[Noms de rues] Esclavagistes à l’honneur

RENOMMER LES RUES

Déboulonner la statue de Mahé de La Bourdonnais, soit. Mais pourquoi alors ne pas débaptiser les noms de rues qui rendent hommage aux esclavagistes ? Il y a de quoi faire.

Le déboulonnage de la statue de Bertrand-François Mahé de La Bourdonnais semble faire consensus dans la population réunionnaise, au pire indifférente. Mais qu’en est-il de toutes les rues, sites sportifs ou établissements scolaires dont les noms prêtent aussi à polémique, tant ils sont nombreux à évoquer l’esclavage et le colonialisme? 

Lory, Chateauvieux, Kerveguen, Villèle, Ozoux, Dioret Cambourg, Decaen, Hubert Delisle, Mahy… ils sont des dizaines d’esclavagistes à avoir donné leur nom à un lieu public. Imagine-t-on une rue Hitler ou une statue de Mussolini ? Pourquoi alors tolérer d’autres personnages qui ont participé à un crime contre l’humanité, comme la loi Taubira le dénonce clairement ? 

Pour Mathieu Laude-Persée, du collectif Laproptaz Nout Péi qui regroupe une quarantaine d’associations et milite pour le déboulonnage de La Bourdonnais, « il faudra bien sûr poursuivre le combat ». Le collectif estime qu’il faut valoriser « nos héros » et « rendre au peuple son histoire ». Ainsi, il évoque des consultations citoyennes pour convaincre la population, « il faut que les riverains y voient un intérêt », estime-t-il.

« Ne pas oublier l’histoire »

Pour le militant, « La Réunion est le dernier exemple d’un colonialisme réussi ». Il aimerait bien que cela change. Et si les noms qui évoquent l’esclavage sont bien sûr dans son collimateur, il pense tout autant à Michel Debré, à la rue de Paris ou au jardin de l’Etat. A noter que la rue de Paris du Port a été rebaptisée rue de la Commune-de-Paris par Paul Vergès.

De son côté, Gilles Gérard, anthropologue et historien qui a beaucoup travaillé sur l’esclavage, notamment l’affaire Furcy, craint le risque de « tomber dans l’ignorance ». Ainsi, il ne trouverait pas pertinent de changer le nom de la rue de la Compagnie. « Ça touche la question du positionnement de La Réunion par rapport à l’esclavage; il ne faut pas oublier l’histoire, mais la mettre en question. » On pourrait à ce propos adapter les manuels scolaires, qu’ils parlent un peu de l’histoire de l’île.

En revanche, il n’a pas d’états d’âme pour les esclavagistes, y compris Voltaire ou Diderot. « Il y a peu de rue qui honorent des souverains, il y en a qui s’appellent Lyautey, Galliéni, ou Napoléon… » Sans doute l’histoire de l’odonymie (Ndlr: noms des rues) qui au Moyen Age s’occupait de la situation des rues où là où elles allaient, et doit attendre le XVIIe siècle pour se voir attribuer des noms de personnalités. Pour encore changer à la Révolution avec des rues de la Liberté ou de l’Egalité. 

En tout cas, Mathieu Laude-Persée donne rendez-vous aux Réunionnais le 20 décembre 2023 pour le déboulonnage de la statue qui fait face à la préfecture. « Pour nous, ce n’est pas un effacement, c’est un rééquilibrage. »

Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.