Nick Ut

[Édito] L’info, à quoi ça sert ?

Pas de Quotidien ce matin dans les boîtes à lettres des abonnés, ni sur les présentoirs des stations-essence, boulangeries et autres distributeurs. Des dizaines de journalistes de presse écrite au chômage, issus du Quotidien et du JIR. On nous dit que ce n’est pas tout à fait mort ; que des formules de presse « papier » permettront de sauver les meubles, avec un JIR en survivance et un Quotidien amoindri avec un nouveau patron.

La semaine écoulée est à marquer d’une pierre noire pour le journalisme à La Réunion. La presse de papy a vécu. Mais que restera-t-il pour les générations actuelles et futures ? Qui témoignera de leur histoire ? Les replays des télévisions, les podcasts des radios, les archives des sites internet ?

Non, toutes ces traces numériques disparaissent aussi sûrement que nous perdons nos photos familiales dans les limbes des disques durs endommagés et des clouds à 0,99 € par mois. Ce sont les Archives départementales qui risquent aussi de se vider, faute de matière à conserver.

Nourri d’infos immédiates, balayées dans la seconde par le scroll suivant, l’homo sapiens perd sa mémoire sans même s’en rendre compte. Peut-être même qu’il devient bête à manger du foin. À moins que ce soient les vieux nostalgiques qui sucrent les fraises, incapables de s’adapter à l’évolution du monde. Faudrait demander à ChonIA… ou à Chane Pane, qui rêvait de généraliser l’intelligence artificielle avant de se manger un râteau.

En fait, ce débat sur l’évolution, les journalistes de Parallèle Sud le soulèvent à chaque fois qu’ils rencontrent des collégiens ou lycéens pour leur parler d’info. (Faut-il rappeler ici que l’Éducation aux médias est pour l’instant notre première source de revenus ?) Et dans la discussion, nous cherchons à comprendre : à quoi sert un.e journaliste ? À quoi sert l’info ?

Le spectacle de la faillite des deux journaux de La Réunion a bien mal répondu à cette interrogation. Il n’y a été question que d’argent. Et c’est bien normal puisque la scène prenait place dans un tribunal de commerce. L’info, donc, devait se justifier. Elle devait montrer qu’elle permettait de vendre de la pub. Plus il y a de lecteurs ou de cliqueurs et plus la pub se vend cher. D’où l’intérêt de publier un article sur la sodomie d’un tangue

Elle équilibrait les comptes d’un média qui compense le manque à gagner par des suppléments rédactionnels à la gloire des collectivités. Elle a été brandie comme le moyen de protéger les copains et de dézinguer les adversaires. Quand est-ce que tu me verses ma subvention d’aide à la presse, M. Didier, Mme Huguette ou Mme la ministre ?

Mais l’info ne sert pas à ça, racontons-nous aux élèves. Elle sert à faire bouger les lignes à petite ou à grande échelle. Les petites lignes quand un article oblige un service à réparer un égout qui fuit. Elle sert à changer le cours de la grande histoire quand la photo de Nick Ut d’une petite fille brûlée au napalm met fin à la guerre du Vietnam (Photo mise en avant).

L’info, ça sert à dire qu’un chantier du siècle tourne au fiasco (Merci, le Quotidien, à propos de la NRL). Ça sert peut-être à faire tomber les masques comme le propose notre série « la peste » sur la gangrène de l’extrême droite qui se répand sur notre île…

L’info est un droit, mais elle a un prix.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.