Episode 2 : Kumar et Tharsini : leur fils leur bataille

QUE DEVIENNENT LES IMMIGRÉS SRI-LANKAIS – ÉPISODE 2

Le 31 août dernier, Sameera, un père de famille sri-lankais, a été arrêté dans le centre d’hébergement de la Croix-Rouge pour s’être rebellé et enfermé avec ses enfants. Sa demande d’asile venait d’être rejetée. Il est loin d’être le seul dans cette situation dramatique. Kumar sa femme et ses trois enfants craignent eux aussi chaque jour d’être renvoyés dans le pays qu’ils ont fui. Récit.

« C’est quelque chose qui va revenir »… Dans l’entretien qu’elle a accordé à Parallèle Sud la semaine dernière, Elodie Auzole, présidente du groupe local de la Cimade, association qui accompagne les étrangers dans leurs démarches administratives, expliquait que le cas de Sameera n’était pas isolé. Ce père de famille a été interpellé en état de choc le 31 août dernier, accusé d’avoir séquestré ses enfants et vandalisé les locaux de la Croix-Rouge. Il était désespéré après avoir reçu son avis d’expulsion.

Parmi les quelque 120 demandeurs d’asile sri-lankais arrivés à La Réunion comme « boat people » en 2018 et 2019, ils seraient nombreux à être en bout de procédure. Les rejets en appel sont tombés, les arrêtés d’expulsion suivent.

Parmi eux Kumar, son épouse Tharsini et leurs trois enfants, vivent au septième étage d’une tour de la SHLMR du Butor. L’infatigable militant Jean-Paul Panechou, a organisé leur soutien par le biais de l’association Ansamb OI. Il nous ouvre la porte d’un appartement presque vide de meubles.

Un enfant lourdement handicapé s’agite sur une poussette. Sajanan est son nom, il a 11 ans. Il ne fait pas du tout son âge. Il souffre de la maladie de Hunter. Son père pianote sur son smartphone et nous tend la traduction en français : la maladie dégénérative touche de nombreux organes : le foie, la rate, le coeur, le cerveau, les os. La croissance de l’enfant s’arrête vers l’âge de 3 ans. Dans les cas graves, l’espérance de vie ne dépasse pas 12 ans.

Tharsini fait écouter de la musique à Sajanan pour le calmer.

« Google Traduction » à la rescousse

La communication est difficile. Les mots de français sont rares, prononcés à seulement trois occasions. « Couches » : dans l’absolu il faudrait en acheter pour 170 euros par mois quand la famille ne perçoit que 100 € en liquide, le reste de l’ADA (allocation pour demandeur d’asile) est distribué sous forme de tickets alimentaires. « Merci beaucoup » parce que c’est la formule obligée. 

OQTF, ces quatre lettres représentent l’horreur absolue pour tout demandeur d’asile.

Et « OQTF » parce que ces quatre lettres représentent l’horreur absolue pour tout demandeur d’asile. Obligation de quitter le territoire français. Kumar a reçu la sienne le 5 août dernier.

L’anglais n’est guère plus efficace. Mais Kumar et Tharsini ont tant à dire. Alors « Google traduction » surgit à la rescousse. Sur l’écran du téléphone, l’alphabet tamoul se transforme en ABCD, une voix synthétique reprend une histoire déjà cent fois racontée. Le plus souvent à des fonctionnaires peu enclins à la compassion. Glacial dialogue que celui réservé aux migrants…

Glacial comme cette décision de rejet, signée à Fontenay-sous-Bois, par un « chef de section d’appui » au nom du directeur général de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Il y est écrit que lors de son entretien en visioconférence Kumar avait été « imprécis », « approximatif », « peu consistant », « sommaire », « sans élément plausible »… Eh oui, il n’avait pas ému l’officier et n’avait pas produit les preuves des mauvais traitements, des discriminations, de l’acharnement policier dont il se disait victime ou des brimades qui s’abattaient sur son enfant handicapé. A travers un écran et par l’entremise d’un traducteur inconnu, la mission-séduction était d’emblée impossible.

Le douloureux héritage des Tigres tamouls

Et quelles preuves pouvaient-ils apporter? Il a fait témoigner le prêtre du pensionnat au sein duquel il avait été scolarisé. Ça n’a pas suffi. Le fait qu’il avait dû s’enfuir déjà pendant 5 ans en Arabie saoudite n’a pas non plus convaincu l’administration française.

