ÉCO-PÂTURAGE ET RUCHES
Sept chevaux broutent sur les pentes de la montagne d’ordures de Pierrefonds. Ils remplacent les gaz d’échappement des débroussailleuses ou les épandages d’herbicides. Plus loin, les abeilles testent déjà la qualité de l’air…
Faut-il détourner le regard quand on passe devant la montagne d’ordures qui s’élève à Pierrefonds ? L’installation de stockage des déchets non dangereux (ISDND) d’Ileva reçoit depuis près de 40 ans les poubelles de l’Ouest et du Sud de La Réunion. Soient plus de 8 millions de tonnes d’immondices, conséquences de notre incapacité à réduire notre production de détritus.
Pourtant, une décharge peut aussi proposer un paysage bucolique. C’est le pari qu’a tenté Florence Mussard depuis trois ans. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la directrice de la décharge gérée par Green Tropical Circle (GTC) a transformé les pentes les plus douces en paddocks. Sept chevaux y paissent paisiblement sous le regard des automobilistes circulant sur la quatre-voies. Ce sont des doubles-poneys pyrénéens : des potioks.
Cette giga-décharge ne disparaîtra pas. Qu’on le veuille ou non, elle continuera à servir à recevoir des ordures même après la mise en service du centre de tri et de l’incinérateur de Runeva annoncée pour 2026. Les chevaux sont là pour lui donner une meilleure image.
Pas de contact avec les ordures
Mais pas que… Ils participent à l’entretien de quelque 50 hectares de la décharge. En broutant l’herbe sur les 2 hectares qui leur sont dédiés, ils évitent aux agents de GTC de longues heures de débroussaillage.
L’éleveur Patrick Pellot a hésité au début de ses discussions avec le gestionnaire de la décharge. Ses potioks, qu’il chérit depuis plusieurs générations — des transhumances alpestres à leur arrivée à La Réunion en 2002 — trouvent-ils à Pierrefonds une herbe aussi appétissante que celle de leurs prairies de Grand-Coude (Saint-Joseph).
L’herbe, qui recouvre les premiers « casiers » de la décharge, est isolée des déchets par une première épaisseur de 50 cm de boue étanche qui est recouverte d’une bâche tout aussi étanche. Sont ensuite rajoutées deux couches de terre classique et de terre végétale.
Du crottin plutôt que de l’essence ou des herbicides
« J’aime la démarche, s’est convaincu Patrick Pellot. Plutôt que de mettre des hommes avec des débroussailleuses, on met des animaux, dépenser de l’essence ou des herbicides, on utilise des animaux ». Il propose le même deal avec des moutons pour désherber les surfaces recouvertes par les centrales photovoltaïques. « Il faudrait davantage appliquer l’arrêté préfectoral qui régit la couverture des terres agricoles par des panneaux photovoltaïques », remarque-t-il au passage.
« Ça participe à promouvoir une autre image de l’enfouissement. Ça montre à tout le monde que l’enfouissement n’est pas une activité toxique », insiste Florence Mussard. Les robustes potioks ont en tout cas montré qu’ils s’acclimataient fort bien à l’herbe et à l’atmosphère de la décharge. Habituée aux neiges pyrénéennes, cette race supporte aussi les 40°C sans ombre de la colline saint-pierroise.
« Ils ont la vie de château », lance même leur propriétaire qui, pour rien au monde, ne les enverrait à la boucherie, même pas à un centre équestre. Quelques-uns sont pourtant débourrés et pourraient être montés.
Les abeilles pour surveiller la pollution
Moins visibles que les chevaux, deux ruches ont également fait leur apparition sur la plus ancienne parcelle de la décharge. L’association Bee-Run les a installées à l’ombre des rares arbres du coin. « On peut mettre des chevaux et des abeilles parce qu’on est sûr que notre activité n’a pas d’impact négatif sur l’environnement, explique Florence Mussard. Les ruches représentent notre engagement pour la sauvegarde des abeilles et la biodiversité. »
Christophe Dupeyré, président de Bee Run confirme que les ruches de la décharge, suivies par le GDS (Groupement de défense sanitaire), servent à cartographier l’avancée des maladies affectant les abeilles. Elles remplissent aussi un rôle de sensibilisation quant aux rôles des abeilles pour la préservation de l’environnement.
Elles assureront enfin la bio-surveillance de l’évolution de l’ISDND et de l’outil multifilière Runeva. « Les pollens transportés par les abeilles captent les traces de pesticides et de métaux lourds, indique Christophe Dupeyré. Leur analyse permettra de mesurer la pollution de l’air et de faire un état des lieux avant et après la mise en service de l’incinérateur. »
Chevaux et abeilles sont ainsi devenus les éco-acteurs de l’enfouissement de nos ordures. Et Florence Mussard remarque que les activités avec les animaux, annexes au traitement de déchets, créent du lien parmi les salariés.
Franck Cellier
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