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Jean-Emile de Bollivier référent du groupe local 974 d'Anticor

[Corruption] On n’est pas là pour monter un « mur des cons »

RENCONTRE AVEC JEAN-ÉMILE DE BOLLIVIER RÉFÉRENT LOCAL D’ANTICOR

Juste avant de quitter Matignon, l’ancien Premier ministre Gabriel Attal a redonné son agrément à l’association Anticor. Jean-Émile de Bollivier, référent pour La Réunion et Mayotte annonce donc le retour aux affaires des empêcheurs de corrompre en rond.

Anticor a vu le jour dans les années 2000. Une antenne réunionnaise est née dans la foulée de l’élection de Vanessa Miranville à La Possession et de sa volonté de faire appliquer la charte anti-corruption dans les collectivités locales. Puis cette charte est passée de mode… Jean-Émile de Bollivier, en devenant le référent du groupe local 974 d’Anticor en 2019 s’est engagé à insuffler une nouvelle dynamique. Dynamique brisée par la perte de l’agrément national en 2022… Comme un cadeau (empoisonné) à ses successeurs, l’ex-Premier ministre Gabriel Attal a réactivé cet agrément juste avant de remettre les clés de Matignon à son successeur. Ce qui motive à nouveau Jean-Émile de Bollivier…

Pourquoi aviez-vous perdu votre agrément ?

Déjà, nous sommes le seul pays au monde où il faut être agréé pour déposer plainte quand on est en train de voler l’argent du peuple. On a eu notre premier agrément en 2014, c’est au renouvellement de 2021 qu’on a été cassé par Castex dont l’arrêté nous reprochait des problèmes internes qui avaient été réglés. Et cet arrêté a été cassé. Comme par hasard on était sur les affaires Kohler, Ferrand et Dupond-Moretti et sur les comptes de campagnes d’Emmanuel Macron. On nous reprochait de ne pas donner la liste de nos adhérents mais on n’avait pas à donner cette liste.

Jean-Emile de Bollivier référent du groupe local 974 d'Anticor
« Il n’y a que le référent qui s’affiche. Quand on s’engage contre la corruption, il faut avoir les reins solides. »

Pour notre demande d’agrément de janvier 2023, le gouvernement n’a pas donné de réponse ce qui correspond à un refus implicite. On est allé au tribunal administratif qui nous a donné raison en août 2023. Mais le gouvernement ne répondait toujours pas. Il a fallu une injonction avec une astreinte de 1 000 € par jour pour que notre agrément soit le dernier acte qu’a pris Gabriel Attal, comme un coup de pied de l’âne au président.

Qui sont les représentants d’Anticor 974 ?

Nous avons 80 adhérents mais nous ne communiquons pas les identités. Il n’y a que le référent qui s’affiche. Quand on s’engage contre la corruption, il faut avoir les reins solides. Mon prédécesseur avait subi pas mal de pressions dans son cadre professionnel. Moi, je suis fonctionnaire territorial et j’ai affaire aux élus, mais aussi à des collègues qui font des « indélicatesses »… Mais j’ai été gendarme pendant 20 ans et j’ai appris à gérer la pression.

L’ensemble Réunion-Mayotte est champion de France en matière de corruption.

Quelle est votre action prioritaire ?

Nous agissons en justice en montant des dossiers, en faisant des signalements ou en déposant plainte. J’ai écrit à tous les députés lorsque nous nous battions pour récupérer notre agrément et aucun ne m’a répondu. Seul le président de l’association des maires, Serge Hoareau,  a été attentif pour envisager de la formation et de la prévention sur la probité.

Sur quoi agissez-vous en justice ?

L’article 2-23 du code de procédure pénale nous permet de nous constituer partie civile pour les délits de corruption active et passive, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics et favoritisme. Il y a beaucoup à faire car l’ensemble Réunion-Mayotte est champion de France en matière de corruption. Quand on sait que la corruption représente 120 milliards d’euros par an qui sortent des recettes du pays, vous imaginez ce que ça représente chez nous…

Si La Réunion et Mayotte sont championnes de France de la corruption, que font les pouvoirs publics ?

