CBO TERRITORIA DEMANDE À DÉFRICHER SON « COEUR D’EDEN » POUR CONSTRUIRE DES HOTELS
Le groupe CBO Territoria veut défricher une parcelle de savane de 30 hectares au-dessus de l’Ermitage pour y construire des hôtels d’une capacité de 2 500 personnes. C’est du jamais vu ! La réserve marine évoque un risque « désastreux » pour le lagon, les services de l’Etat et l’ONF s’y opposent… Mais les négociations sont ouvertes pour obtenir une dérogation à l’interdiction de défricher.
Décennie après décennie, la côte Ouest de La Réunion se recouvre de béton. En même temps que les promoteurs immobiliers s’enrichissent, la biodiversité marine s’appauvrit comme le constatent toutes les études scientifiques. Bientôt ce ne sera peut-être plus possible d’artificialiser encore des sols naturels ou agricoles du fait des objectifs de réduction du réchauffement cilmatique. En attendant, on dirait que le mouvement s’accélère.
Nous évoquions récemment le projet du Wood Hotel au milieu de zones protégées du conservatoire du littoral à Trois-Bassins. Le projet « Coeur d’Eden » du géant foncier CBO Territoria est encore plus imposant. C’est le plus gros projet hôtelier jamais porté à La Réunion.
Sur l’étude d’impact datant d’octobre 2022, que nous avons pu consulter, CBO Territoria situe les premières réflexions en 2005. Il s’agissait, ni plus ni moins, de « changer d’échelle en termes de capacité d’hébergement ». Il est question de bâtir sur 30 hectares un complexe hôtelier comprenant 2 ou 3 hôtels à 4 ou 5 étoiles, soit une offre diversifiée (hôtels, villages vacances, résidences hôtelières, etc.) représentant « 600 clés » pour accueillir 2 500 personnes.
Le terrain concerné est encore une savane et se situe juste au dessus de l’Ermitage du côté montagne de l’ancienne route nationale, la RN1A, face au quartier de l’Oeil de Boeuf. Ce projet disruptif de tous les discours de protection de l’environnement a pris tout le temps nécessaire pour avancer. En 2011, le Schéma d’aménagement régional (SAR) a classé le terrain en zone d’urbanisation prioritaire ce que le Plan local d’urbanisme (PLU) de Saint-Paul a confirmé l’année suivante.
Réserve d’eau insuffisante
Au delà de ce zonage en Au2h permettant des constructions en R+2+combles, bien des obstacles restent à lever. Les forages existants ne permettront pas d’alimenter un tel projet en eau potable. Faudra-t-il ponctionner sur l’eau du basculement d’Est en Ouest théoriquement dédiée aux activités agricoles ?
La station d’épuration existante ne pourra pas elle non plus traiter tous ces nouveaux effluents. Ce qui est bien embêtant quand on sait que les scientifiques ont repéré que toutes les molécules provenant des activités humaines sur le bassin versant se retrouvent déjà dans le lagon. L’apparition de nouvelles sources de pollution ou encore l’augmentation conséquente du trafic routier soulèvent d’autres obstacles… Certains ont pu être levés avec l’engagement des collectivités de construire de nouvelles infrastructures. Payées par qui et au profit de qui ?
Face à toutes ces questions, le projet est resté dans les tiroirs de CBO pendant dix ans. Il faut dire que le premier partenaire, le groupe Pierre et Vacances a fini par retirer, en 2016, son programme de « Resort Center Park » qui avait vocation à rester « fermé ». L’idée d’un grand camp de vacances de luxe, réservé aux riches, a fait long feu.
« Projet incompatible avec la lutte contre l’érosion »
En 2020, fort de sa zone à urbaniser, CBO est revenu à la charge « en prenant en compte les nouveaux enjeux environnementaux et l’évolution des usages en matière de tourisme » (dixit son étude d’impact). Le maître d’ouvrage chiffre le nombre de créations d’emplois à 400. De quoi séduire les électeurs et les élus ?
Le 17 octobre 2022, il déposait sa demande de dérogation à l’interdiction générale de défricher qui concerne toute La Réunion. La demande portait sur 17,7 hectares sans compter les zones qui feront l’objet d’aménagements paysagers au prétexte que l’occupation des sols resteraient inchangés. En fait, seuls les talwegs (ravines à sec) et les fortes pentes échapperaient à la tronçonneuse. Bataille de chiffres : Quand la DAAF relève « 95% d’artificialisation du site, CBO assure que l’imperméabilisation n’en représente que 53%.
