[NRL] Un fiasco à 3 milliards

PUBLICATION DU RAPPORT D’INFORMATION SUR LA NRL À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA RÉGION

La Région rend public ce matin, l’état du chantier la Nouvelle route du littoral (NRL). Il est marqué par une énorme incertitude sur ce que devront payer les contribuables réunionnais au titre du millard de réclamations des constructeurs Bouygues et Vinci (et Eiffage pour une petite partie). Les travaux ne reprendront pas avant 2025 et la relance des études et demandes d’autorisation rencontre ses premières difficultés. 

Le traumatisme du fiasco de la Nouvelle Route du Littoral inachevée et deux fois plus chère qu’annoncée justifie sans doute la torpeur qui s’est abattue sur ce tristement célèbre chantier du siècle. On reconnaîtra à Huguette Bello qu’elle n’a pas tardé à signer, dès mars 2022, un 3e protocole de Matigon qui réserve 846 M€ que se partageront 50/50 l’Etat et la Région pour finir les travaux. Mais, depuis cette signature en mars 2022, la reprise des travaux se fait attendre.

Huguette Bello et Jean Castex signent le protocole Matignon 3. © Julien Sartre

Que se passe-t-il sur le tronçon de la honte entre la Grande-Chaloupe et la Possession ? Sur ces 2,5 kilomètres de NRL invisible ? Les informations seront données officiellement ce matin, vendredi 3 novembre, en assemblée plénière du conseil régional. La Région se devait de répondre au rapport accablant de la chambre régionale des comptes dans un délai d’un an après sa publication. On est juste dans les clous.

Les conseillers ont déjà reçu ce « rapport d’information » depuis quelques jours, il a d’ailleurs fuité dans la presse puisque Stéphane Fontaine lui a consacré une page dans le Quotidien de mercredi. La veille, le Conseil économique et social (Ceser) s’était lui aussi penché dessus et avait émis des réserves quant à la capacité financière de la Région à faire face aux dépenses à venir.

Des réclamations astronomiques

C’est qu’en plus des 426 M€ (part de la Région) qu’il va falloir débourser pour finir la NRL, la partie réalisée sous l’ère de la précédente mandature est loin d’être payée. Le groupement Vinci-Bouygues demande près d’un milliard supplémentaire en « réclamations ». « C’est une épée de Damoclès au-dessus de notre tête », a répété le conseiller régional Wilfrid Bertile devant le Ceser. On parle là de sommes stratosphériques au regard des capacités financières de la collectivité réunionnaise.

Le rapport présenté ce matin, et que nous avons pu également consulter, ne rassurera personne. Il chiffre les réclamations du groupement à 726 M€ auxquels s’ajoutent 245 M€ d’intérêts moratoires (961 M€ au total). Trois marchés sont concernés :

Le (petit) viaduc de la Grande Chaloupe

Le constructeur Eiffage demande 21,5M€ en plus des 35 M€ qu’il a déjà perçus. Il a été impossible de s’accorder à l’amiable et le tribunal pourrait rendre une décision d’ici fin 2023 et début 2024.

Les digues

« Le montant contractuel du marché après avenants (61M€) et décision d’admission partielle « matériaux » (10M€) est d’environ 510M€ HT pour un montant payé de 475M€ HT pénalités de retard de 21.8M€ déduites », lit-on dans le rapport. La réclamation la plus importante (232 M€) porte sur les surcoûts des matériaux dus à la précipitation de l’ancienne mandature qui a longtemps voulu croire en l’ouverture de carrières qui n’ont jamais vu le jour. La Région a d’abord accepté, il y a un an, de payer 10 M€ puis de « prendre en charge la moitié des surcoûts « matériaux » allégués par le Groupement ».

La décision du tribunal est attendue d’ici mi 2024. Tout le débat portera sur la responsabilité des approvisionnements, contractuellement attribuée au constructeur. Mais était-il le seul responsable de la non-ouverture des carrières ?

Le grand viaduc de 5,4 km

Le groupement Bouygues Vinci réclame 691 M€ en plus des 675 M€ déjà reçus. La Région a concédé 10 M€ à l’issue de deux procédures amiables (une en directe sur 120 M€ et une autre avec des conciliateurs extérieurs portant sur 585 M€). Ces procédures ont échoué. Tout devra désormais se jouer au tribunal qui a annoncé vouloir juger l’ensemble avant fin 2023. Ce dont doute explicitement la Région. De toute façon, avec les procédures de recours qui ne manqueront pas de tomber, l’extinction de ces réclamations prendra encore quelques années.

