[Chronique] L’échappée balle

N’AYONS PAS PEUR DES MOTS

Un ancien collègue journaliste me confiait il y a quelque temps son agacement devant la prolifération dans le jargon sportif de l’expression  « échapper le ballon ». La Coupe du monde de rugby n’aura pas mis longtemps à lui donner raison. « Selon l’arbitrage vidéo, Eroni Mawi a échappé le ballon avant de pouvoir aplatir. » (TF1 info, 11/09/2023) ; « Le Français Damian Penaud échappe le ballon juste avant la ligne d’essai lors du match de la Poule A de la Coupe du monde de rugby entre la France et la Nouvelle-Zélande au Stade de France à Saint-Denis… » (20 Minutes, 10/09/2023) ; « Odogwu échappe le ballon au centre du terrain » (Ouest-France, 10/09/2023).

Exemples récents parmi beaucoup d’autres de cette manie actuelle consistant, souvent sous l’influence de l’anglais, à rendre transitives des tournures qui n’ont pas lieu de l’être : « jouer une équipe » pour « jouer contre une équipe », « signer un joueur » pour faire « signer un joueur » ou encore « exploser une défense » au lieu de « faire exploser une défense ». 

Ironie de l’étymologie, ce qui est de nos jours considéré comme une grossière faute grammaticale ne l’était pas au XIIIe siècle. À cette époque lointaine, le verbe « échapper » pouvait en effet s’employer transitivement au sens de « laisser partir, laisser tomber involontairement ». Aussi, quand un joueur de « soule » (ou de « choule ») échappait la vessie de porc qui lui servait de ballon, il ne se trouvait aucun linguiste pour brandir le carton rouge. 

Si la forme a officiellement disparu au profit de « laisser échapper », elle reste vivace au Québec. En témoignent ces récents extraits d’articles de presse : « Ils ont échappé la balle », ajoute la conjointe de ce dernier, Michele Roy (…) » (La Presse); « T.J. White a profité du fait que le receveur adverse a échappé la balle pour fouler la plaque » (Le Journal de Québec).

Elle subsiste également en Lorraine, en Charente et dans certaines terres d’ovalie du sud de la France, mais n’y voyez surtout pas une raison suffisante pour vous laisser aller à de tels débordements langagiers. Désolé pour ce jeu de mots facile. Il m’a échappé. 

K.Pello

Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots

A propos de l'auteur

K Pello

Passionné de syntaxe, de vocabulaire précieux et d'histoire, K.Pello est un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.