Mayotte, l’île au parfum… nauséabond

LIBRE EXPRESSION

Connue mondialement pour ses ylangs-ylangs, c’est une tout autre odeur qui embaume l’île ces derniers jours … depuis le 22 janvier, Mayotte vit au rythme des barrages qui bloquent toute la circulation et a de ce fait, supprimé le ramassage des ordures. Symbole d’une société en mutation d’un mode vie traditionnel à un mode de vie occidentalisé, les déchets s’accumulent au coin des rues.  Bien que les barrages semblent désormais levés, le volume de déchets à collecter est tel qu’il faudra plusieurs semaines avant que le ramassage fasse disparaître ces montagnes d’ordure, sachets plastiques, canettes, bouteilles de soda, déchets organiques qui font le bonheur des rats et des chiens errants.

Avec le choléra qui pointe son nez sur l’archipel des Comores, cette situation sanitaire critique mériterait une prise en compte par les autorités pour mettre en place les moyens d’urgence pour nettoyer l’espace public et éviter une nouvelle catastrophe pour le 101ème département de France, le dernier né et le plus pauvre. 77% de la population vit sous le seuil de pauvreté… il n’existe nulle part ailleurs en France une telle précarité.

Et encore une fois, ce sera la population la plus défavorisée qui va pâtir de cette conséquence probable d’un mouvement social spontané dans la lignée de 2011 et de 2018. Après la crise de l’eau, la crise sociale, bientôt la crise sanitaire ! Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi Mayotte catalyse -t-elle tant de difficultés alors que sa population par son choix de devenir français espérait un monde meilleur ?

En 2011, la crise sociale exprimait un besoin de rattrapage par rapport à l’hexagone pour réduire la pauvreté et développer les services publics de l’éducation, de la santé, de la sécurité … la réponse a été la départementalisation.

En 2018, c’est l’expression d’un ras-le-bol face à l’insécurité croissante et à des services publics sous-dimensionnés notamment en matière d’éducation et de santé face aux besoins d’une population très jeune et d’une natalité galopante. La maternité de Mamoudzou est la plus active de France avec un taux de natalité moyen de 3.8 enfants par femme, c’est de loin le plus élevé de France.

Les fonds européens, le contrat de convergence et de transition apportent des financements considérables…encore faut-il avoir la capacité de les mobiliser et de les mettre en œuvre… l’île est en chantier permanent et manque cruellement de main d’œuvre qualifiée pour accompagner son développement. Malgré tout, elle est très attractive pour les populations des îles avoisinantes qui migrent illégalement au péril de leur vie, venant grossir les rangs des démunis.

La pauvreté ne diminue pas et la jeunesse privée d’une éducation à la hauteur des enjeux se déscolarise. Ces jeunes adolescents rejoignent des bandes, véritables gangs qui s’affrontent d’un village à l’autre… voire, graal de la violence, affrontent les forces de l’ordre constituées essentiellement de gendarmes mobiles venus de France pour trois mois et qui ne connaissent pas le terrain « de jeux ». C’est une véritable guerre de banlieue à l’échelle de l’île. Et surtout c’est le signe d’une jeunesse sans espoir qui se réfugie au sein d’un groupe et incarne la violence comme règle de vie… signe également d’un délitement de la structure familiale traditionnelle mise à mal par l’assimilation du modèle français.

Auparavant la vie villageoise encadrait ces jeunes traditionnellement livrés à eux-même mais sous le regard des bouénis en plus de leur maman…ils vivaient dans la rue mais pas en insécurité et au sein d’une communauté villageoise que le modèle français ne reconnait pas.

De même l’autorité traditionnelle auparavant respectée par la jeunesse disparaît au profit de l’institution française… est-ce que devenir français doit obligatoirement passer par l’assimilation ou bien est-il possible de construire un modèle adapté tenant compte de la société traditionnelle ?

Jusqu’à présent, la départementalisation est synonyme d’assimilation. Voilà qu’en plus de ces problèmes structurels de la société mahoraise vient s’ajouter une nouvelle menace pour l’équilibre fragile de l’île : les migrants réfugiés politiques et climatiques… l’année 2023, près de 8000 migrants du Soudan, du Congo, du Rwanda… fuyant guerres ou conditions climatiques invivables viennent chercher refuge à Mayotte devenue terre d’Europe… car au contraire des clandestins issus des îles voisines, ces nouveaux venus viennent pour entrer en Europe et y trouver asile.

Les services sociaux et associations humanitaires se trouvent confrontées à une nouvelle problématique comme à Ceuta, Melilla ou encore à Lampedusa… cette nouvelle route migratoire s’accompagne comme à chaque fois de trafic et d’organisations criminelles. C’est ce fait nouveau qui a provoqué cette nouvelle crise et mobilisé les forces vives de la société mahoraise comme le collectif s’est nommé lui-même.

Comment ces réfugiés ont-ils osé prendre possession d’un stade tout neuf privant la jeunesse désœuvrée d’un terrain de jeu plus sain que les combats de rue ?  Le stade de Cavani a catalysé les crispations des forces vives qui ont exigé son démantèlement et accusé les autorités et les associations humanitaires d’agir contre l’intérêt des Mahorais. Peu à peu, ce camp de migrants est évacué … et la tension sociale semble retomber… mais jusqu’à quand ?

Car cette nouvelle route migratoire n’est pas près de s’arrêter. Darmanin veut réformer le droit du sol alors que ce n’est plus la nationalité qui est recherchée mais la survie pour tous ces réfugiés qui viennent d’un monde invivable. Mayotte sur cet aspect est probablement un miroir du monde car le phénomène migratoire représente l’enjeu de ce siècle avec selon l’ONU 250 millions de réfugiés en 2050 ce qui est considérable… les 8000 premiers arrivés en 2023 ne sont que la tête de pont. Il serait bon que l’Etat et l’Europe en prennent conscience et créent à Mayotte un modèle de gestion migratoire efficace pour transformer la misère en humanité retrouvée.

Michel Pommier

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