LIBRE EXPRESSION
En juin 2023, après 4 mois de travaux au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer, il est apparu que l’objectif de souveraineté alimentaire est suspendu aux enjeux du foncier agricole.
A La Réunion en 10 ans la SAU est passée de 43000 ha à 38 000 ha, la population agricole est âgée et le vieillissement s’accélère. Les terres incultes ou en friches prolifèrent.
Les retraites étant faibles, l’agriculteur qui arrive à la retraite à la tentation de spéculer plutôt que de transmettre.
Il conviendrait donc de mettre en place des mesures fortes avec pour objectifs :
– De créer un tissu d’exploitations rentables et transmissibles d’une génération d’agriculteur à l’autre
– D’assurer la pérennisation de l’activité agricole en luttant notamment contre le mitage des parcelles
Ces objectifs pourraient plus facilement être atteints en s’inspirant d’un dispositif qui a fonctionné à La Réunion, avec succès, de 1998 à 2012.
S’inspirer du dispositif mis en place en 1998
Une adaptation progressive des décrets au contexte des DOM
Les dispositifs antérieurs (mars 1993, mars 1996), inadaptés aux DOM, furent remplacés par le décret N° 98-312 du 23 avril 1998 qui reconnaissait la spécificité des DOM en introduisant, entre autres modifications, l’abaissement du seuil d’éligibilité à 2 ha pondérés (1 ha de canne ou 1000 M2 de maraîchage irrigué). Le dispositif fut agréé par Bruxelles le 31 juillet 1998.
Par ailleurs à compter du 31 décembre 1998 le Département choisissait d’abonder la mesure jugeant que cela la rendrait plus attractive et permettrait de mieux atteindre ses objectifs. Il a pris en charge plus du cinquième du coût du dispositif et contribué au financement d’un poste de coordonnateur foncier ayant plusieurs missions : proposer des candidats à partir du RDI, suivre les agriculteurs, s’assurer de l’éligibilité au financement européen des dossiers et du maintien de l’affectation agricole des surfaces.
Enfin le décret N°2000-689 du 20 juillet 2000 spécifique aux DOM apportait une réponse adéquate aux problématiques locales. Correspondant aux besoins de l’agriculture réunionnaise, faisant l’objet d’une coopération entre services publics, le CNASEA et la Chambre d’agriculture la mesure a parfaitement fonctionné.
Principales caractéristiques du dispositif
– Les chefs d’exploitations agricoles cessant leur activité pouvaient, sur leur demande, bénéficier d’une allocation de préretraite pendant une durée maximum de cinq ans et jusqu’à soixante-cinq ans au plus
– Pour en bénéficier ils devaient notamment :
Être âgés à la date de la cessation de l’activité agricole de 57 ans au moins (et dans le cas où il pourrait prétendre à une retraite à taux plein, ne pas avoir plus de 60 an)
S’engager à transférer les terres et les bâtiments d’exploitation
Avoir été chef d’exploitation à titre principal pendant au moins les dix années précédant la cessation d’activité
Ne pas avoir réduit la superficie exploitée de plus de 15% au cours de l’année précédant la cessation du bien
La superficie de l’exploitation devait au moment de la demande représenter au moins 2 ha de superficie agricole utile pondérée en faire-valoir direct ou en fermage ou en concession
L’allocation annuelle de préretraite comportait un forfait et une part variable dans une limite totale de 18 000 €
Les terres exploitées en faire valoir direct (hors fermage) et libérées par l’exploitant demandant la préretraite devaient être destinées, soit à des agriculteurs de moins de 50 ans et ayant au moins 5 ans d’expériences, soit à l’installation de jeunes agriculteurs bénéficiant d’aides, soit à un GFA, soit à une Safer.
Un bilan satisfaisant
Deux évaluations du dispositif ont été faites, l’une par le Cnasea : « Evaluation du dispositif de préretraite agricole spécifique à l’ile de La Réunion » Septembre 2004, l’autre par la Chambre d’agriculture « Proposition de reconduction du dispositif de préretraite spécifique aux départements d’outre-mer » Juin 2005
Les titres de ces deux évaluations soulignent que ce dispositif, conçu à La Réunion, a été essentiellement utilisé dans notre département.
Ces évaluations soulignent qu’à La Réunion, en 7 ans :
– La surface totale libérée a été d’environ 2000 ha de Sau pour environ 500 départs
– Les surfaces libérées ont permis d’installer 103 jeunes et d’agrandir 183 exploitations (passées de 5,5 à 8,4 ha en moyenne).
– Une installation DJA sur quatre, durant la période, est issue d’un départ en préretraite
– Il a été mis en place un partenariat efficace entre la Chambre d’agriculture, le Cnasea, la Daf, la Safer, la CGSS.
– Il a été constaté une forte attractivité du dispositif. Le Cnasea a reçu 700 demandes.
Ce dispositif de préretraite a été supprimé dans les DOM en 2012, au nom de l’harmonisation avec les autres secteurs économiques.
En 2023 Les élus de La Réunion et le Sénat réclament la remise en place du dispositif
En février 2018 devant des jeunes agriculteurs le Président de le République proposait de rétablir un système de préretraite agricole en vue de favoriser le renouvellement des générations.
En 2023, au cours de leurs auditions M. Bruno Robert et Ariste Lauret (respectivement premier vice-président de la Chambre d’agriculture et directeur général délégué de la Safer) ont plaidé pour le rétablissement d’un dispositif de préretraite.
En conséquence le rapport N°799 d’information du Sénat, parmi 20 propositions, présente une proposition N°15 : Rétablir un mécanisme de préretraite pour les exploitants agricoles ultramarins, qui pourrait être accompagné d’un dispositif de tutorat rémunéré, en cas de reprise de l’exploitation par un jeune agriculteur.
Il conviendrait donc de concrétiser au plus vite cette proposition pour toutes les raisons exposées.
Le Président de la CGPER
Jean-Michel Moutama