[Politique] Yannick Jadot : « Passer à l’action pour éviter la catastrophe »

ENTRETIEN

Le candidat écologiste à la dernière élection présidentielle donne son avis sur le modèle agricole réunionnais, l’urgence à agir, la politique énergétique, la décentralisation, la NRL, les 49.3 et les motions de censure…

Les agriculteurs, planteurs de cannes, que vous avez rencontrés, n’ont-ils pas trouvé les propositions d’autonomie alimentaire d’Oasis Réunion incompatibles avec leurs préoccupations ?

La canne est une culture structurante de La Réunion mais représente 50% des terres. Il ne faut pas nier nos capacités à développer des cultures vivrières tout en donnant un avenir à la canne. Cet avenir est menacé et il faut redonner un cap à cette culture en en discutant avec les planteurs, et pas seulement entre l’Etat et les industriels. Ce sont les planteurs qui s’y connaissent le mieux. Ils savent leur dépendance au climat, à la subvention publique et à un opérateur privé unique. Ils sont les victimes de ce système et sont prêts à en changer et à se diversifier sur une partie de leurs terres.

Vous n’êtes pas venu à La Réunion pendant la campagne de l’élection présidentielle alors que vous étiez candidat. Aujourd’hui, hors campagne, quelle est la raison de votre venue ?

Comprendre les spécificités de La Réunion, écouter, débattre, apprendre, c’est la responsabilité de tout homme politique. Ce n’est pas seulement quand on est en campagne qu’on doit s’intéresser aux Français(e)s. C’est même à cause de ces attitudes, qu’il y a tant d’abstention et des votes de rejets.

Il est aberrant qu’il n’y ait pas des panneaux photovoltaïques sur la moitié des toits.

Il y a une vingtaine d’années, le candidat écologiste faisait jeu égal avec le candidat du Front Nation (en fait 2,14% pour Noël Mamère et 3,81% pour Jean-Marie Le Pen). Comment expliquez-vous que les arguments des écologistes n’aient pas convaincu les Réunionnais ?

Nous ne fantasmons pas le passé. Nous ne disons pas que c’était mieux avant et qu’il faut y retourner. Nous, nous proposons d’affronter les défis d’aujourd’hui : le dérèglement climatique, la mondialisation, une guerre en Ukraine, l’explosion des prix. C’est une crise de l’avenir. Dans une société où vous avez la trouille, c’est la trouille qui vous guide et pas le cerveau. Peut-être que parfois, les écologistes manquent de pédagogie pour expliquer que l’avenir peut être bienveillant et que ce n’est pas la faute de l’étranger ou du voisin.

Yannick Jadot, député européen, candidat à l'élection présidentielle d'EELV Europe écologie les verts, en visite à La Réunion dans un champ de cannes avec les planteurs de la CGPER
Yannick Jadot, député européen, candidat à l’élection présidentielle d’EELV Europe écologie les verts, en visite à La Réunion dans un champ de cannes avec les planteurs de la CGPER

Le défi est tellement immense qu’il y a de quoi être découragé face aux effondrements de l’environnement, de la biodiversité. En quoi l’écologie peut-elle réussir à inverser la tendance ?

Justement, passer de la trouille, de la catastrophe possible, à l’action, pour éviter la catastrophe. On voit bien comment les chocs climatiques percutent tout le monde et tous les jours. On pourrait se contenter du statu quo, comme le fait le gouvernement. Mais ça ne résout rien. J’ai vu au Chaudron les jardins familiaux qui fournissent la moitié des besoins alimentaires des familles, j’ai vu le téléphérique de Saint-Denis qui permet d’éviter les bouchons. J’ai vu les agriculteurs qui se posent les bonnes questions sur la crise climatique, les pesticides et les dépendances des importations. Je vois ici un potentiel extraordinaire de solutions. Mais il faut de la volonté politique. A nous de gagner les élections pour mettre en oeuvre ces solutions.

Non au nucléaire

Malgré de nombreuses opérations de communication d’auto-congratulation, La Réunion n’a jamais réussi à sortir de sa dépendance aux hydrocarbures. Qu’aurait-il fallu faire pour favoriser vraiment, ici, les énergies renouvelables ?

Il est aberrant qu’il n’y ait pas des panneaux photovoltaïques sur la moitié des toits. C’est la solution la moins chère pour produire de l’électricité dans une île où l’ensoleillement est exceptionnel. Il y a beaucoup de vents, la houle, des potentiels de géothermie. On ne peut pas dire que le dernier mandat à la Région ait eu une volonté forte de développer les énergies renouvelables.

Est-ce qu’avec les évolutions du contexte et des technologies, le nucléaire pourrait devenir une énergie propre ?

Non ! Vous voulez d’une centrale nucléaire à La Réunion ? On voit dans l’Hexagone que la moitié des centrales nucléaires sont en rade parce qu’elles vieillissent. Et on ne sait toujours pas quoi faire des déchets nucléaires. D’ailleurs il n’y a pas une entreprise privée qui mette un euro dans le nucléaire, toutes investissent dans les énergies renouvelables. La question est de savoir si on fait de nouveaux réacteurs qui ne seraient opérationnels qu’en 2045 ou si on investit massivement dans les énergies renouvelables. Qu’on soit pro ou anti-nucléaire, ce dont on a besoin aujourd’hui, c’est d’investir massivement dans les énergies renouvelables et les économies d’énergie.

