La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)

[Plantes invasives] Qui protège nos forêts ?

LE SENECIO AU MAÏDO

Les efforts et la ténacité citoyenne payent et la relève est là. Depuis le 1er février 2023, une équipe de huit contrats Parcours emploi compétences (Pec) a pour mission pour les 11 prochains mois au moins d’arracher le senecio, la liane vivace qui a envahi un site au niveau du Maïdo. Depuis un an, Parallèle Sud a suivi la mobilisation sans relâche d’une retraitée, Ghislaine Seguin, et des bénévoles d’une association qui alertaient depuis 2019 sur la progression rapide de cette plante invasive.

Elus, employés communaux, associations de protection de la biodiversité… tous saluent le courage de Ghislaine Seguin. Sans sa ténacité, rien n’aurait bougé. La retraitée pourtant s’est retrouvée bien seule aux débuts. C’est elle qui a alerté la mairie en 2019 du développement rapide d’une nouvelle peste végétale au niveau du Maïdo, en face du restaurant la Luge. Le senecio, une liane vivace originaire d’Afrique du Sud, fait de jolies fleurs jaunes, grimpe sur les arbres et les étouffe. Elle a été importée à La Réunion comme plante ornementale pour agrémenter les jardins. Aujourd’hui, elle s’est répandue dans tous les hauts de l’île : Saint-Paul, Saint-Leu, Trois-Bassins, Tampon, Plaine des Cafres…

Nous avions réalisé un reportage sur le site du Maïdo en mai 2022, alors que Ghislaine et l’association Scabe (une association des hauts de Saint-Gilles) se rendaient au moins une fois par mois sur site pour arracher la plante, de leur propre initiative, accompagnés de quelques bénévoles, puis d’un à deux employés communaux. Le reportage photo d’alors permet de voir la situation il y a un an.

  • Le senecio est une plante invasive qui a été repérée dans un premier temps au Maïdo. (Photo JSG)
  • Le senecio est une plante invasive qui a été repérée dans un premier temps au Maïdo. (Photo JSG)
  • Le senecio est une plante invasive qui a été repérée dans un premier temps au Maïdo. (Photo JSG)
  • Le senecio est une plante invasive qui a été repérée dans un premier temps au Maïdo. (Photo JSG)
  • Le senecio est une plante invasive qui a été repérée dans un premier temps au Maïdo. (Photo JSG)

« Mais au bout d’un moment on arrive à saturation », confiait « Gigi » lorsque nous l’avions interviewée chez elle quelques jours plus tard. Elle nous avait retracé l’histoire et nous avait raconté comment elle avait débuté la lutte, seule ou presque, contre le senecio.

A La Réunion, la question des plantes invasives est de plus en plus préoccupante. En 2017, la note attribuée à l’île a même été rétrogradée au regard du manque de moyens mis en œuvre pour protéger des nombreuses pestes végétales sa magnifique nature et sa biodiversité qui avaient valu l’inscription des pitons, cirques et remparts au patrimoine mondial de l’Unesco en 2010. « Une surveillance continue et l’application d’une stratégie complète pour contrôler et éradiquer les espèces exotiques envahissantes sont indispensables et devront être menées à long terme et de manière ininterrompue ainsi qu’avec un financement continu important », prévient l’Unesco

Situation inquiétante

Le plan opérationnel de lutte contre les espèces invasives à la Réunion indique qu’en 2016, 215 plantes et 84 animaux étaient considérés comme invasifs ou potentiellement invasifs pour l’île. Des études et recherches sont en cours depuis plusieurs années pour mieux connaître ces espèces et les cartographier. Sur les sentiers, toutefois, tout amoureux de la nature le constate : la situation est inquiétante. Et aujourd’hui, malheureusement, les sites qui échappent encore à la présence d’espèces invasives sont quasiment inexistants.

