[Écologie marine] La réserve ne suffit plus pour protéger le corail

RENCONTRE AVEC LUCIE PENIN, SPÉCIALISTE DES CORAUX

Les derniers relevés de l’état du lagon montrent que la dégradation du corail s’accélère, y compris dans les sanctuaires de la réserve marine. L’homme, premier responsable de cette perte de biodiversité risque d’en être la première victime. Sans barrière de corail, les vagues pourraient submerger les quartiers littoraux.

Les scientifiques et simples amoureux du lagon réunionnais n’ont pas attendu les alertes mondiales sur le réchauffement climatique pour s’inquiéter de l’état de santé des coraux. Ils ont assisté à leur lente dégradation depuis les années 1980. Ils ont aussi relevé quelques crises plus aiguës que d’autres à l’occasion du phénomène Dipôle de l’océan Indien (équivalent local d’El Niño) et de l’élévation des températures (à la fin des années 1980, en 1998, en 2005, en 2016).

Ces phénomènes se combinent ici à l’impact des activités agricoles et domestiques sur la qualité des eaux pour affaiblir durablement la barrière corallienne. « Depuis le tournant du siècle, on se rend compte que l’élévation des températures met en péril la survie des coraux », explique Lucie Penin, maitre de conférence à l’université, directrice d’un master en écologie marine.

Lucie Penin, directrice d’un master en écologie marine.

Le réchauffement provoque une rupture de la symbiose entre les coraux et les microalgues qui favorisent leur développement. La chair du corail devient transparente et laisse apparaître son squelette blanc. C’est ce qu’on appelle le blanchiment. « Si le stress thermique ne dure pas trop longtemps, le corail va se régénérer. On a pu l’observer sur plusieurs siècles. Mais si les blanchiments se répètent, la régénération devient de plus en plus compliquée ».

Trois états des lieux

Désormais les périodes de dégradation perdurent et la situation est jugée « extrêmement préoccupante ». En tant qu’ « architecte » du récif, le corail n’arrive plus à reconstruire la barrière censée protéger la côte. L’équilibre est rompu face à toutes les forces destructrices que sont la houle, les microbes et autres organismes qui dissolvent le calcaire qui forme le récif.

« La perte du récif corallien provoque la disparition des plages et menace la frange littorale, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur les activités humaines à proximité des plages », indique Lucie Penin. Depuis 2006, les scientifiques ont dressé trois fois l’état des lieux du lagon : en 2006, en 2014 et en 2021. « Au début, le périmètre de la réserve marine était épargné. Ce n’est plus le cas. La réserve n’arrive plus à faire face à l’intensité des perturbations, y compris dans les sanctuaires ».

« On aura de l’eau de mer dans les salons des gens. C’est de cela dont on parle. »

Lucie Penin, docteur en océanologie biologique

Pour la chercheuse, la principale cause vient aujourd’hui des bassins versants (Lire l’interview de Pascale Cuet). Les sols sont imperméabilisés, les eaux chargées d’engrais ou d’effluents domestiques dévalent les pentes sans passer par une phase d’infiltration. Elles se déversent dans le lagon et perturbent l’ensemble de l’écosystème.

Depuis 2011, Lucie Penin mesure le blanchiment des coraux du lagon et des pentes externes.

Résultat, il y a de moins en moins de coraux au mètre carré. Les poissons se raréfient et sont de plus en plus petits. Lucie Penin plonge régulièrement pour ses recherches. Elle cite également les coulées de boues sur Saint-Leu qui se « surimposent » au stress général et qui génèrent des mortalités de 100%. « A la faveur d’un cyclone on va avoir un basculement avec un récif très abimé qui aura beaucoup de mal à récupérer. Des algues prendront leur place. En quelques années, les effets de la submersion marine vont s’amplifier, et de plus en plus souvent. On aura de l’eau de mer dans les salons des gens. C’est de cela dont on parle. »

Inquiet mais pas désespéré

La communauté scientifique est « très inquiète » sur l’avenir des coraux. Mais pas désespérée : « On sait que des bébés coraux arrivent sur les récifs mais, pour remplacer les adultes, il leur faut un milieu de vie adéquat. » Un autre espoir repose sur la mutation du récif réunionnais où se développeraient des espèces de corail mieux adaptées à des eaux plus chaudes, mais il s’agit de corail plus massif « en croute ou en boule » moins favorable à la biodiversité marine que les coraux durs et branchus.

La première préconisation touche à la limitation de l’imperméabilisation des sols et à une meilleure gestion des eaux. Les agriculteurs sont souvent montrés du doigt mais il apparaît qu’un quart des herbicides utilisés sont à usage domestique, dans les jardins. En revanche, il ne faut pas s’imaginer que le corail se « replante », comme le laissent supposer certaines « mesures de compensation » prises pour remplacer les récifs détruits par le chantier de la Nouvelle route du littoral. « On peut replanter des coraux sur 100 mètres carrés. C’est symbolique. Mais ça ne tient pas à l’échelle d’une île », insiste Lucie Perin.

Elle conclut : « Les récifs se transforment et il y a un risque non négligeable qu’ils disparaissent complètement. » Comme en Jamaïque dans les années 1970-1980.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.