Chantier de l'éco-gîte du volcan

[Volcan] Un « éco-gîte » pas très écolo

PROPRETÉ ET BIODIVERSITÉ

Avec au moins un an et demi de retard et quelques fâcheux aléas, le futur gîte du volcan ne répond pas encore à toutes ses promesses : moderne dans son design, confortable pour les touristes, « éco-responsable » dans sa conception et sa construction… alors que des déchets de démolition ont été bizarrement transportés à plusieurs kilomètres du chantier.

Le futur gîte du volcan fait consensus. Apparemment… Il a été présenté en décembre 2020 comme le fleuron des gîtes de montagne du Département. La collectivité et les acteurs impliqués dans ce projet vantaient une intégration remarquable dans le paysage. L’architecte retenu, Altitude 80, propose la construction de trois bâtiments « en forme de coulées de lave en cordées » épousant la pente du piton de la Fournaise. L’ensemble, à 2200 m d’altitude, se doit d’être autonome en énergie et en eau.

Avec l’objectif d’une capacité d’accueil de 100 personnes, contre 80 pour l’actuel gîte, la promesse d’un design moderne, du confort touristique et surtout du moindre impact paysager et environnemental relève du défi. Sur le terrain, c’est beaucoup plus compliqué qu’annoncé.

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  • Chantier de l'éco-gîte du volcan alimentation en eau

5 mars 2024. Le chantier aurait dû être terminé fin 2022. En fait, c’est loin d’être le cas. Le ciel s’est rapidement couvert, le froid et la pluie recouvrent les lieux. À partir de la Plaine des Sables, la route forestière s’est transformée en champ de nids de poule. Les voitures roulent au pas, les suspensions souffrent à chaque trou. Et dire que le volcan attire 350 000 visiteurs chaque année !

L’ambiance est glaciale, voire lugubre aux alentours du chantier. Chaudement vêtus, quelques cadres se dirigent vers les baraquements provisoires dans la salle de coordination. Ce n’est pas l’omerta, l’échange est courtois… mais ce n’est pas facile d’obtenir des infos sur le futur éco-gîte du volcan.

9,5 millions d’euros à monter…

S’il a été possible de prendre quelques photos, il est en revanche exclu d’obtenir des informations sur le chantier et encore moins de le visiter sans l’aval du maître d’ouvrage : le conseil départemental. La demande est expédiée le jour même. Dix jours plus tard, il est clair que la collectivité n’entend pas répondre aux questions détaillées sur les aléas, les retards, les surcoûts par rapport au budget initial de 9,5 M€, et les impacts environnementaux. Elle entend rester seule maîtresse de la communication sur l’éco-gîte. (Les élus se sont habitués à décider de l’agenda des journalistes.)

Pourtant, depuis deux ans, les randonneurs et les clients de l’actuel gîte — qui restent fonctionnels tout le temps des travaux — ont eu l’occasion de s’interroger sur la présence d’une grue en plein cœur du parc national. Aujourd’hui, la grue est démontée mais le remplacement programmé des anciennes structures au caractère créole par trois bâtiments futuristes ne fait pas l’unanimité. « Les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas mais je ne vois pas en quoi le nouveau gîte peut me rappeler des coulées de lave », glisse un passionné d’éruption.

Chacun aura son avis sur la couleur rouille des parures courbes du futur gîte et la végétalisation des toitures. Le parti de l’aménageur était d’en finir avec la vétusté et l’étroitesse de l’ancien gîte, construit en 1962. Il fallait rendre la structure plus fonctionnelle et plus facile à gérer avec un lieu de passage commun pour tous les clients. Les chambres seront plus luxueuses, chacune proposant une vue magnifique. Une cuisine équipée du dernier cri enrichira l’offre gastronomique. L’électricité sera solaire et l’eau, captée dans les ravines voisines, sera distribuée avec parcimonie grâce à des minuteurs de douche.

Va-et-vient de déchets amiantés

Faute d’informations, les causes du retard pris dans les travaux ne sont pas claires, mais il semble que la dureté du climat et quelques inondations ont donné du fil à retordre aux ouvriers. Le Département, évoquant une communication imminente, on pourrait croire que la livraison de « l’éco-gîte » est proche…

En attendant, la prolongation du chantier rend ses nuisances plus visibles. Ainsi, le mois dernier, la botaniste Nicole Crestey, ancienne membre non reconduite du conseil d’administration du Parc national, est allée visiter les abords du chantier. Quelle n’a pas été sa surprise de découvrir un bloc de fibrociment contenant de l’amiante à plusieurs kilomètres des travaux, au pied du Piton Lacroix, à quelques encablures de la route forestière du volcan. Elle l’a pris en photo et en a prélevé un échantillon.

Selon ses informations, ce fibrociment provient de la destruction de l’ancien gîte qui a déjà commencé. Accompagné d’autres déchets de chantier (ferrailles et béton), il a été mélangé à de la terre et cet amas a ensuite été transporté du gîte jusqu’à cet improbable lieu de stockage en plein cœur du Parc national.

Quelques jours après son constat, Nicole Crestey a appris que les déblais qu’elle a photographiés ont été ramenés vers le chantier pour des terrassements. En attente de vérification de cette information, l’administration du Parc national, chargée de contrôler les travaux et contactée ce mercredi, nous a répondu qu’il lui fallait au moins une semaine de délai pour pouvoir répondre à nos questions.

Quel tourisme veut-on ?

L’amiante, hautement cancérigène, est certes moins dangereux quand il est figé dans du ciment. Mais la détérioration du fibrociment avec le temps ou sa casse peuvent rendre le poison volatile, et les ouvriers risquent de l’inhaler.

Au-delà de la gestion des déchets du chantier et de la démolition de l’ancien gîte, Nicole Crestey s’est intéressée au traitement paysager de l’éco-gîte. Là encore, elle s’interroge sur l’apport de terres extérieures pour ramener des semis. Elle s’inquiète de la mort d’un tamarin voisin de l’éco-gîte ou encore du choix des espèces endémiques qui seront plantées. « Pourquoi avoir choisi du change-écorce qui n’est naturellement pas présent à cette altitude ? »

  • Chantier de l'éco-gîte du volcan pépinière

Une dernière question un peu emm…ante : Comment sera traité l’assainissement de l’éco-gîte ? Plusieurs sources se croisent quant au dimensionnement de la fosse septique. A priori, il est prévu de se brancher sur la fosse existante qui était déjà sous-dimensionnée. Faudra-t-il régulièrement évacuer le surplus en camion citerne ?

Plus globalement, le futur éco-gîte suscite le débat sur la façon dont La Réunion doit développer son tourisme. Tourisme de masse ? Tourisme de luxe ? Le prix des chambres au volcan restera-t-il abordable ?

Les amoureux de la nature s’inquiètent déjà des choix à venir entre le projet haut de gamme d’un éco-lodge vers le Piton de Bert avec vue sur les éruptions ou la restauration de petites structures comme le Camp Marcelin des pâturages du Cassé de la Rivière de l’Est. Le premier projet semble avancer discrètement mais sûrement avec la construction d’une piste Foc-foc pour l’accès et des réserves anti-incendie surdimensionnées. Alors que le second bute sur les obstacles réglementaires. Sous les brumes du piton de la Fournaise se joue un jeu de « pot de terre contre pot de fer ».

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.