Servitudes et insoumission » – L’éclipse du temps – éditeur – pp. 92-93)

Dépourvus d’arrosage automatique et même d’arrosoir, les paysans de montagne aspergeaient littéralement leurs cultures disposées à proximité de bassins rustiques dans lesquels l’eau étaient conduite par des bambous ou des mâts de choca.

Ils s’aidaient pour cela du sok. Le dernier sok existant probablement à Mafate m’a été présenté par Joachim Louise des Lataniers. Véritable relique de cette ingéniosité qui a permis à des générations de montagnards d’arroser leur caro en combinant conduites végétales, bassins et « sok » artisanaux, il est formé de deux découpes de grosses boîtes de conserves rivetées ensemble par des « rivets » fabriqués sur place avec des clous…  « Il faut deux fers blancs pour fabriquer un sok… », exprime Joachim (dans une séquence vidéo associée au fichier).

Il mesure 30 cm sur 20 cm.

Les sok ont totalement disparus du cirque. Une seule image, extraite du film réalisé à l’îlet Moutou en 1986 sous la direction de Christian Barrat m’était parvenue à ce jour… (cf. photo, capture d’écran)

* La généralisation des systèmes d’irrigation date des années 80. Elle a entraîné un arrosage par tuyau et aspersion par tourniquet, technique qui a modifié profondément la culture. La gratuité de l’eau favorise bien évidemment cet usage.

Extrait de « Mafate – Servitudes et insoumission » – L’éclipse du temps – éditeur – p. 104

« … – Monsieur le Conservateur, personne ne met en doute les motifs de vos décisions. Je souhaite seulement un peu de cohérence. Parce que pour l’instant, partout dans le cirque nous nous occupons de l’irrigation de façon mieux organisée. Sur votre demande, j’ai personnellement formé nos agents techniques à cet effet. Ils organisent les journées de travail des habitants pour leur apprendre la construction de terrasses sur les pentes cultivées. Comme en Auvergne. Elles vont retenir le peu d’humus existant. Elles permettent une répartition en bandes de terrain à peu près horizontales. On les irrigue à partir d’une source quelconque captée dans le rempart. On utilise pour ça des canalisations constituées par ces fameuses rampes de bambous coupés dans le sens de la longueur.

– Et vous allez me dire que ça marche ?

– Bien sûr. C’est léger. On déplace ces goulottes régulièrement, de parcelles en parcelles. Elles amènent l’eau dans des trous plus ou moins étanchéifiés. Les enfants la projettent avec leur sok tout le long du jour sur les plantations. Les cultures s’améliorent de façon spectaculaire… »

Extrait de « Mafate – Servitudes et insoumission » p. 140

Arnold Jaccoud

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud