[Mafate] À la recherche des origines de Grand Place et Cayenne 

ÉPISODE 19 : ÉTUDE TOPONYMIQUE

« C’est quand même le travail de beaucoup d’années, le travail de… » Sociologue, Arnold Jaccoud sourit sans finir sa phrase. Mais c’est bien « le travail d’une vie » qu’il partage avec les lecteurs de Parallèle Sud. Dans ce 19e épisode, il part à la recherche des origines de Grand Place et Cayenne, étape de la route thermale.

En 1873 la liste du recensement des habitants, établie par le Brigadier chef des Forêts, M. Valentin, identifie le terme de « La Grande Place ». Cette dénomination semble demeurer sur les documents officiels jusqu’au recensement de 1969, où l’ONF nouvellement établi, mentionne « Grand Place » haut et bas (34 habitants dans les Bas et 71 dans les Hauts). Aux recensements de 1980, puis de 1982 ou dans les documents de l’époque jusqu’à la fin du 20ème siècle, le vocable de « Cayenne » semble ne jamais être utilisé dans les textes pour désigner l’îlet de Grand Place-les-Bas.

Grand Place Cayenne en 2007, depuis Les Lataniers • À gauche on voit distinctement la salle à manger du gîte qui se trouve, lui, en partie caché par un arbre. L’église au centre de la photo.
Grand Place Cayenne en 2007, depuis Les Lataniers • À gauche on voit distinctement la salle à manger du gîte qui se trouve, lui, en partie caché par un arbre. L’église au centre de la photo.

Grand Place en 2005 – 2007

Grand Place est étagé sur trois niveaux : Grand Place Cayenne, Grand Place Boutique ou Ecole et Grand Place-les-Hauts. Le lieu dit Grand Place Boutique ou Grand Place Ecole est le plus récent. C’est l’épicerie – gîte d’Ivrin Pausé et surtout l’école construite en 1985 qui lui ont octroyé ce « toponyme ».

Ces trois sites regroupent  à cette époque 25 familles, 130 personnes. On y trouve 1 église édifiée par les habitants en 1926 avec les matériaux de la charpente de l’ancienne Église de Mafate-les-eaux et reconstruite plus tard en 1970 à la suite du cyclone Jenny de 1962, un presbytère, édifié en 1935 sous l’impulsion du P. Antoine Nantas, qui fit transporter ce qui restait de l’ancienne cure à Grand Place, une ancienne école totalement délabrée, la première du cirque, ouverte à Grand Place-les-Bas (aujourd’hui Cayenne) en 1923, un ensemble scolaire « contemporain » reconstruit en 1985 (sur Grand Place Ecole !), 5 gîtes, deux campings, une épicerie-boutique…

Dans la première moitié du 20ème siècle, Grand Place, à l’origine littéralement « la Grande Place », était l’agglomération la plus importante et la plus peuplée du cirque. Elle l’est demeurée jusqu’à l’ouverture de la route du Haut-Mafate qui a provoqué le développement (que l’on a considéré parfois comme anarchique !) de la Nouvelle.

Catherine Lavaux raconte avoir dormi dans la cure de Cayenne Grand Place et découvert des livres en grec et en latin, garnissant encore la bibliothèque qui provenait de l’ancienne église du fond de Mafate ! L’église de 1925-26, en bardeaux et tombée en ruine, a été remplacée par l’église actuelle inaugurée le 18 septembre 1970.

On dit qu’à Grand Place, où la terre est bonne, on faisait pousser maïs, z’aricots, géranium et même des mangues en quantité. Vers 1950… sur la propriété de la famille PAUSÉ, qui s’étendait de Grand Place-les-Bas jusqu’à l’îlet Moutou et Grand Place-les Hauts, on faisait jusqu’à 22 tonnes de maïs à l’année, récoltés en février-mars, 5 à 6 mois après la plantation qui avait lieu entre août et octobre ! Aujourd’hui, il n’y a là plus ici que des galaberts…

Pourquoi Cayenne ?

D’où provient la dénomination de Cayenne, alors qu’aujourd’hui, elle est totalement popularisée au point qu’on en fait usage sans le référer à Grand Place ! 

Le connaisseur de La Réunion sait même, à son étonnement, qu’on trouve des « Cayenne » sur toutes les côtes de l’île, à Saint-Joseph, à Saint-Pierre, à Sainte-Rose, à Saint-Benoît… Là, il peut se douter que le terme doit avoir une connotation océanique. Mais Mafate et l’océan ? quèsaco ?

La clé nous est proposée dans une explication fournie par le directeur scientifique de l’atlas de Guyane, M. Fernand Boyer, selon lequel l’origine du nom de « Cayenne » doit effectivement se chercher dans les termes de marine du 17° siècle. Et là, il nous faut rejoindre les ports de Rochefort-sur-Mer, La Rochelle et Soubise…

Caïenne, du réchaud de marin au dépôt de matériel

Pour M. Boyer, la caïenne était le réchaud sur lequel se faisait la cuisine pendant le voyage. Lorsqu’après plusieurs mois de mer, le capitaine trouvait un havre accueillant où il décidait de séjourner, son premier souci était de faire débarquer « la caïenne ». Grâce à la chasse et à la pêche, l’équipage pouvait alors améliorer son menu. Dans l’argot des marins, « Caïenne » a bientôt signifié un lieu où relâcher, un endroit où l’on pouvait se reposer des rigueurs de la mer ». 

Par extension, les dépôts de vivres dans les ports se sont appelés Cayenne, avec un « y ». Brest, Rochefort ont leurs « cayennes ». Puis ils sont devenus dépôts de matériels et matériaux. Aujourd’hui encore existent des lieux-dits Cayenne en Guadeloupe et en Charente-Maritime… et sur les côtes réunionnaises à Saint-Joseph, à Saint-Pierre, à Sainte-Rose, à Saint-Benoît

Quand les flottes quittaient les ports, il ne restait plus à terre que les « rafalés de Cayenne ». Terme méprisant qui désignait ces (vrais ou faux) malades qui avaient réussi à échapper à l’embarquement. Ceux-ci étaient alors affectés à des travaux de nettoyage et de manutention, sous la conduite de gardiens. À ces dépôts se sont donc bien vite ajoutés des hôpitaux et des prisons, pour les fortes têtes.

La Cayenne pouvait être parfois un vieux bateau transformé en caserne flottante servant de dépôt de Marins ou de Soldats dans les ports d’Outre-Mer. En 1766 à Brest, les casernes flottantes étaient appelées caïennes. Dans le vieux français, dans les régions maritimes, fabrique ou atelier hors d’une ville porte cette désignation.

C’est l’origine de la ville de Cayenne en Guyane. C’est ainsi qu’au siècle dernier lorsqu’il fallut trouver un endroit ou reléguer les bagnards, le rapprochement se fit – hélas – de lui-même. Il n’y avait qu’à les expédier à Cayenne (en Guyane) : Le nom avait si mauvaise presse que, jusqu’à la première guerre, lorsqu’une européenne accouchait à Cayenne, l’enfant était enregistré et baptisé dans la commune voisine de Rémire (devenue banlieue résidentielle de Cayenne !).

Voici comment ce mot qui, au début, désignait un port accueillant est, par la suite, devenu synonyme d’exil et de souffrance. Près de cinquante ans après la fin du bagne, il reste malheureusement dans certains esprits quelques traces de ce malentendu.

A la Cayenne de Grand Place à la Réunion, l’Équipement – DDE disposait d’un dépôt de matériel qui a donné son nom au site, et dont Ivrin Pausé de Grand Place, un des facteurs de Mafate, rappelle qu’il se trouvait à l’emplacement même du gîte public. 

Les anciens affirment que la construction a servi ensuite de maternité… mais sans pouvoir préciser les dates. Après la disparition de la maternité, il semble qu’un dépôt de matériel y ait été réinstallé. La rénovation complète du bâtiment, après l’étude de Gounod & Piérart en 1982, a permis l’aménagement du gîte public.

Une autre trace de ce passé est constituée dans la voirie départementale par le classement surprenant du sentier de 22 km qui part du village de La Rivière des Galets. C’est le CD n° 2 qui menait les curistes jusqu’à Mafate les Eaux ! D’où la présence à Grand-Place d’un « préposé » des Ponts et Chaussées, Marcellin Thiburce, responsable de « la route thermale », alors que les autres chemins étaient du ressort des forestiers ! C’est donc aux anciens Thermes de Mafate que l’on doit la dénomination de Cayenne !

Le gîte de Grand Place - Cayenne en 2007
Le gîte de Grand Place – Cayenne en 2007

La cayenne en 1982

Lors de son étude commandée par l’ONF en 1982, à la suite du « Premier colloque de Mafate », le bureau Gounod & Piérart a dressé l’état des lieux de la cayenne. La finalité était d’envisager la possibilité de garder intacte cette construction qui servait de dépôt de matériel pour les Ponts et Chaussées. Validation de la part des professionnels. C’est ainsi que la réfection de la cayenne de l’Equipement  donna lieu à la création du gîte public.

Arnold Jaccoud

  • Mafate

  • Le gîte public en 2010 • Le corps du bâtiment… c’est l’ancienne cayenne transformée !
  • Cayenne

A propos de l'auteur

Arnold Jaccoud | Reporter citoyen

« J’agis généralement dans le domaine de la psychologie sociale. Chercheur, intervenant de terrain, , formateur en matière de communication sociale, de ressources humaines et de processus collectifs, conférencier, j’ai toujours tenté de privilégier une approche systémique et transdisciplinaire du développement humain.

J’écris également des chroniques et des romans dédiés à l’observation des fonctionnements de notre société.

Conscient des frustrations éprouvées, pendant 3 dizaines d’années, dans mes tentatives de collaborer à de réelles transformations sociales, j’ai été contraint d’en prendre mon parti. « Lorsqu’on a la certitude de pouvoir changer les choses par l’engagement et l’action, on agit. Quand vient le moment de la prise de conscience et qu’on s’aperçoit de la vanité de tout ça, alors… on écrit des romans ».

Ce que je fais est évidemment dépourvu de toute prétention ! Les vers de Rostand me guident : » N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît – Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit – Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles – Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! » … « Bref, dédaignant d’être le lierre parasite – Lors même qu’on n’est pas le chêne ou le tilleul – Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Cyrano de Bergerac – Acte II – scène VIII) »
Arnold Jaccoud