Les arguments avancés n’ont pas convaincu les services de l’ONF et de la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt. Et encore moins la Réserve marine. Nous avons pu accéder aux échanges entre les demandeurs et les services. Le débat porte prioritairement sur les risques d’érosion, de coulées de boues et d’inondation de la zone de l’Ermitage déjà très vulnérable.
« Un défrichement de cette ampleur aurait un impact irréversible sur la Réserve marine », lit-on. « L’étalement des travaux dans le temps (5 ans au minimum) et les grandes surfaces de terrassement prévues par le projet augmenteront nécessairement les risques liés à l’érosion accrue de la zone ». « La réalisation de la globalité du projet est incompatible avec les objectifs de lutte contre une érosion déjà très présente et la protection d’une zone fortement inondable en aval. » Est également citée la proximité du forage de l’Ermitage et les risque de pollution des eaux destinées à la population.
Les services s’inquiètent également pour la biodiversité présente sur le site ou le fréquentant : le caméléon panthère, le pétrel de Barau, le pétrel noir, le puffin de Baillon, le paille-en-queue, l’oiseau lunette gris, la tourterelle malgache, le petit molosse (chauve souris), etc.
L’arrêté préfectoral attendu d’ici la fin de l’année
En tout cas la première réponse a été de réduire à la portion congrue l’autorisation de défricher. Un document de l’ONF la limite à 0,8 hectare (les zones plates déjà défrichées par le passé) sur les 17, 7 hectares demandés.
Dans ces conditions, il serait impossible pour CBO de mener plus avant son projet. En août s’est donc tenue une réunion regroupant les services de l’Etat, l’ONF, CBO et ses associés. Le promoteur et ses conseils ont questionné le caractère boisé de la parcelle expliquant qu’il s’agirait de plantes invasives sans intérêt. Allant même jusqu’à dire que les replantations prévues dans le projet fixeraient mieux la terre que celles qui seront arrachées.
Cette promesse l’emportera-t-elle face aux calculs hydrauliques qui montrent une augmentation de 50% à 80% des ruissellements en cas de fortes pluies ? L’emportera-t-elle face aux souvenirs des précédentes coulées de boue consécutives à l’urbanisation du Mont Roquefeuille ? Que se passera-t-il pendant les saison des pluies ? Il semble que les débats aient été animés…
La réponse est entre les mains du préfet de La Réunion. CBO espère la parution de l’arrêté de dérogation d’ici la fin de l’année.
Franck Cellier
Quel intérêt d’un hôtel si le lagon disparaît ?
Depuis 2005 — et même avant quand on se souvient des projets de parc d’aventures dans ce même secteur au cours des années 1990 — la zone haute de l’Ermitage les Bains intéresse les promoteurs touristiques. Leur réflexion est simple : 50% des touristes venant à La Réunion vont à la plage. La majeure partie des plages baignables de La Réunion sont dans le secteur où l’offre hôtelière n’arrive pas à satisfaire la demande.
La rentabilité du Coeur d’Eden serait donc assurée… La Réserve marine, dans la réponse qu’elle a faite aux services de l’Etat démonte ce raisonnement. S’appuyant sur les réflexions de son conseil scientifique, la Réserve rappelle que de nombreuses pressions s’exercent déjà sur le lagon et contribuent à la dégradation de son récif corallien. Toute aggravation de ces pressions (érosion du fait de l’écoulement des eaux pluviales et pollution des eaux à cause des activités humaines) vont détruire ce qui est en fait le seul atout touristique de la zone : une zone de baignade appréciée pour l’observation de la faune et de la flore marine. Le Coeur d’Eden risque donc de scier la branche sur laquelle il compte s’assoir.
Le courrier de la Réserve marine énumère toutes les nuisances potentielles du projet de CBO : l’urbanisation, la pollution de l’eau suite à l’imperméabilisation des sols, la modification de l’écoulement des ravines, l’épandage de produits chimiques, les coulées boues qui surviennent de plus en plus régulièrement : « les précipitations souvent fortes durant la période humide ainsi que les tempêtes et les cyclones tropicaux, de plus en plus violents avec le dérèglement climatique puissent impacter durant ces 5 années, les terres défrichées et laissées à nu le temps des constructions, avec pour conséquence un transport de boues, une nouvelle fois de plus vers le lagon, ce qui serait désastreux pour le récif corallien de l’Ermitage. »
« Désastreux », le mot est écrit. Et il ne se limite pas à la seule question du défrichement, mais aussi aux travaux de construction qui suivront et, plus largement, à l’existence même d’un méga-complexe hôtelier au-dessus du lagon.