Son histoire est celle des minorités opprimées. Ses frères et son cousin servaient au sein du mouvement des Tigres tamoul, le LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam) durant la guerre civile qui s’est achevée en 2009. Il avait réussi à faire passer son cousin, un officier de liaison du LTTE, à travers les barrages des militaires au pouvoir. Depuis, les policiers du CID (Criminal investigation department) ne cessent de l’interroger régulièrement pour savoir ce que deviennent ses frères et cousins, enfuis en Australie, ou sa mère, réfugiée en Indonésie.

Kumar a pourtant tenté de trouver sa place dans un pays qui lui devenait hostile. Il était pêcheur dans son village d’Oluvil jusqu’à ce que le port s’ensable. Les musulmans du village voisin ont refusé les travaux de désensablement. Les deux communautés ont manifesté et se sont affrontées. Kumar s’est fait molester lorsqu’il a tenté de déplacer son activité de pêche dans le village rival. Les policiers sont passés chez lui, une bagarre a éclaté et Kumar, menacé d’arrestation imminente, a préféré fuir avec femme et enfants.

Un couple catholique-hindou montré du doigt

« On a pris l’avion jusqu’en Indonésie puis nous avons acheté nos places dans un bateau pour La Réunion, nous avons tout vendu, notre maison, nos affaires », raconte le mari. « C’était un bateau en très mauvais état, se souvient son épouse. La traversée a duré 18 jours. On n’avait plus d’eau et plus de nourriture ».

Au fil du récit, il apparaît que que les tensions politiques et communautaires ne sont pas les seuls moteurs de la fuite. Kumar était aussi discriminé pour sa religion catholique autant que pour son mariage avec une hindoue. Chez lui, il est très mal vu de bâtir un couple mixte.

Surtout, la maladie de Sajanan obligeait les deux parents à rechercher des soins dignes de ce nom. Ils ont trouvé à La Réunion un suivi médical inexistant dans leur région où les maladies orphelines ne sont quasiment pas traitées.

« C’est la première raison pour quitter le pays », lance le papa. La maman ressort le dossier médical de Sajanan. Ici, il est pris en charge. Elle montre le papier de l’hôpital d’enfant de Saint-Denis. Le prochain rendez-vous est fixé au 18 janvier 2022. La Sécu aussi confirme sa prise en charge jusqu’à l’année prochaine. Mais ce sera automatiquement renouvelé pour les années suivantes. À moins que l’avis d’expulsion ne soit exécuté.

« Il n’y a que la musique qui le calme » 

« Qu’est ce que je fais si la police frappe à ma porte? Nous vivons dans la peur ». Le document reçu le 5 août dernier est catégorique : Kumar pourra être reconduit d’office à la frontière après un délai de 30 jours. Si tel est le cas, la petite dernière, Ritika, 2 ans, n’ira jamais à l’école française. Elle est pourtant inscrite pour la rentrée de janvier prochain. Son frère Devesh, 5 ans, en sera retiré… Et personne ne pose les mots sur ce qui attendrait alors Sajanan.

« Qu’est ce que je fais si la police frappe à ma porte » ?

Pour éviter ce scénario Kumar a formulé un recours contre son OQTF. Le tribunal administratif l’examinera dans les semaines à venir. Son avocat, Me Yannick Mardenalom, entend obtenir gain de cause en demandant à ce que la famille bénéficie d’une carte de séjour au titre de l’accompagnement d’un enfant malade.

Kumar avait déjà obtenu cette carte de séjour pour enfant malade pendant six mois mais elle n’avait pas été reconduite parce que son dossier s’était perdu lors du remplacement du responsable de la Croix-Rouge qui accompagnait la procédure. La bévue fait encore frissonner la maman, pourtant elle répète : « merci beaucoup ».

Elle pianote sur son téléphone, ferme l’application « Google traduction », lance une musique sri-lankaise, et tend l’appareil à Sajanan. L’enfant s’en empare, le colle à son oreille. Pour la première fois depuis une heure et demie, il sourit. Il danse presque sur sa poussette. « Il n’y a que la musique qui le calme ».

Franck Cellier

Jean-Paul Panechou fait le lien entre la fuite des migrants du Sri-Lanka et « le coup d’État » des frères Radjapaska, maoïstes, au pouvoir. Depuis leur accession au pouvoir les nouveaux maître du pays mènent, selon lui, une politique d’exclusion vis-à-vis des tamouls, des musulmans et des catholiques. « Ils veulent faire une communauté maoïste radicale, extrémiste. Une enquête les accuse d’un crime sur un millier de personnes », affirme le militant humanitaire.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.