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[Transports] Quand la voiture électrique est une farce…

ENTRETIEN AVEC JULES DIEUDONNÉ, FONDATEUR DE REZOLA

Quand la transition écologique se résume à un slogan, les injonctions à passer au vert — comme remplacer son vieux diesel par une voiture électrique — relèvent de la provocation. Jules Dieudonné, fondateur de Rezola assène ses vérités contre le tout-voiture (même électrique), les banquiers et les rentiers….

Jules Dieudonné et quelques amis à lui ont pédalé trois jours le week-end dernier pour faire le Rezotour de l’île. La joyeuse bande voulait sensibiliser les Réunionnais à l’urgence climatique et à la nécessité de changer de mode de transport. Samedi 8 juin à 15h il tiendra une conférence à la médiathèque du Tampon organisée par Luniversité Maron (*) avec comme fil rouge ces deux questions : La voiture électrique : quelles perspectives pour La Réunion ? Comment faire face aux injonctions contradictoires que nous recevons tous, de notre environnement, des institutions et des politiques publiques ?

« Les gens, qui pensent que c’est impossible, voient que ça devient possible. »

Un tour de l’île à vélo, une conférence et beaucoup d’investissement pour créer Rezola afin de faire la promotion des énergies douces non fossiles… Qu’est-ce qui motive Jules Dieudonné ?

En 1969 Georges Pompidou a porté la civilisation du tout-voiture et on en paie les conséquences depuis 40 ans avec le réchauffement climatique. Ma motivation, c’est de voir comment nous pourrions moins impacter notre environnement, émettre moins de gaz à effet de serre.

Est-ce qu’on va faire la même erreur qu’avec les voitures à essence et disséminer des stations-services électriques sur tout le territoire pour continuer à vendre des voitures ?

Et ça passe par la voiture électrique ?

C’est mieux que la voiture au pétrole, mais ça ne suffit pas. On reste toujours à la moyenne d’1,3 personnes par voiture à La Réunion. On continue à mobiliser un véhicule de 2 tonnes pour déplacer une personne de 90 kilos. C’est aberrant.

J’ai de vous le souvenir d’un homme qui passe beaucoup de temps à recharger sa voiture électrique pour pouvoir rouler. Lors du tour de l’île dimanche matin, vous étiez inquiet quant à la capacité des batteries de vos vélos à vous assister jusqu’au bout de la route et hier, la batterie de votre téléphone vous a lâché en fin de journée. C’est quand même beaucoup de soucis, l’électrique ?

En 1900, on aurait pu dire la même chose des premières automobiles… Excusez-moi, mais il faudrait d’abord s’interroger sur le modèle global à adopter. Est-ce qu’on va faire la même erreur qu’avec les voitures à essence et disséminer des stations-services électriques sur tout le territoire en demandant à la puissance publique de mettre en place toutes ces bornes de recharge ? Tout ça pour continuer à vendre des voitures.

Concessionnaires rentiers

A combien s’élève le besoin en points de recharge ?

Il y aurait entre 2 000 et 3 000 voitures électriques à La Réunion pour 200 à 300 bornes dont la maintenance laisse à désirer. Pendant longtemps EDF a essayé de bloquer la vente de voitures électriques estimant que le réseau n’arriverait pas à supporter la croissance. Aujourd’hui une étude du Sydélec estime qu’il faudrait installer 1 700 bornes de recharge pour supporter la croissance des ventes de voitures électriques et ce serait à la puissance publique d’investir dans le réseau électrique pour aider le business…

En tout cas, vu les prix, le passage à l’électrique est réservé aux plus riches ?

En effet, il faudrait qu’on m’explique comment une Zoé, par exemple, peut être vendue à un prix de départ de 49 000 € (en dessous de la limite pour pouvoir bénéficier de la prime) ramené à 42 000 € grâce aux rabais. Alors qu’il n’y a pas d’octroi de mer et une TVA à 8,5% à La Réunion contre 20% en France. Comment le fret qui coûte 800 € peut justifier qu’une voiture qui coûte 21 000 € hors taxe en sortant de France arrive à La Réunion TTC à 42 000 €

Vous estimez donc à 18 000 € le bénéfice sur chaque voiture vendue ici ?

