préparation du festival Komidi

[Komidi] Le bout du bout de la trompe de l’éléphant

LE FESTIVAL PRÉSENTÉ PAR VINCENT ROCA

Comme Jean Yanne ne prend jamais les routes départementales, Parallèle Sud ne va jamais (ou pas souvent) aux conférences de presse. Tant qu’à faire passer l’info, c’est plus direct de la trouver à la source. Et cette source d’infos et de points d’exclamation s’appelle cette année Vincent Roca, ami du Komidi…

Note liminaire : les lecteurs pointilleux remarqueront dans le texte qui suit, une avalanche de points d’exclamation. Je n’ai pas pu faire autrement. C’est signe de joie, d’étonnement, de surprise, d’enthousiasme. Signe de frisson. De poils qui se dressent… C’est Komidi, quoi !

Ce sont des fous du Sud sauvage ! Qui voulaient faire venir le théâtre à Saint-Joseph, commune rurale comme dit son maire, Patrick Lebreton, pas loin d’être fou, lui aussi. En 2008. Et pour les marmailles en plus ! Des fous qui n’y connaissaient rien, qui n’avaient ni salles, ni matériel, ni contacts, ni argent bien sûr. Ils voulaient juste que les gens d’ici, des hauts et des bas, voient le bout du bout de la trompe de l’éléphant qu’on appelle Culture. Et de sa nombreuse progéniture, qu’on appelle théâtre, musique, danse, littérature… Autant dire qu’ils avaient juste une araignée dans le plafond, une babouk dans le coco.

Les fous en question sont des enseignants. Ils prennent leurs congés d’hiver (l’hiver d’ici !) en métropole, et là-bas, le théâtre, c’est ce qui se dit, c’est Avignon. Alors la folie ne prend pas de gants : c’est ce qu’on va faire ! Comme dans le film Fitzcarraldo, on va transporter le paquebot Avignon jusqu’à la rivière des Remparts. Bon, en 2008, en fait de paquebot, ils ont juste fait appareiller les canots de sauvetage… 13 spectacles tout de même ! Un petit festival de bric et de broc. Pendant la préparation, une compagnie envoie un mail : avez-vous une boîte noire ?  Pardon ? Une boîte noire ?

— Jean-Jacques, c’est quoi une boîte noire ? On n’a pas encore décollé, ils demandent une boîte noire !

Ils ne savent pas. Ben oui, rien d’étonnant, la boîte noire, c’est une scène de théâtre, entièrement noire, tapis de danse noirs, pendrillons noirs, la base, quoi… Ça fait partie du langage du théâtre, il va falloir qu’ils apprennent la langue aussi…

— Jean-Jacques, tu as des pendrillons ?

—  Des quoi ?

— Je sais pas, des pendrillons… 

—  Vous pouviez pas organiser un festival de la bière ? 

Et puis la boîte, une fois noire, il faut l’éclairer, on se fait prêter des « projos », oui, Jean-Jacques, des projecteurs, et puis c’est bien joli, mais ces artistes, il faut les faire venir, il faut les loger, il faut les nourrir, il faut les véhiculer… 

 — Jean-Jacques, tu as des aspirines ?

Voilà, la folie a trouvé plus folle qu’elle : le théâtre ! Le théâtre ? Des gens, des artistes, qui vous embarquent dans leurs histoires, et qui vous font travailler, vous, les spectateurs : il faut imaginer, penser, rire, pleurer, s’interroger, se souvenir… Il y a un type qui agite un tabouret devant son nez, et c’est un cheval… un autre qui fait tourner une roue de bicyclette devant lui, et c’est un avion…

Mais revenons à notre babouk. Quinze ans plus tard, elle a fait des petits… La folie a essaimé… Le paquebot est bien arrivé à destination, il s’appelle « Ténacité ». Vous voulez des chiffres ? Les voilà : 50, 15, 17 000, 100 000. Et 4, aussi. Impressionnant, non ?

Ici 4€ la place, à Paris 75€ le strapontin

—  Jean-Jacques, c’est quoi, 100 000 ?

—  Le nombre d’élèves en quinze ans… 50 spectacles, 15 salles ou 15 jours, ou 15 spectacles réunionnais, 17 000 places tout public…

—  Et le 4 ?

—  Quatre Molières ! En 2019. La machine de Turing

—  Et ils viennent à Komidi ?

—  Oui, cette année. Pour 4€ la place. J’ai voulu aller le voir à Paris : 75€. Un strapontin…

Et tous ces gens qui transportent des ferrailles ? Qui font des tableaux excel ? Qui coupent des ananas ? Qui balaient ? Qui remplissent des frigos ? Qui lavent des costumes ? Qui nettoient les toilettes ? Qui font la vaisselle ? Qui reçoivent des mails ? Qui envoient des mails ? Qui font des kilomètres pour aller chercher un dé à coudre ? Qui négocient avec la douane ? Qui collent du papier noir sur les fenêtres ? Oui, qui occultent, si vous voulez ! Ce sont des bénévoles ! Qui sont le premier nerf de la guerre. Une guerre où les fusils sont des mains, où les balles sont des mots et les chars des sentiments…

Mais ils sont fous, point d’exclamation !

— Jean-Jacques, rendez-vous demain au gymnase du lycée de Vincendo, prends ta ceinture lombaire, on va déplacer les agrès… pour installer la boîte noire !

Les fous ont trouvé de l’argent (le deuxième nerf de la guerre), ce n’est pas une mince affaire, ça se fait à coup de dossiers épais comme des chapes de béton, bourrés de chiffres et d’idées générales qui plaisent, qui sont dans l’air du temps, des dossiers qu’on dépose à la commune, au Département, à la Région, au chevet de l’État et de l’Europe, à vot’ bon cœur, messieurs dames ! Les aides publiques comme on dit. Et le privé aussi. 

—  Jean-Jacques, téléphone à Zeop, ils sont à nouveau partants pour nous aider !

—  Je n’arrive pas à avoir la ligne…

Les fous ont trouvé des « projos », et tout un stock de matériel acquis en quinze ans, rangé tant bien que mal dans l’ancien cinéma de l’Odéon de Saint-Jo, percé comme un gruyère, en attendant de jolis containers posés sur un terrain que la mairie, prêteuse, va mettre à disposition.

Les fous, bien ancrés dans le Sud, Saint-Joseph, Petite-Île, Saint-Pierre, et dans les hauts de Saint-Joseph, la Plaine-des-Grègues, Jean-Petit, ont petit à petit ouvert des « partenariats », Saint-Paul (Léspas), les Avirons (la salle Georges-Brassens) et, depuis cette année, des incursions à Saint-Denis (Cité des Arts, théâtre Kanter), à la Cité du Volcan, à Saint-Leu (Stella Matutina)…

Les fous ont produit un spectacle sur la vie d’un pionnier de l’aviation cher aux Réunionnais, L’insolent Roland Garros, joué en Avignon en 2022 et 2023 (avec le partenariat de Réunion des talents).

Les fous ont même mis en place depuis la rentrée 2022 une formation « professionnalisante » pour des comédiens réunionnais : LAKADEMI, avec en vue des ateliers avec les scolaires, et un spectacle crée à l’horizon 2025.

Et surtout, les fous ont gardé leur folie ! Point d’exclamation !       

Vincent Roca        

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Kozé libre

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