La présidente de la Sica Lait, Martha Mussard, a été élue il y a quelques semaines présidente de l’Aribèv, l’association interprofessionnelle. En juin, elle recevait la médaille de Chevalier de l’Ordre National du Mérite des mains du préfet. Une surprise quand on connait le mode de gestion et de fonctionnement de la coopérative laitière sur laquelle nous avons eu l’occasion d’écrire à de nombreuses reprises.
Ca faisait longtemps qu’on n’avait pas parlé de la Sica Lait. Mais là, on ne peut pas s’en empêcher quand on apprend que Martha Mussard, la présidente de la Sica, a été élue présidente de l’interprofession l’Aribèv il y a quelques semaines… L’Aribèv est l’association réunionnaise interprofessionnelle qui s’occupe des bovins (viande et lait), des porcs et des lapins. Parmi ses missions, elle est notamment en charge de la gestion des fonds européens, le Posei.
A noter que Martha Mussard est déjà présidente de la Sica Lait, élue à la chambre d’agriculture, elle siège également au conseil d’administration de filiales de la Sica Lait comme la Cilam ou l’Urcoopa.
Le réseau des coopératives agricoles
La présidence de l’Aribèv tourne tous les ans, et on assiste au jeu de chaises musicales des cadres du milieu agricole. En tant que journaliste, forcément, on repense à l’enquête de concurrence toujours en cours sur la Sica Lait. Les soupçons porteraient sur un abus de position dominante et un abus de dépendance économique qu’exercerait donc la Sica Lait sur le marché et sur ses éleveurs laitiers. On se dit que décidément les décisions de gouvernance au sein du réseaux des coopératives agricoles se font sur des critères qui nous échappent.
C’est vrai qu’on avait déjà un petit pincement au coeur en découvrant que Martha Mussard, le 19 juin dernier, recevait la médaille de Chevalier de l’Ordre National du Mérite des mains du préfet Jérôme Filipini. Les mondes parallèles se superposent et la réalité des uns n’est pas celle des autres. Les éleveurs au bord du burn out (ou de la faillite) apprécieront la marque de reconnaissance.
Il ne faut pas voir les choses tout en noir. A l’écoute de confrères de la radio, mercredi 2 octobre, on apprend que la Sica Lait défend l’autosuffisance alimentaire de la Réunion en mettant sur pied une filière de production d’ensilage de maïs pour nourrir les animaux. L’initiative est louable, soit.
Vaches mal nourries
L’autosuffisance alimentaire a bonne presse et les communicants sont doués pour broder de belles histoires, mettre en valeur ce qui les arrange. La réalité, c’est aussi qu’actuellement, la « paille canne » est bien pauvre en nutriments, le foin est insuffisant, et les granulés de l’Urcoopa (coopérative créée entre autres par la Sica Lait) sont indispensables pour compléter l’alimentation des animaux malgré une qualité qui laisse à désirer. Le reste provient de l’importation.
« Il y a trop de sec et la vache peut faire une acidose, voire une acidose chronique”, remarque un ancien éleveur désormais à la retraite. Les vaches mal nourries présentes un manque à gagner en termes de production de lait.
Le maïs était très présent à La Réunion par le passé, très utilisé jusque dans les années 70, il servait à nourrir les familles et les animaux. Par la suite, on a encouragé la mise en place d’élevages de grande taille et le foncier n’était plus suffisant pour pouvoir nourrir la quantité de bêtes. « Ca a fait les beaux jours de l’Urcoopa », lâche Martin*, un fin connaisseur du milieu.
Production prometteuse
L’expérimentation de la production d’ensilage de maïs a débuté il y a quatre ans et visiblement s’avère prometteuse si la Sica Lait parvient à trouver le foncier suffisant (en zone sèche donc principalement dans l’Ouest ou à Pierrefonds). Une banque de fourrage a été créée pour subvenir aux besoins de la filière, notamment en période sèche. La SicaLait a touché 800 000 euros et l’Urcoopa 300 000 euros de fonds principalement européens, pour mettre en place la filière.
« J’ai demandé la paille maïs, j’avais pas d’herbe pour mes vaches. J’ai été refusé. Aujourd’hui, il y a 4 ou 5 éleveurs seulement qui en profitent, des proches de la présidence », affirme un éleveur sous couvert d’anonymat.
« La banque de fourrage est vide »
Aujourd’hui, la production ne permet pas encore de bénéficier à tous. A l’avenir, la question se pose de l’accès de ces ensilages aux éleveurs indépendants qui ne sont pas adhérents de ces coopératives. Les autorités administratives soulignent l’importance de réserver une part aux indépendants. “Mais le chantier est dans les mains des coopératives et elles se servent avant les autres”, note Martin lui aussi.
Du côté de la banque de fourrage, même constat. “La banque est vide”, constate un éleveur. “Elle est vide mais elle existe, à flux tendu”, confirme Martin. Le bâtiment voit passer des balles d’ensilage d’herbe et beaucoup de canne. C’est la Sica Lait qui la gère : le transport, le chantier de récolte. Il faut avoir ses entrées.
La retenue sur la livraison de foin et d’ensilage, un nouveau moyen de pression sur les éleveurs laitiers affiliés ? Non, décidément, on n’arrive pas à se réjouir.
Jéromine Santo-Gammaire