Depuis plusieurs mois, les tensions sont montées d’un cran au sein de la filière lait réunionnaise. La présidente de la Sicalait, Martha Mussard, a licencié son directeur général, Charles Adrian, pour faute grave, le 9 mars dernier. La suspicion d’une nouvelle maladie dans le cheptel de Martha Mussard est passée par là. Les rumeurs vont bon train dans la filière. Parallèle Sud fait le point pour éclaircir la situation.
Les rumeurs circulent à tout-va au sein de la filière lait. Quelques sueurs froides quand même pour les filières animales de La Réunion quand elles ont appris qu’une nouvelle maladie avait été découverte parmi les nouvelles génisses importées par Martha Mussard au moment de leur vêlage, à la fin d’année 2022. Cette maladie s’appelle la besnoitiose. « Une maladie qui explose en métropole », confie un acteur de la filière viande. La Préfecture, que nous avons contactée, confirme avoir été informée par la Sicalait début février « d’un résultat douteux ».
« On ne peut pas contrôler tout ce qui arrive avec un animal quand il voyage », fait remarquer un ancien éleveur. Les analyses complémentaires s’avèrent toutes négatives. Rebelote sur la deuxième vague de génisses qui vêlent. « A ce jour, nous n’avons donc aucune introduction de maladie bovine déclarée sur le territoire de La Réunion », assure la Préfecture.
Besnoitiose
« Un rapport d’analyses de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de début février a été suivi d’investigations complémentaires toutes négatives également », complète-t-elle.
« Il y a eu une suspicion mais il n’y a rien, ce n’est pas la peine d’aller déclencher une panique sur toute l’île », s’agace Sulliman Moullan, le responsable du département productions animales à la chambre d’agriculture.
Apparemment, l’affaire est bien close. Quand on sait que tous les acteurs concernés (en particulier les autres filières animales) étaient contre l’importation de bovins, non adaptés à l’environnement local, sauf la Sicalait, on comprend que la découverte d’une maladie aurait risqué de créer ou d’amplifier des tensions inter-filières. « Il y avait d’autres moyens moins coûteux et moins dangereux, mais plus longs, pour remplacer les cheptels localement », s’accordent à dire plusieurs acteurs. Ce qui explique sans doute le petit vent de panique qu’a dû ressentir la présidente de la Sicalait au moment de la réception des résultats positifs.
Importations de bovins suspendues
Quoi qu’il en soit, les importations (veuillez utiliser le mot « introduction » pour coller à la convention) de bovins sont pour l’instant suspendues. Deux vagues d’arrivées ont eu lieu depuis le premier atterrissage de ruminants à l’aéroport Roland-Garros le 9 juin 2022. Soit environ 140 vaches réparties sur deux exploitations, dont celle de Martha Mussard. A l’origine, il était prévu de faire rentrer sur le territoire 300 bovins par an, soit environ 1000 sur trois ans.
« L’introduction des bovins va continuer, ça n’a rien à voir avec ce qu’il s’est passé chez Mme Mussard », devance le chargé de la communication de la Sicalait, Jonathan Kemma, proche de la présidente de la coopérative. Il se ravise pour la suite de nos questions, promet un retour par mail. Finalement la Sica Lait nous fera savoir un peu plus tard qu’elle ne souhaite pas nous répondre.
Discours opposés
Il n’empêche que la découverte de la besnoitiose apparaît comme un point de cristallisation de tensions dans la relation cordiale qu’entretenaient jusque-là le directeur général et la présidente de la Sicalait.
Cette dernière reproche à Charles Adrian d’avoir reçu les résultats et de ne les lui avoir communiqués que trois semaines plus tard risquant de mettre en danger la filière. Lui assure avoir pris toutes les mesures nécessaires. Il n’aurait pas non plus respecté la procédure dans le cadre de l’introduction de génisses. M. Adrian indique s’être positionné contre Martha Mussard qui souhaitait obtenir notamment 1800 euros par tête, de la part de la Daaf (Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt) pour ses vaches sorties de son cheptel. Les positions de l’un et de l’autre se confrontent en miroir. « Les deux griefs qui sont évoqués le plus sérieusement du monde sont des griefs qui concernent Mme Mussard à titre personnel », souligne l’avocat de Charles Adrian, Me Normane Omarjee.
