[Portrait] Christophe, le sans-abri discret de la rivière Fleurs Jaunes

SALAZIE : IL A ÉTÉ EMPORTÉ PAR LA RIVIÈRE EN CRUE

Peu après midi, mardi 16 janvier, à la levée de l’alerte rouge à Salazie, un homme du nom de Christophe a été retrouvé mort par les gendarmes. Son corps était enseveli au trois quarts aux abords de la rivière Fleurs Jaunes non loin du pont de la route qui mène à Grand-Ilet. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a comptabilisé cette disparition quelques instants après lors de son intervention à l’Assemblée nationale.

Laissant derrière lui sa tente et des dizaines de livres, celui qu’on surnommait « Le Belge » n’a pas résisté à la violence du cours d’eau sorti de son lit. Des riverains et des gendarmes étaient venus le voir avant l’alerte violette, lui proposant un toit un peu plus haut vers le village. Mais le solitaire a refusé. À l’endroit où il se trouvait, personne ne pouvait lui porter secours au moment des faits.

  • dégâts du cyclone Belal

 

Né à Toulon en 1960 Christophe passe une partie de sa jeunesse à Madagascar. Il y a 20 ans, il pose ses bagages à La Réunion. Il aurait habité une petite case un peu plus haut après le pont de la rivière Fleurs Jaunes, avant de venir planter sa tente du côté de l’aire de pique-nique. Les week-ends, lorsque le lieu est fréquenté, il s’éloigne, préférant la solitude à la compagnie. « Il n’était pas particulièrement sociable mais il n’embêtait personne », confie-t-on à la mairie.

Les voisins le décrivent comme solitaire et réservé. « Ça doit faire quatre ou cinq ans que je vois son campement au bord de la rivière », raconte l’un d’eux. « C’est un monsieur qui lisait beaucoup, il était très intelligent. Il avait toujours un petit carnet de notes avec lui. Je le voyais tous les jours en prenant le bus », raconte un autre. Sur le lieu du drame, des dizaines de livres et de magasines sont témoins de sa passion pour la lecture. « Il s’intéressait aussi beaucoup à la spiritualité. Quand je parlais avec lui, il faisait souvent référence aux étoiles et aux astres. C’est ce dont je me souviens le plus », témoigne une connaissance.

Parmi les débris, un livre au titre cruellement ironique : « L’ami retrouvé ». © Etienne Satre

Christophe était connu des services sociaux. Il disposait d’une adresse de domiciliation au CCAS, il percevait les AAH (Allocation Adultes Handicapés). Une employée du centre d’action lui donnait ses courriers tous les vendredis quand il montait en ville faire ses courses. Selon les services sociaux, il avait rempli une demande de logement en 2018 mais « n’avait pas été assez assidu pour la mener à son terme ».

Peu bavard, il avait des particularités marquantes : il était végétarien et ne buvait pas d’alcool. Un vendeur du coin raconte : « il achetait souvent des petits biscuits et des allume-feu.»

Non loin du site où sont éparpillées les affaires du « Belge », se trouve une petite maison en tôles autour d’un conteneur. Constituée d’une chambre et d’un coin cuisine elle est visiblement à l’abandon. Christophe y a-t-il déjà trouvé refuge ? Venait-il juste pour se faire à manger ? Sur place, il n’a laissé aucun indice de son passage.

Christophe se réfugiait-il parfois dans cet abri ? © Etienne Satre

L’homme de la rivière Fleurs Jaunes était un solitaire, venu ici sans proches ni famille, il vivait paisiblement et simplement. L’histoire de Christophe rappelle que derrière chaque personne que la société marginalise se cache une existence unique, façonnée par des choix personnels et des circonstances difficiles. Le cyclone Belal a laissé dans son sillage le récit incomplet et poignant d’un homme qui a préféré vivre selon ses propres termes, même au prix de sa vie.

Etienne Satre

A propos de l'auteur

Etienne Satre | Etudiant en journalisme

Etienne Satre a rejoint l'équipe en janvier 2024 en tant qu'apprenti journaliste. Il étudie à l'Institut de l'image de l'océan indien (Iloi) basé au Port.