Je dis que ce n’est pas des bénéfices mais de la rente car il n’y a rien à faire. Ce sont des rentiers et ils sollicitent la puissance publique pour installer les bornes !

Décarbonner le réseau EDF

Que faire pour sortir du cercle vicieux de la voiture individuelle ?

On en est à 580 000 voitures individuelles. Déjà il faut penser à décarbonner le réseau. Il faut que les voitures électriques se rechargent à partir de stations photovoltaïques. J’ai calculé que ma station est dix fois plus rentable si je l’utilise pour rouler que pour mes besoins domestiques. Et il faut d’autres modes de déplacement que la voiture comme le vélo électrique avec lequel j’ai fait le tour de l’île ce week-end.

Les recharges des voitures électriques devraient se faire à partir d’énergie solaire.

Il faut aussi recharger les batteries des vélos…

Mais ce n’est plus du tout le même ratio que pour une voiture de 2 tonnes. C’est moi qui pédale, le moteur électrique n’est qu’une assistance avec une puissance maxi de 500 watts pour un vélo de 23 kilos. C’est 500 fois moins d’énergie que pour une voiture. Il faut aussi covoiturer. 

Je suis résolument pour une nouvelle société qui dit je ne paye que l’usage du bien mais pas la possession du bien.

Karos, l’application de covoiturage, était partenaire du Rezotour. Son expérience est concluante ?

Ils ont 85 000 abonnés grâce à la prime d’Etat. C’est une vraie solution d’utiliser la même énergie pour déplacer 4 personnes au lieu d’une. Il faut aussi marcher à pied. 26% des Réunionnais continuent à faire tout à pied.

Les petits déplacements ne sont-ils pas marginaux ?

Pas du tout. Chaque personne fait entre 3 et 5 déplacements par jour d’après le SMTR (syndicat mixte des transports) de 2,7 à 8,9 km. Ça représente 2,3 millions de petits déplacements par jour contre 600 000 déplacements longs. Et on les fait en voiture, c’est aberrant.

Les valeureux participants du Rézotour.

Pourquoi est-on à ce point accro à la bagnole, comme dirait Macron ?

C’est une injonction contradictoire du monde dans lequel nous vivons où, pour faire la différence lors d’un entretien d’embauche, le jeune doit avoir une voiture. Il paiera 60 mois de crédit pour une voiture dans laquelle il ne roulera que 5 ou 6 mois (8% à 12% de son temps). Je suis résolument pour une nouvelle société qui dit je ne paye que l’usage du bien mais pas la possession du bien. On va dire : Dieudonné, il est pour partager ce qui lui appartient avec les autres, c’est un communiste. Je suis pas communiste mais quand je regarde la planète comme elle est et bien il faut qu’on change radicalement de société.

Bus totochés

Avec les Vélib à Paris ou maintenant les vélos électriques de la Civis, on va dans ce sens. Pourtant c’est encore vu comme un mode de déplacement destiné aux « bobos ».

Déjà les vélos de la Civis, on ne les partage pas. Ils vous sont assignés pour une période donnée. Et les vélos qui étaient en partage en France, eh bien c’était de la merde. Comme il y avait 40% de casse, les sociétés ont trouvé que ce n’était plus rentable alors qu’elles avaient réalisé de belles rentrées financières. Le vrai problème c’est qu’on n’accorde pas de la considération aux gens. Si on leur offre un service de valeur, ils en prennent soin. C’est pareil pour les lignes de bus qui passent à la périphérie des quartiers défavorisés sans y entrer. Les jeunes comprennent que c’est pas pour eux, alors ils les totochent.

Jules Dieudonné plaide pour une offre de vélos électriques de qualité à partager.

Comment espérez-vous déclencher une révolution des consciences et des politiques de transports ?

Ce week-end, nous étions 10 personnes pour faire le tour de La Réunion à vélo alors que ça faisait 10 ans que je n’avais pas fait de sport. Quand tu rends les choses possibles, les gens, qui pensent que c’est impossible, voient que ça devient possible. Le colibri d’Amazonie qui amène une goutte d’eau depuis la rivière, il ne croit pas qu’il va éteindre le feu, mais il fait sa part.

Entretien : Franck Cellier

(*) L’entrée est gratuite sur inscription par mail à : inplas@luniversitemaron.re.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.