Il faut reconnaître que la chancellerie a renforcé les moyens de la police en créant des brigades financières pour l’outre-mer. Avant qu’on perde notre agrément on travaillait en bonne intelligence avec les parquets de Saint-Pierre et de Mayotte. Je n’en dirais pas autant du parquet de Saint-Denis car j’avais donné à la procureure, Mme Denizot, un listing des affaires dans lesquelles nous nous portions partie civile, nos signalements avec des témoignages qui mettaient en cause des élus et des fonctionnaires sont restés sans suite.

Vous pouvez donnez des exemples…

Il y avait l’histoire de la cantine de Saint-Benoît et de la SPL Estival, une autre sur un employé de la Cinor, sur des collectivités de l’Est, l’histoire des emplois de la Région de Mme Bello dont parlait le JIR. On n’a pas été tenu au courant et, faute d’agrément, nous n’avions pas la possibilité de saisir le juge d’instruction. Nous nous intéressons aussi à un service de la Direction de l’agriculture.

Les citoyens doivent comprendre le lien entre la corruption et l’affaiblissement des services publics.

Avant la perte de l’agrément, quelles sont les affaires sur lesquelles Anticor 974 s’est portée partie civile ?

On a eu Cyrille Hamilcaro, Nassimah Dindar, Jean-Paul Virapoullé, André Thien-Ah-Koon, le maire de Saint-Philippe, celui du Port qui échangeait des goyaves contre des letchis, le Sdis, le CDG (Centre de gestion de la fonction publique territoriale), la Sodegis dont le directeur a été condamné, Didier Robert. Et il y en a bien d’autres. Sur mon listing il me reste au moins 38 dossiers sur lesquelles il y a matière à enquêter.

Que va faire Anticor 974 maintenant que la « maison mère » a retrouvé son agrément ?

On va reprendre nos dossiers. On a eu 488 jours de purgatoire injustifiés. Il faut savoir que cette absence d’agrément a eu des effets rétroactifs et des gens contre lesquels on avait obtenu des dommages et intérêts se sont retournés pour qu’on les rembourse. 

Localement, je vais aller à la rencontre de la Chambre régionale des Comptes et des institutions pour que les élus et les fonctionnaires prennent conseils auprès de nous afin qu’on ne se retrouve pas devant les tribunaux. 

On n’est pas là pour détruire les élus. Il en faut mais ils doivent respecter les lois. Parfois ils peuvent partir en dérive sans le savoir. Il devrait y avoir des déontologues dans les collectivités. 

Les citoyens doivent comprendre le lien entre la corruption et l’affaiblissement des services publics.

Quels sont vos moyens pour agir ?

Le bénévolat.

On est comme les restos du coeur si tout allait bien, on ne devrait pas exister.

Comment choisissez-vous vos cibles ?

On nous attaque en nous reprochant d’être de gauche ou ailleurs. Mais non, nous sommes transpartisants. On a lancé des signalements à gauche et à droite : à Saint-Pierre, au Port, à la Possession, dans l’Est, au syndicat mixte de Pierrefonds… Il faudra que j’en parle au nouveau président du syndicat mixte.

Comment réagissent les élus ?

Eh bien, un élu m’a lancé l’autre jour que je devais être content avec les condamnations à l’inéligibilité de Virapoullé, Hamilcaro, Robert et Thien Ah Koon. On a eu gain de cause dans toutes ces affaires. Il n’y a que Nassimah Dindar qui y a échappé ou Gérald Maillot qui a eu un non-lieu. Mais ce n’est pas une fierté de gagner devant un tribunal. C’est une honte car ce sont des élus de mon pays natal. Je préfèrerais qu’on fasse de la prévention pour éviter toutes ces conneries. On n’est pas là pour monter un « mur des cons ». 

Vous pensez que ça ne s’améliore donc pas ?

Hélas, les élus, en qui on a confié nos espoirs, nous déçoivent. J’ai la conviction profonde que la corruption est devenue structurelle. Ce qui devrait être l’exception est devenue la règle. L’ère Macron a renforcé le « secret des affaires ». Pour pouvoir instruire une affaire, le pouvoir judiciaire doit demander à Bercy, au pouvoir exécutif, la levée du secret des affaires. C’est la porte ouverte aux escrocs en col blanc qui influent sur les décisions nationales ou européennes. Et le Sénat a lui même constaté que le contrôle de la légalité est devenue une passoire à géométrie variable.

Mon rêve, c’est d’être dissout. On est comme les restos du coeur si tout allait bien, on ne devrait pas exister.

Entretien : Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.