Licenciement jugé abusif
La rupture de dialogue s’installe en début d’année. Charles Adrian est placé en arrêt maladie fin janvier. Martha Mussard finira par acter officiellement son licenciement « pour faute grave » en mars après 5 ans d’exercice au sein de la coopérative. Il a décidé de contester devant les Prud’hommes ce licenciement qu’il juge abusif.
La présidente de la Sicalait lui reproche également d’avoir tenté de prendre des décisions seul (travaux, arrangements avec des éleveurs…) sans passer ni par elle ni par le conseil d’administration. Il aurait demandé 200 000 euros pour son départ, ce que lui nie. Charles Adrian parle de son côté plutôt de « problèmes relationnels » avec Martha Mussard.
A qui faire confiance ?
« Aujourd’hui, les éleveurs et d’autres disent qu’elle ne sait plus dissocier la présidente de l’éleveuse », rapporte un éleveur. « Le conseil d’administration est divisé ». En réalité, c’est l’ensemble des éleveurs de la filière qui ne savent plus qui croire, à qui faire confiance. Ils sont invités aux réunions d’informations de Martha puis à celles de Charles. Une nouvelle lettre anonyme (la quatrième ou la cinquième en l’espace d’un an) circulerait entre les mains des éleveurs.
En attendant le malaise continue de ronger les éleveurs. Le 2 mars dernier, un éleveur, à bout moralement, prévient son médecin qu’il va se tuer avec son fusil. Il menace de tuer d’autres personnes. Le lendemain, il a un rendez-vous prévu avec la Sica Lait. Il est hospitalisé sous contrainte alors qu’il passait déposer plainte à la gendarmerie pour un conflit de voisinage.
Ajouter à cette ambiance, l’ouverture d’une enquête pour harcèlement sexuel qui vise le chargé de communication de la Sicalait. Celui-ci ne souhaite pas s’exprimer, il « réserve ses propos aux gendarmes » qui l’ont déjà auditionné.
La justice a aussi entre les mains deux autres dossiers sensibles. Celui d’une éleveuse que nous avions rencontrée en septembre dernier notamment et qui nous avait raconté son aventure avec la Sica Lait sous couvert d’anonymat. Une instruction est en cours.
Enquêtes en cours
Une seconde instruction attaque cette fois sur le champ de « l’escroquerie par personne morale », « association de malfaiteurs » et « tromperie ». Elle concerne la nature, la qualité substantielle, l’origine ou la quantité d’une marchandise. « Des vaches avec des certificats de bon état général ont été vendues aux éleveurs alors qu’elles n’ont pas la prophylaxie exigée. Les trois quarts du temps, elles étaient leucosées », constate Me Amel Khlifi Ethève, l’avocate de plusieurs plaignants. C’est elle qui a porté les dossiers à bout de bras pendant près d’une quinzaine d’années. « Ca m’épuise, j’ai déjà songé à arrêter. On a l’impression que c’est un film. Ca fait froid dans le dos. C’est fou mais ça n’émeut personne. » Une autre enquête enfin, datant de 2015 et portant sur des soupçons d’abus de biens sociaux, n’a jamais obtenu de retour du Parquet.
Pour rappel, le nombre d’éleveurs est en baisse constante ces dernières années. Beaucoup sont dans des situations difficiles. Parfois très endettés et rendus dépendants de la coopérative qui est la seule à acheter le lait produit. La production de lait est en baisse : entre 16 millions et 17 millions de litres de lait produits chaque année. Le seuil d’obtention des subventions européennes est fixé à 15 millions. Les vaches produisant le lait sont toujours majoritairement malades et la circulation des animaux est très encadrée et surveillée.
Jéromine Santo-Gammaire
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