Depuis qu’elle a découvert en 2019 le senecio et constaté sa progression rapide, Ghislaine Seguin a toqué à toutes les portes : le conservatoire botanique, l’ONF, le parc national, la mairie… Depuis 2019, aucun des acteurs institutionnels n’a vraiment pris le relais sur le terrain. Le chemin de la sensibilisation est long. « Je ne suis pas sûre que les acteurs concernés aient tous pris conscience de l’importance de ce sujet », estime sous couvert d’anonymat une personne qui travaille au sein de l’une de ces institutions. « Pour les gens, de manière générale, ce n’est pas la priorité, ils ne se sentent pas vraiment concernés et donc ça en fait des thématiques très difficiles à traiter. Au final, les plus moteurs ce sont les citoyens sensibles à la préservation de l’environnement comme Ghislaine ou l’association Scabe. »

Pourquoi tant de temps ?

« Ce qui est dommage, c’est que sur la lutte, l’initiative même ne vient pas d’en haut mais d’en bas », regrette Olivier Clain de l’association Plant’Ali. « Au niveau politique, ça commence à faire réagir quand des gens commencent à s’inquiéter de la situation. Vu la quantité d’argent que donnent la France et l’Europe pour l’écologie, on serait sorti d’affaire depuis longtemps si les mesures avaient été prises. » Au début, Ghislaine se voit parfois poliment remerciée. Mais heureusement, à l’extérieur comme à l’intérieur des institutions, ils sont quelques-uns à essayer de faire bouger les lignes. Sensibiliser, convaincre, à leur échelle, et cela permet de faire avancer les prises de conscience, les moyens mis en œuvre.

Pourquoi tant de temps entre l’alerte et la concrétisation d’une action urgente ?

Parcelle communale

Il semble y avoir plusieurs facteurs. La situation est particulière, le terrain sur lequel se développe le Senecio est une parcelle de forêt communale. Bien souvent, les forêts se situent sur des terrains départementaux et l’ONF est payée par le conseil départemental pour gérer ses forêts. Il y a un temps de flottement. « Mme Seguin est venue nous dire c’est chez vous, sur vos parcelles, et si ça prolifère, ce sera votre responsabilité », explique Mélissa Cousin, élue à la mairie de Saint-Paul. « Il nous a fallu le temps de voir de quoi il s’agissait, consulter tout le monde, le conservatoire, le parc… Et puis on a décidé de l’aider. »

Une étude est mise en route. « C’est vrai que les études prennent du temps, alors que la détection précoce doit être rapide dans l’exécution. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas au niveau de la procédure actuelle de détection précoce ». Stéphanie Dafreville est une ancienne du Parc national. Généticienne de formation, elle a travaillé sur l’ADN des espèces endémiques réunionnaises. Elle est arrivée il y a un an environ à la direction de la biodiversité et des ressources naturelles au sein du pôle Ville nouvelle et transition écologique mis en place par la nouvelle mandature. Cette nouvelle direction a été créée pour répondre notamment aux enjeux de conservation de la biodiversité en zones urbaines et péri-urbaines.

La biodiversité, c’est la lutte contre les invasives

« J’ai la délégation biodiversité, pour moi protéger la biodiversité, c’est en grande partie la lutte contre les invasives », reprend l’élue, Mélissa Cousin. « J’aimerais bien qu’il y ait plus de moyens. Il y a une question de priorisation. »

« On est dans un contexte de réduction de moyens de fonctionnement, comment expliquer aux gens qui payent des impôts qu’au lieu de nettoyer devant chez eux, d’assurer la propreté de la Ville, d’améliorer la qualité du cadre de vie, les moyens seront mis dans une forêt pour lutter contre une plante invasive, alors qu’il ne s’agit pas d’une compétence communale ? » fait remarquer Stéphanie Dafreville.

  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)
  • La parcelle envahit de senecio et de liane rouge au Maïdo en face du restaurant la luge. (Février 2023)

La commune ne peut pas embaucher d’agents supplémentaires et cherche d’autres options de financement.

Aujourd’hui, il semblerait que le vent tourne. « Il y a un alignement des étoiles », affirme Naïla, une employée communale. « On a vraiment de la chance » lâche Chantal. L’agente de la pépinière municipale a participé depuis un an aux chantiers participatifs organisés par Ghislaine et l’association Scabe. Le 1er février 2023, huit contrats Parcours emploi compétences (Pec) étaient sur les lieux en train d’arracher les lianes. « La Région a mis en place des emplois verts pour la lutte contre les espèces invasives, nous avons saisi l’opportunité », indique Stéphanie Dafreville. Une association du Guillaume a été mobilisée, permettant d’impliquer dans l’arrachage du senecio des personnes du quartier, plus concernées et plus proches géographiquement.

