LIBRE EXPRESSION
Il y a des questions que l’on ne se pose pas pendant des décennies puisqu’elles sont par essence intégrées et assumées, jusqu’à ce qu’un Dalon , passionné par l’Identité au sens noble du terme, vous les pose.
Et là, c’est le déclic. Moi, yab chouchou depuis des générations, je me suis retrouvée à expliquer ce que signifie, à mon sens, être de cette île. Certes, je vis créole, respire créole et vibre au rythme des percussions maloya et danses séga, mais cela ne semblait pas suffire à mon interlocuteur empli de perplexité.
Alors, nous avons embarqué pour quelques semaines dans un voyage culturel en accéléré, pour rattraper des générations, surtout les miennes semblerait il, en un temps record. Jules Verne n’aurait pas mieux fait, c’est pour moi une certitude.
La Réunion : une mélodie des cultures
Je suis Réunionnaise, avant tout. Je me lève avec le muezzin, déjeune au son des cloches de l’église, et m’endors bercée par les tambours malbars. J’aime les caris pat’cochon en particulier (surtout ceux concoctés par maman), mes amis viennent de tous horizons, enrichissant ma pensée et ma personnalité. Certains zoreils connaissent d’ailleurs mieux l’île que moi !
Mais j’entends aussi que cette richesse culturelle n’est pas toujours suffisante pour apaiser des douleurs identitaires.
Aussi, au cours de ce périple, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes magnifiques, revendiquant leur créolité de façon différente de la mienne. Des écrivains, des penseurs, mais surtout des hommes et des femmes qui souffrent encore aujourd’hui de douleurs vives « à fleur de peau », se sentant déracinés. Leur souffrance, souvent étouffée par un système compris comme colonialiste persistant, m’a profondément touchée.
De fait, j’ai assisté – avec curiosité bienveillante et écoute attentive- à des conférences où la question identitaire était débattue avec passion mais sans violence. Des idées de « village vertueux », autonomes et tolérants, ont été expliquées, comme le principe d’un type de kibboutz mais « péi ».
Lors d’un échange/conférence, j’ai été particulièrement impressionnée par M. Idriss Issop, dont la réflexion et l’écoute active ont permis de dépasser les débats passionnés. Il a su apporter une réelle valeur ajoutée, permettant à chacun de s’exprimer et de tomber d’accord sur l’essentiel, du moins je le pense, exprimé par des mots différents à connotation émotionnelle (émotions, ressenti, perception, persécution… pour exemples)
La Réunion : un retour aux sources identitaire
Cette immersion volontaire m’a permis de toucher du doigt une réalité de la société réunionnaise: celle qui souffre de douleurs identitaires et aspire à un retour aux sources. Kaf, musulman, yab, asiatiques, tous cherchent une meilleure reconnaissance de notre passé par la métropole, sans tomber dans le wokisme ou les débats stériles.
Pour bien comprendre le développement de ma pensée, il me paraît nécessaire d’évoquer rapidement l’histoire de La Réunion, telle que je la vois sous le prisme de celle d’un brassage culturel unique, né de la rencontre entre Européens, Africains, Malgaches, Indiens, Chinois
En effet, notre île a été profondément marquée par trois siècles de colonisation, deux siècles d’esclavage, et un demi-siècle d’engagisme. Ces périodes ont profondément affecté les populations locales, créant des tensions identitaires. La colonisation a souvent nié et dévalorisé les cultures locales, imposant une identité française sans véritablement construire une « Réunionnité » légitime et reconnue.
Ce brassage culturel a donné naissance à une identité réunionnaise complexe, où par exemple je peux être Salazienne, Réunionnaise, Métropolitaine et Citoyenne du monde (même si mon Dalon de référence en la matière réfute ce dernier qualificatif de manière catégorique, mais cela reste néanmoins ma définition personnelle de mon être).
Ce métissage est, selon moi, la force de l’île, un socle solide sur lequel bâtir l’avenir.
Mais pour construire le futur, je suis d’accord qu’il est crucial de réhabiliter, de valoriser, d’intégrer et d’assumer ces cultures ancestrales venues des divers continents pour construire une société interculturelle et résiliente.
La Réunion : un passé colonial, un présent métissé
Héritage de cette Histoire, la souffrance identitaire à La Réunion, telle qu’elle s’exprime de manière visuelle, est un phénomène complexe car est souvent lié à un sentiment de déracinement et de manque de reconnaissance des identités plurielles qui composent notre communauté.
Ainsi de nos jours, la quête identitaire issue de ce métissage, bien que riche, peut aussi être source de confusion et de remise en question constante des identités personnelles et collectives. Certains Réunionnais peuvent ressentir une carence identitaire, exacerbée par l’absence de représentation politique et culturelle adéquate, d’où la création de fédération et d’associations, espaces de partages mais aussi de luttes et combats pour une Réunion plus juste et équitable.