Nous sommes régionalistes et fédéralistes. Nous croyons en la maîtrise de nos destins collectifs à l’échelle des territoires.

Pourquoi avez-vous rencontré l’évêque Gilbert Aubry ?

L’église a un certain nombre d’idées sur les questions sociétales qui ne sont pas les miennes. Mais quand vous avez une évêque, très engagé sur l’écologie, qui maintient un dialogue inter-religieux très intéressant et qui propose une conférence territoriale sur l’avenir de La Réunion pour  réunir les collectivités et les forces vives réunionnaise, pour que les Réunionnais décident ensemble, et bien je trouve que c’est une belle idée.

Il y a en effet tendance à revendiquer davantage de responsabilité locale. Europe Ecologie Les Verts est prêt à évoquer la question statutaire avec les outre-mers ?

Toujours. Nous sommes régionalistes et fédéralistes. Nous croyons en la maîtrise de nos destins collectifs à l’échelle des territoires. Nous sommes pour la décentralisation des compétences, y compris en matière fiscale. C’est proche du terrain qu’on a les meilleures politiques. Mais nous sommes aussi pour L’Europe, acteur important pour les régions ultra-périphériques (RUP).

Impasse de l’Assemblée nationale

Vous avez pu emprunter un morceau de la Nouvelle Route du Littoral. Vous avez exprimé une position détonnante : on arrête le chantier ?

De ce que j’en comprends, il y a d’énormes priorités sur les entrées principales des agglomérations. Et il n’y a pas d’argent magique. Les Réunionnais(es) doivent se poser la question : « Si on a 1,5 milliard, on le met où dans les années qui viennent »? Dans des bus à haute fréquence ? Dans des tramways ? Dans le développement du covoiturage ou des téléphériques ? Ou est-ce qu’on met tout dans le dernier tronçon ? C’est une bonne question pour les Réunionnais.

Est-ce qu’un député d’Europe Ecologie Les Verts peut mêler sa voix à celle d’un député du Rassemblement National pour faire tomber un gouvernement ?

Moi, j’ai tranché cette question. Personne ne fait tomber un gouvernement puisqu’on n’a pas de majorité. On ne va pas être tous les jours sur des 49.3 ou des motions de censure avec le Rassemblement National qui ne changent rien ! Le gouvernement et le président Macron pourraient davantage faire vivre le parlementarisme. L’Assemblée nationale a voté des choses très intéressantes sur la rénovation des logements et les transports ferroviaires. Plutôt que de toujours forcer le parlement, comme s’il avait la majorité absolue, Emmanuel Macron devrait écouter son Assemblée nationale. Il faut que l’Assemblée soit obsédée pour construire des compromis avec d’autres pour servir les Français(es). Quand les Français(es) voient ce qui se passe à l’Assemblée ils doivent se dire que la prochaine fois ils ne voteront pas ou ils voteront Rassemblement National. Et ça, ce serait une catastrophe pour tout le monde.

Entretien : Franck Cellier

Les pieds sur terre

Député européen depuis 2009, Yannick Jadot était le candidat d’Europe Ecologie Les Verts à la dernière élection présidentielle. Il a recueilli 4,63% des suffrages au niveau national (2,31% à La Réunion). N’ayant pas pu se rendre dans notre île à l’occasion de la campagne officielle — son voyage avait été reporté puis annulé à cause des restrictions sanitaires — il honore cette semaine l’invitation des militants écologistes locaux. Au programme, visite du collectif Oasis (qui prône l’auto-suffisance alimentaire), les jardins partagés du Chaudron, la centrale de Bois-Rouge, les champs de canne de Saint-Leu.

C’est là que Parallèle Sud l’a rencontré alors qu’il était venu discuter avec les planteurs. En particulier des responsables syndicaux de la CGPER réunis autour de Jean-Michel Moutama et Axel Hoarau. On aurait pu s’attendre à des échanges tendus entre ceux qui veulent sortir de la canne et ceux qui veulent y rester. En fait les planteurs présents se sont déclarés ouverts, voire volontaires, à la diversification. Il est vrai qu’aujourd’hui la moitié des agriculteurs qui s’installe se lance dans le bio et le nombre de producteurs bio est passé en un an de 500 à 550…

  • Yannick Jadot, député européen, candidat à l'élection présidentielle d'EELV Europe écologie les verts, en visite à La Réunion dans un champ de cannes avec les planteurs de la CGPER Jean-Michel Moutama
  • Yannick Jadot, député européen, candidat à l'élection présidentielle d'EELV Europe écologie les verts, en visite à La Réunion dans un champ de cannes avec les planteurs de la CGPER Jean-Michel Moutama
  • Yannick Jadot, député européen, candidat à l'élection présidentielle d'EELV Europe écologie les verts, en visite à La Réunion dans un champ de cannes avec les planteurs de la CGPER Jean-Michel Moutama

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.