Une nouvelle exotique : la liane rouge

Leur contrat est prévu pour durer 11 mois, après quoi il faudra agir pour que ce dispositif puisse se pérenniser avant que le senecio n’ait le temps de détruire les efforts déployés précédemment.

Les petits moyens mais la grande énergie de Ghislaine et de l’association scabe ont permis jusque-là de ralentir la progression de la plante. En septembre 2022, les bénévoles suspendent leurs actions, la mairie est censée prendre le relai. Quelques mois d’arrêt suffisent à faire repartir de plus belle le senecio. D’autant qu’un invité surprise s’est mêlée à l’affaire : la liane rouge, déjà présente ailleurs sur l’île, arrivée sur site en fin d’année 2022. Ghislaine a pu en faire le constat lorsqu’elle est remontée fin janvier et début février pour accompagner un groupe de lycéens. « Les deux s’entendent à merveille, ils s’aident l’un l’autre à monter sur les arbres. Deux arbres sont morts sur à peine 10m2 ! » s’inquiète Chantal. « On s’est beaucoup intéressé aux lianes mais le sol est rempli de racines partout, plus rien ne pousse ! » fait-elle remarquer.

Mélissa Cousin le reconnaît : « Il est temps de passer à l’arrachage. Pour le senecio, il faut vraiment mettre un coup de collier. Un engagement plus fort, peut-être aussi au niveau régional. »

« Rien n’est perdu, tout est possible »

« C’est un travail de longue haleine », confirme Chantal. « Là où on a déjà enlevé le senecio, il y a un travail de suivi méticuleux à avoir. Il est hyper traître, la moindre brindille refait une liane 45 mois après, il a laissé une énorme quantité de graines en dormance. Quand c’est en fleur, la moindre brise emmène les graines très loin. »

Pendant ces onze mois, les salariés en contrat d’insertion seront encadrés et formés par Naïla et Chantal. La forêt du Maïdo où s’est implanté le senecio est une forêt de bois de couleur des Hauts, où on retrouve des mahots, des tamarins des Hauts. D’autres pestes végétales sont implantées comme la vigne marrone, le longose. « On a un autre début d’invasion : la passiflore banane, c’est une grenadine longue, qui fait comme un petit concombre », décrit Chantal. Désormais, pour agir vu la progression, il faut mettre en œuvre une certaine stratégie.

« On enlève le senecio entremêlé de longose mais on préfère garder le longose pour l’instant, ça conserve un peu d’ombre pour le sol », détaille la pépiniériste. « Par la suite, on viendra les enlever, on peut pas laisser le sol à nu, ça va déséquilibrer tout l’écosystème. A long terme, ce qu’on voudrait, ce serait replanter. Récolter les graines de la forêt, les mettre en production et replanter. » Des données seront récoltées pendant toute la durée de l’action afin de suivre l’évolution des plantes.

« On veut montrer que rien n’est perdu, tout est possible. »

Jéromine Santo Gammaire

Mélissa Cousin, élue à la mairie de Saint-Paul
« En 2021 on a concouru pour les subventions MobBiodiv. On a été retenu sur notre dossier lutte contre le tulipier du Gabon. On a obtenu 260 000 euros pour lutter contre cette plante exotique. Le tulipier du Gabon est un très grand arbre, très costaud. Il donne des fleurs rouges magnifiques, il prend l’espace de tout le reste. On travaille avec l’association AVE2M basée au Tampon.
Le tulipier du Gabon fait partie des 100 espèces les plus invasives sur la planète. Il faut une action régionale. C’est une vraie menace sur la biodiversité.
Pour certaines plantes, on a perdu la bataille. On ne peut plus éradiquer, mais on peut contenir par contre. Le senecio, à certains endroits, on ne peut plus l’éradiquer, mais on peut l’encercler pour qu’il ne descende pas plus. »

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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