LIBRE EXPRESSION – Atteinte de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, Aurélie F. témoigne de son quotidien pour sensibiliser le public à cette maladie rare et donner une voix à ceux qui la vivent.
Les trois compères : Charcot, Marie et Tooth
Je m’appelle Aurélie F., j’ai 32 ans et je vis avec la maladie de Charcot-Marie-Tooth de type 1A (CMT1A), une neuropathie héréditaire rare.
Si j’ai choisi de partager mon histoire, c’est pour donner un visage à ce handicap souvent invisible, mais qui bouleverse profondément la vie quotidienne.
Mon objectif n’est pas de me plaindre, mais de témoigner : pour que ceux qui ne connaissent pas la CMT comprennent mieux ce que nous vivons, et pour que ceux qui en sont atteints se sentent moins seuls. Rare peut-être, mais nombreux malgré tout.
Un CMT, c’est quoi ?
Sur le plan médical, c’est une maladie génétique rare qui touche les nerfs périphériques. Concrètement, les messages nerveux circulent moins bien entre le cerveau et les muscles. Résultat : faiblesse musculaire progressive, troubles de la sensibilité, grande fatigabilité et parfois des douleurs.
Ma définition à moi ? C’est comme si mes nerfs étaient des vieilles rallonges électriques : ça grésille, ça fait des faux contacts… et parfois ça coupe en plein milieu. Une maladie qui transforme des gestes banals en épreuves, et des évidences en impossibilités.
Le quotidien invisible
- Se laver les cheveux paraît anodin. Pourtant, les bras lâchent vite, la fatigue s’installe, et on ressort parfois avec de la mousse en guise de coiffure.
- Être passagère en voiture et vouloir s’accouder à la fenêtre, imiter les vagues dans le vent ? Impossible.
- Préparer un repas et se retrouver incapable d’ouvrir une boîte de conserve.
- Vouloir servir une brique de jus à ses enfants et sentir ses mains se bloquer.
- S’accroupir pour jouer au lapin ou au canard avec sa fille, se couper les ongles de pieds, tenir un stylo sans trembler… autant de défis quotidiens.
- Marcher avec une jambe boiteuse “comme un pirate”. Porter des chaussures lourdes et mastoc parce que des orteils crochus refusent les modèles à la mode.
- Dormir presque assise, parce que le diaphragme “fait des caprices” et empêche de respirer.
- Se lever le matin, avoir les mains qui tremblent comme celles d’un alcoolique en plein sevrage.
- Cette impression, chaque matin de s’être fait rouler dessus par un train. Poser les pieds à même le sol, sentir l’éclatement de chaque petit os du pied.
- Même boire un café peut devenir un cauchemar : la main se transforme en pince de crabe, la tasse échappe, tombe sur le pied et arrache un ongle.
L’humiliation silencieuse
- Demander de l’aide pour boutonner une chemise ou faire ses lacets.
- Sortir une carte d’invalidité à la caisse, sous les regards interrogateurs.
Devoir expliquer une maladie que moi-même je peine parfois à comprendre.
- Au travail, refuser une tâche hors de portée et se sentir jugé. Se voir refuser un aménagement de poste sous prétexte que “tu te tiens debout”. Être réduit à des tâches ingrates, comme si ma valeur avait disparu.
Et puis, il y a les remarques blessantes, l’intimidation, l’incompréhension.
La CMT, c’est aussi…
- Craindre de transmettre la maladie à ses enfants, et les limiter à leur tour.
- Faire face au corps médical, et au vide : aucun traitement, aucune solution pour stopper l’évolution. Au mieux, on espère ralentir. Mais l’issue reste la même : une défaillance plus ou moins avancée, selon les cas.
Nous sommes réduits à attendre, à participer à des essais cliniques, à chercher des réponses et du réconfort. Et trop souvent, nous tombons sur des récits de vies brisées : malades qui vacillent, s’alitent, disparaissent trop tôt.
Vivre avec un CMT, quel que soit son type, c’est osciller entre plusieurs états :
- Le déni, pour se protéger, comme si la maladie n’existait pas.
- La résignation, parce qu’elle est là et qu’on n’a pas le choix.
- Le doute, qui ronge et empêche de se projeter.
- La peur, sourde et permanente : “Quand viendra mon tour ? Combien de temps avant de me dégrader ?”
La CMT est plus qu’un diagnostic : c’est une épreuve physique, émotionnelle et sociale.
Un combat quotidien contre la douleur, contre le regard des autres, mais aussi contre le silence et l’absence de solutions.
Un besoin d’espoir
Derrière chaque sourire se cache un combat invisible. Les handicaps invisibles existent, et ils peuvent être aussi lourds à porter que ceux qui se voient. La reconnaissance et la compréhension des autres sont essentielles pour briser l’isolement et changer le regard porté sur la différence.
Ce témoignage est le mien, mais il pourrait être celui de beaucoup d’autres. La maladie m’impose des limites, mais elle m’a aussi appris la patience, l’adaptation et la résilience. J’ai dû apprendre à écouter mon corps, à accepter de ralentir, et à trouver mes propres solutions pour continuer à avancer.
Alors oui, la CMT est un fardeau. Mais c’est aussi une école de force intérieure. Et si je partage mon histoire aujourd’hui, c’est pour réclamer plus de visibilité, plus de compréhension, et surtout… plus d’espoir. Pour moi. Pour mon père. Pour mon frère. Pour tous ceux qui ont hérité du Charcot.
Aurélie F.
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