[VU DE NOUMÉA]
Le 12 décembre prochain, la Nouvelle-Calédonie votera pour son indépendance ou en faveur de son maintien dans la république française : cette troisième et dernière consultation est censée conclure le processus de décolonisation engagé il y a trente ans, après les « Événements », une quasi guerre civile.

De notre envoyé spécial à Nouméa. – Les citoyens concernés commencent à connaître la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Pour la troisième fois depuis 2018, les électeurs du corps électoral spécial devront répondre par Oui ou par Non. Ce sera le 12 décembre prochain.
La dernière consultation sur l’avenir institutionnel de cet archipel isolé dans l’océan Pacifique sud aura bien lieu, malgré la crise sanitaire, malgré la crise économique, malgré la crise politique qui sévissent sur place — ainsi que l’a confirmé le haut-commissaire de la république (l’équivalent du préfet dans cette collectivité autonome), Patrice Faure, le 12 novembre dernier.
La question, la date, le maintien : les certitudes et les points communs avec les deux précédentes consultations (2018 et 2020 : 43 puis 47% pour le Oui et 57 et 53% en faveur du Non) s’arrêtent là. Pour tout le reste, c’est l’inconnu. Contrairement aux précédents scrutins, à moins d’un mois de l’échéance, aucune effervescence n’est perceptible dans les rues de la capitale, Nouméa.
Aucun drapeau Kanaky ou Bleu-blanc-rouge ne flotte à l’arrière des picks-up ou sur les bords des routes. La ville et l’arrière-pays tout entiers sont d’un calme apathique. Loin des joyeuses déclarations de positionnement et de ferveur pour un camp ou pour un autre, c’est dans une ère craintive de grande confusion et de paradoxes en apparence insolubles que la Nouvelle-Calédonie et ses 270 000 habitants ont pénétré.
Le FLNKS appelle à la non-participation
Dès le mois d’avril dernier, comme ils en avaient la possibilité grâce à l’Accord de Nouméa — le texte qui précise les modalités du processus de décolonisation supervisé par l’Onu — les indépendantistes élus à l’Assemblée locale ont demandé à l’État l’organisation d’un référendum. À Paris, la date en a été fixée par le gouvernement français, au 12 décembre, mais la crise sanitaire a changé la donne : « Aujourd’hui, les conditions sont loin d’être réunies pour aborder sereinement la troisième consultation, écrivaient encore mardi 16 novembre dans un communiqué toutes les composantes du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS, indépendantiste). En effet, la situation sanitaire n’est pas stabilisée et le risque de seconde vague est encore bien présent et tangible. Aujourd’hui, la majeure partie des personnes décédées de la Covid sont des Océaniens dont la plus grande partie des Kanak. »
L’un des deux peuples autochtones de France, avec les peuples premiers d’Amazonie, en Guyane, voit donc sa participation à ce scrutin remise en cause : en bloc, les indépendantistes « appellent les Calédoniens à ne pas participer à cette consultation. » Cet appel à la non-participation – et non pas au boycott actif comme cela a déjà été le cas dans le passé, prélude à de terribles violences pré ou post-électorales – est apprécié de façon très diverse dans la population et au sein de la classe politique calédonienne et française.
Les renforts policiers français, plus de 2000 gendarmes et policiers avec de nombreux véhicules blindés, sont déjà sur place depuis environ un mois.
Pour le gouvernement français et le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu, ce n’est pas un sujet. « La non-participation est un droit en démocratie, a-t-il tranché, le 14 novembre 2021, sur le plateau d’Europe 1. Avant d’ajouter sur le réseau social Twitter : « C’est sous ce quinquennat qu’il nous revient d’appliquer la fin de cet accord, signé en 1998, et d’imaginer le jour d’après ». En maintenant le référendum au 12 décembre 2021 alors que les indépendantistes appelaient à son report après l’élection présidentielle de mai 2022, le président Emmanuel Macron s’assure ainsi que les trois consultations sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie auront bien lieu pendant son mandat.
Contestation probable puis 4ème tour devant les instances internationales
Les questions de « l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté » et celle de la volonté d’indépendance du peuple autochtone seront-elles réglées pour autant ? Rien n’est moins sûr. Pas plus que ne seront balayées les craintes de l’avenir qui assaillent en ce moment la population de Nouvelle-Calédonie : l’un des plus importants représentants indépendantistes, le leader Daniel Goa (FLNKS) a annoncé qu’il n’appelait pas à la violence tout en affirmant « craindre des troubles de la part d’une jeunesse incontrôlable. »
Les partisans du Non, favorables au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France, se sont pour leur part réjouis de l’organisation de ce scrutin au 12 décembre 2021. « Le chef de l’Etat en respectant sa parole et en ne cédant pas aux menaces des indépendantistes nous a démontré qu’il tenait à la Calédonie et qu’il l’aimait, a réagi publiquement la cheffe de file des Loyalistes (non-indépendantistes, droite), Sonia Backès. Le 12 décembre nous irons voter Non à l’indépendance, en sécurité, pour ouvrir enfin une nouvelle page de la Nouvelle-Calédonie. »
La sécurité, que Sonia Backès évoque dans sa prise de parole, n’est pas le seul enjeu de l’organisation du référendum. Même s’ils ont d’ores et déjà annoncé qu’ils n’empêcheraient pas la tenue de la consultation, les maires indépendantistes ne fourniront pas d’assesseurs. Le FLNKS a assuré à plusieurs reprises qu’il contestera les résultats du scrutin, un Non massif si les consignes de non-participation sont suivies d’effets, devant les instances internationales. Les observateurs de l’Onu sont censés arriver en Nouvelle-Calédonie ce vendredi 19 novembre. Les renforts policiers français, plus de 2000 gendarmes et policiers avec de nombreux véhicules blindés, sont déjà sur place depuis environ un mois.
Julien Sartre