Par ailleurs, cette quête est souvent exacerbée par des carences dans l’éducation et la transmission de l’identité culturelle, où les jeunes peuvent ignorer leurs affiliations ethniques et se tourner vers une reconnaissance plus large voire internationale par le biais fictif du développement des réseaux sociaux par exemple, qui ont tendance à remplacer les liens d’un bon repas familial et convivial du dimanche où tous les sujets pouvaient être abordés dans le respect et la bienveillance.
La Réunion : vers une réconciliation ?
Malgré les défis de communication dits modernes, il existe un mouvement vers la réconciliation et la valorisation des identités plurielles en notre sein. La réhabilitation des cultures ancestrales et la promotion de l’interculturalité sont essentielles pour construire un avenir commun et résilient.
Ainsi, la souffrance identitaire à La Réunion est le résultat d’une histoire complexe et d’une quête continue pour la reconnaissance et la valorisation des identités plurielles. C’est un défi que les Réunionnais relèvent avec résilience, cherchant à construire une société plus juste et équitable, respectueuse de sa diversité culturelle.
Une fois, rappelé les conséquences de notre Histoire et tenté d’esquisser les contours sensibles d’une douleur tangible, se pose la question : qu’est ce qu’on fait de cette souffrance et comment faire pour qu’elle devienne une Force tournée vers l’avenir ?
Résilience réunionnaise : réinventer l’identité pour un avenir solidaire
En ce qui me concerne une partie de la réponse rime avec Résilience.
Pour promouvoir la résilience culturelle à La Réunion, il est essentiel de valoriser les cultures ancestrales à travers des initiatives associatives et culturelles.
L’éducation joue un rôle clé également en intégrant l’histoire et la langue créole dans les programmes scolaires par exemple mais d’autres pistes existent.
Le soutien aux artistes locaux et aux associations culturelles est crucial pour maintenir vivantes les traditions.
Encourager et promouvoir l’interculturalité renforcent la cohésion sociale, et devraient être un domaine important des politiques publiques.
Préserver enfin le patrimoine unique de l’île et promouvoir une identité réunionnaise forte et inclusive dans un rayonnement régional et international.
La Réunion : une ambition partagée, un modèle sociétal unique et équitable
Face à la mondialisation et à l’uniformisation des idées —avec une problématique criante celle du manque de repères et valeurs sur l’ensemble de la planète — La Réunion a l’opportunité de développer un modèle sociétal unique, basé sur la solidarité, la tolérance et le respect de la diversité.
Des projets ambitieux germent comme celui de proposer un « village vertueux » où l’autonomie alimentaire et le partage sont des valeurs fortes, une forme de Kibboutz « péi ».
Ce modèle repose sur une concertation entre les acteurs associatifs, économiques, sociaux et politiques du territoire. En promouvant l’excellence et la résilience réunionnaises, ce projet vise à bâtir une société plus juste et équitable, capable de relever les défis de demain.
La Réunion : des « ailes » pour bâtir demain
Pour se projeter dans l’avenir, La Réunion doit aussi développer ses « ailes ». Cela passe par l’innovation et la créativité, mais aussi par une ouverture sur le monde.
Vous l’avez compris l’identité réunionnaise ne se limite pas, à mon sens, à son passé ou à sa musique. Elle s’exprime aussi à travers l’innovation. De jeunes entrepreneurs réunionnais s’illustrent à l’international, que ce soit aux États-Unis, au Japon ou en Australie, tout en gardant un lien fort avec leur culture d’origine. Ces start-ups montrent bien que l’esprit d’innovation réunionnais n’a pas de frontières.
D’ailleurs ces jeunes talents n’hésitent pas à cuisiner un bon rougail saucisses entre amis, sur fond de maloya ou de séga, même à des milliers de kilomètres de leur île natale. C’est aussi cela, le rayonnement de La Réunion : une capacité à s’adapter et à s’intégrer tout en préservant ses racines.
En conclusion et à ce stade de mon humble contribution, être Réunionnais, c’est être un peu de tout cela : métissé, pluriel, et fier de l’être. C’est vivre une identité qui évolue, qui s’enrichit des influences extérieures tout en restant profondément ancrée dans ses traditions.
Comme le dit un proverbe créole, « Nout tout lé mélanzé. Nout tout lé métis. » Et c’est bien cette diversité qui fait notre force et notre beauté.
Un merci particulier
Je tiens à exprimer un merci particulier à mon Dalon de voyage pour quelques semaines, qui a su répondre avec beaucoup de patience et d’écoute à mes interrogations lors de débats passionnés et émotionnels. Grâce à lui, je continuerai, à travers d’autres belles rencontres, à m’intéresser à ce sujet si riche et complexe. Son soutien et sa compréhension ont été essentiels dans cette réflexion personnelle.
Frédérique Welmant
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.