tuit tuit Roche écriteObservation tuit-tuit Roché écrite biodiversité Séor

[Biodiversité] Tuit-tuit koman i lé ? Mèm pa peur…

DEUX JOURS D’OBSERVATION DANS LA RÉSERVE DE LA ROCHE ÉCRITE

Alors que les sentiers de randonnée rouvrent progressivement après le passage du cyclone Belal, la Société d’études ornithologiques de La Réunion (SEOR) reprend son travail auprès du tuit-tuit. Interrompus dans leur mission pendant plusieurs semaines, les écologues sont impatients d’observer comment se porte la population de cet oiseau emblématique de la Roche-Ecrite

« La semaine dernière, quand j’ai entendu mon premier tuit-tuit après le cyclone, j’en avais presque les larmes aux yeux », raconte Gaspard au petit groupe rassemblé autour de lui ce mardi 13 février. Il est 7h30 à Mamode Camp et l’équipe s’apprête à entamer l’ascension du sentier qui les conduira à la Roche-Ecrite. Ici, commence le territoire de l’échenilleur de La Réunion, appelé tuit-tuit en créole, un des oiseaux endémiques de l’île, parmi les plus rares du monde. La troupe menée par Owen et Gaspard, deux agents de la SEOR, est complétée de trois bénévoles : Benoît, amateur éclairé ; Guillaume, écologue de profession ; et Alexandre, travaillant pour le Groupe d’Etude et de Protection des Oiseaux en Guyane (GPOG), de passage à La Réunion.

  • Observation tuit-tuit Roché écrite biodiversité Séor
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L’objectif de ces deux jours de sortie sur le terrain est d’observer les couples d’oiseaux et leur possibles poussins, sur différents territoires choisis au préalable par les ornithologues. C’est durant l’été austral que le tuit-tuit se reproduit et les derniers événements cycloniques survenus fin janvier suscitent quelques inquiétudes quant à l’état de la population et de leurs nouveau-nés. 

Acteur majeur pour l’étude et la protection des oiseaux à La Réunion depuis près de 30 ans, la SEOR s’engage dans un plan de conservation du tuit-tuit depuis 2007. Alors considéré comme en voie critique d’extinction, l’espèce ne comptait plus que 7 couples répartis sur un territoire très limité du massif de la Roche-Ecrite.

De 7 à 55 couples recensés

Les différents programmes de conservation s’appuient sur l’étude de l’espèce, afin de mieux appréhender son comportement et son évolution, mais aussi sur des campagnes de luttes contres ses prédateurs, les rats et les chats. Quelques années plus tard, grâce à l’acharnement des écologues, aux soutiens publics tels que le programme de financement européen LIFE, mais aussi de l’investissement remarquable des bénévoles, le tuit-tuit peut se targuer de compter dans ses rangs pas moins de 55 couples recensés.

A cela, il faut ajouter les célibataires, les poussins et les individus non identifiés, soit une population s’approchant des 150 individus. La réussite notoire de ce plan d’étude et de sauvegarde de l’espèce est aussi visible par l’évolution de son habitat qui a plus que doublé. Restreint sur une aire de 10 km2 au début de sa protection, l’oiseau réunionnais évolue aujourd’hui sur un domaine de près de 25 km2.

Alors que le groupe est engagé dans la montée depuis une vingtaine de minutes, le chant caractéristique d’un tui-tuit est identifié dans la végétation de l’autre côté de la ravine qui borde le sentier. Il s’agit là du premier « contact » de la journée. Le contact avec un individu peut être visuel mais aussi auditif lorsque que le cri distinctif de l’oiseau est entendu. Il est alors possible pour les agents de la SEOR de géolocaliser par GPS la position de l’oiseau et alimenter ainsi les données sur son habitat. Il s’agit ensuite d’essayer d’identifier visuellement l’oiseau pour confirmer son sexe, mais aussi de relever les éventuelles bagues de couleur qu’il porte aux pattes.

A plusieurs reprises, des opérations de baguages sur les couples étudiés ont été effectuées afin de faciliter leur identification. Plus facile à dire qu’à faire, le tuit-tuit est un petit oiseau vif et farouche se laissant difficilement épier de longues secondes par une paire de jumelles. Il faut l’œil aguerri de Gaspard et Owen pour débusquer rapidement la cible et la faire suivre à l’équipe.

Un tuit-tuit bat un record d’altitude

Durant le reste du chemin qui mène au sommet du massif, le groupe tombe de nouveau sur un mâle perché dans un arbuste jouxtant le sentier de randonnée. Cette proximité immédiate avec l’endémique des hauts permet alors un visuel direct de l’animal : le mâle tuit-tuit est un petit oiseau d’une vingtaine de centimètres, arborant un plumage gris cendré, teinté d’un noir bleuté sur la queue et les ailes, alors que la femelle est brune avec un ventre crème et des stries marron clair.

Après 2h de marche le groupe arrive enfin au camp de ravitaillement installé par l’association pour permettre à ses équipes de stocker le matériel et les vivres nécessaires à leurs tâches. C’est l’opportunité d’alléger aussi les sacs pour faciliter le reste de la journée, avant que débute véritablement la marche d’approche vers les territoires des tuit-tuits ciblés. Les protagonistes commencent par traverser la plaine caractéristique du massif de la Roche Écrite puis s’engagent sur les sentiers « marron » ouverts par les membres de la SEOR afin d’accéder à leurs protégés.