Comment alors évaluer ce que devra payer la Région ? Elle dit avoir consenti à payer la moitié des surcoûts sur les matériaux, mais qu’en est-il des autres surcoûts allégués ? Faut-il extrapoler à partir des deux premières décisions définitives prononcées par la Cour d’appel administrative de Bordeaux qui a condamné la Région à payer 1,4 M€ sur deux réclamations de 5,2 M€ en tout ? La Chambre régionale des comptes a recommandé d’inscrire sincèrement les provisions liés à ce milliard de contentieux. Admettons que l’exercice est périlleux, non seulement il obère les capacités d’investissement de la collectivité mais il risque de donner un signal de reconnaissance des dettes…

Assemblée plénière Région
L’assemblée plénière de la Région débat ce matin du dernier rapport d’information sur la NRL.

Le prêt européen à renégocier

Le rapport sur la NRL fait le point financier : 1,676 milliard déjà payés (c’était l’estimation initiale pour la totalité de l’ouvrage) auxquels s’ajouteront 846 M€ des accords de Matignon 3 pour finir la NRL. Soient déjà 2,522 milliards, sans compter « l’épée de Damoclès » des réclamations. On ne sera pas loin des 3 milliards en bout de route… si on y arrive.

Pour financer tout ça, la Région a contractualisé 2 contrats avec la Caisse des Dépôts et Consignations. « La banque a autorisé le réaménagement du contrat afin de permettre un report de la consolidation du prêt au plus tard le 18 décembre 2026, le temps du redémarrage des travaux de la NRL », assure le rapport. C’est moins sûr pour le prêt de la Banque européenne d’investissement qui a annulé l’encours restant à mobiliser (soit 150 M€ sur 500 M€). Il faudra donc faire une nouvelle demande de prêt pour financer le nouveau viaduc.

Fissures classiques

Quant au chantier, 8 km de NRL sont donc livrés sur les 12 km que compte le tracé. Les accropodes brisés de la carapace des digues ont été réparés. Les deux bouts attendant le futur viaduc ont été sécurisés. Et au plan environnemental, il est dit que les impacts réels de la phase chantier étaient bien moindres que ceux évalués a priori lors des phases d’études et de procédures.

On lit également que certaines « pathologies » ont été signalées : échelles corrodées dans le viaduc, jupes de protection des appareils d’appui déchirées et présence de fissures. Il est précisé que ces fissures sont liées au phénomène classique de retrait des bétons qui apparaissent systématiquement sur ce type d’ouvrage et ne remettent pas en cause la durabilité de l’ouvrage, décrit comme étant « en bon état général ».

Enfin, l’objectif de reprise des travaux du futur viaduc est annoncé pour 2025 avec une fin de chantier à l’horizon 2028. Le comité de suivi (Etat/Région) recommandé par la CRC pour poursuivre le projet s’est réuni en juillet 2022 puis en mai 2023. Une troisième réunion est prévue à la fin du mois de novembre. Le comité scientifique, en revanche, a été « particulièrement difficile à mettre en place ». Ce qui constitue un point de vigilance quand on se souvient que le fiasco de la NRL est largement dû à la tendance de l’ancienne mandature de ne pas tenir compte des avis scientifiques.

Egis garde la maîtrise d’oeuvre… pour l’instant

Concrètement, un premier marché pour les sondages géotechniques entre la Grande Chaloupe et la Possession a été notifié en septembre 2023 pour un montant de 8,4 M€. Les bateaux arriveront en janvier prochain pour commencer les sondages au premier trimestre 2024. La Région a également décidé de prolonger par un avenant de 7,1 M€ le contrat du maître d’oeuvre Egis. Ce choix pris en commission d’appel d’offres le 17 août dernier n’a pas fait l’unanimité. Selon le Quotidien, deux membres de la majorité, Jacques Técher, président de la CAO et délégué aux routes, et Christian Annette ont voté contre cet avenant du fait qu’Egis porte quand même une part de responsabilité dans le fiasco NRL et qu’il serait normal de le mettre au moins en concurrence avec d’autres maitres d’oeuvre.

Pour la Région ce choix d’Egis « apparaissait comme une solution juridiquement sécurisée et la plus adéquate en termes de délais et de maîtrise des coûts. »  Ce prolongement de la maîtrise d’oeuvre d’Egis se limite uniquement à la phase de conception. Un nouveau marché sera lancé pour les travaux à venir : le grand viaduc, le démontage de la route du littoral non exploitée, le raccordement et la mise en service de l’échangeur de La Possession, les marchés pour équipements, finitions, assainissement…

Ces premières difficultés confirment que le chemin est encore long pour achever la NRL. Il faudra notamment demander de nouvelles autorisations qui seront instruites et soumises à enquêtes publiques.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.