La progression devient dès lors plus technique. Il faut se frayer un chemin parmi les branles vert et blanc, le terrain prend un aspect escarpé, et le tracé emprunté sur les crêtes exige un pas sûr, voire quelques aptitudes au funambulisme. C’est d’ailleurs à ce moment, dans une poche de tamarins située sur un massif de l’autre côté de la ravine, qu’Owen identifie un individu volant d’une cime à l’autre. Après sa géolocalisation et enregistrement de l’information, les agents n’en reviennent pas. « On est à 1920 m d’altitude et c’est la première fois qu’on identifie un spécimen aussi haut dans le massif », soulignent-ils avec enthousiasme. Il semblerait que le tuit-tuit continue de surprendre les écologues et d’en émerveiller plus d’un.

Cari au feu de bois

Dans la descente qui mène aux zones à prospecter, le groupe se divise en deux afin de couvrir plus efficacement les territoires de l’oiseau. C’est d’ailleurs le moment choisi pour faire une pause et casser la croûte. Le décor est alors bien différent de ce qui a été rencontré précédemment. La forêt y est plus luxuriante, l’atmosphère est humide et dense, et il y a une forte concentration de fougères et de plantes envahissantes. C’est dans cet environnement que plusieurs points d’affûts vont être déployés pour le reste de la journée. L’après-midi est alors rythmé par des moments d’attente, des apparitions furtives de l’endémique, les déplacements vers d’autres territoires, et parfois de longues et belles observations des couples recherchés.

 Sur le chemin du retour, accompagné par le déclin du soleil et un crachin typique des hauts à cette saison, le groupe, à nouveau réuni, entame le décompte des contacts établis depuis ce matin. Une quinzaine d’oiseaux ont ainsi été identifiés, ce qui d’après les encadrants est plus que positif. Ce sont donc des images plein la tête et les jambes lourdes, que l’équipe rejoint la cabane mise à disposition par le Département, pour passer la nuit. La soirée sera l’occasion de se réchauffer autour d’un bon cari au feu de bois, d’échanger et discuter des rencontres de la journée et de visionner les photos prises de l’oiseau rare.

Levé à 6 h du matin, le temps de prendre un bref petit-déjeuner à base de riz chauffé, le groupe se divise à nouveau en deux, et s’engage vers d’autres zones du massif à la recherche du tuit-tuit. Durant toute la matinée l’oiseau se fait discret, et même invisible. Les points d’affût établis sur différents secteurs n’y font rien, l’oiseau reste introuvable. Et ce, malgré les conditions optimales que procurent le lever du soleil et le lent réveil de la nature environnante. Vers midi, il est finalement décidé d’entamer la descente du GR menant à Mamod Camp et de clôturer ces deux jours de terrain. Les dernières heures passées à attendre le tuit-tuit, sans succès, laissent un léger goût amer aux membres de l’association, même si la journée de la veille s’est avérée généreuse. 

Les oiseaux ont survécu aux cyclones

A peine vingt minutes après le début de la pause déjeuner, entamée sur le retour, un chant distinctif se fait finalement entendre. Quelques instants après, Guillaume et Gaspard bondissent avec jumelle et appareil photo à la vue de deux oiseaux suspects crapahutant dans les fourrés qui bordent le sentier de randonnée. « C’est une femelle et son poussin », confirme Gaspard à ses compagnons, tout en poursuivant les individus du regard. Les écologues tentent alors d’identifier d’éventuelles bagues permettant d’en apprendre davantage sur cette mère et son petit.

Et c’est à ce moment-là qu’un troisième individu fait son apparition. La stupeur et les sourires qui se dessinent dans le groupe à cet instant, ne font aucun doute. Il s’agit du mâle. La petite famille va ainsi évoluer devant les observateurs de la SEOR pendant plusieurs minutes, leur laissant le temps de bien considérer les différences physiques entre juvénile et adulte, entre mâle et femelle de la même espèce.

C’est après cette dernière belle rencontre que la descente du massif s’achève et que les membres de l’équipé se retrouvent sur le parking de la veille. C’est le moment pour souffler un bon coup, la journée a été riche en rencontres avec le tuit-tuit, ou tout simplement en contemplations de l’incroyable cadre que forme le massif de la Roche-Écrite. Déjà, quelques rumeurs teintées de l’envie de remonter sur le territoire du tuit-tuit semblent flotter dans l’air. 

Bien que Belal ait engendré de nombreux dégâts dans les hauts de l’île et que la saison cyclonique batte son plein, la population du tuit-tuit semble bien se porter à la Roche-Ecrite. En pleine période de nidification pour l’espèce, les couples et leurs petits, étudiés par la SEOR, répondent présents. L’observation et le suivi de cette espèce endémique, importante pour la biodiversité de La Réunion ne sont pas terminés.

L’oiseau reste mystérieux à bien des égards et sa population n’est toujours qu’à un niveau démographique faible. En cette année de fin du programme de financement européen LIFE, la SEOR a plus que jamais besoin de soutiens, qu’ils soient publics ou bénévoles, afin de poursuivre sa mission de sauvegarde du tuit-tuit réunionnais, l’oiseau emblématique de la Roche-Ecrite.

Texte et photos : Jean-Baptiste Lauwereys / Reporter citoyen

NB : Jean-Baptiste Lauwereys est archéologue, basé à La Réunion. Entre chaque mission, il met à profit son temps pour ses projets personnels et depuis un moment déjà, il souhaitait s’initier à l’écriture journalistique.

A propos de l'auteur