🔎

[La peste] Pourquoi Jean-Hugues Ratenon ne fait jamais barrage

8 / RENCONTRE AVEC LE DÉPUTÉ SORTANT DE LA CIRCONSCRIPTION DE L’EST

Il est le premier homme politique interviewé dans la série sur la peste parce que son positionnement vis-à-vis de la montée de l’extrême droite est singulier. Le député sortant Jean-Hugues Ratenon, étiqueté France Insoumise et candidat à sa réélection, n’a jamais appelé à faire barrage. Ça lui est souvent reproché et ça mérite donc quelques explications…

Le député sortant et dissous, Jean-Hugues Ratenon, devrait défendre les couleurs du front populaire lors de l’élection législative de la deuxième circonscription. Il se distingue pour n’avoir jamais appelé faire barrage contre l’extrême droite. Il estime que ce serait contre-productif tant qu’on ne propose pas de vraies solutions aux électeurs en détresse.

« Le vote pour Bardella est une leçon donnée au barrage de 2022. C’est une leçon donnée, pas seulement à Macron, mais à l’ensemble des organisations politiques. C’est une façon de dire : vous ne nous avez pas entendus, vous ne voyez pas notre détresse », analyse-t-il. « Faire barrage, c’est comme si vous insultiez les gens sans leur donner de solution. »

Pour lui, tous les fâchés qui votent Le Pen ou Bardella ne sont pas les fachos. Pourtant, il voit dans le rassemblement national de nombreux signes qui démasquent son caractère d’extrême droite. Comme l’omniprésence de gardes du corps musclés, signe de « l’autorité par la force ». Lui, qui se revendique comme venant de la foule des fâchés a vu peu à peu la vague brune monter autour de lui, dans les quartiers populaires, y compris parmi d’anciens militants communistes…

Ambiguïté sur la « violence importée de Mayotte »

Il compare les électeurs du RN à des gens qui se noient et sont prêts à s’accrocher à n’importe quelle bouée. Même à du fil barbelé si aucune main ne leur est tendue. « L’arrivée au pouvoir du Rassemblement national ne leur pose pas de problème car, dans leurs têtes, ça ne peut pas être pire qu’avec ce gouvernement-là. »

« Entre la droite réactionnaire et la gauche molle qui déçoit, les gens sont partis vers le Front National qui n’avait jamais été au gouvernement. »

Il voudrait démontrer que le groupe du Front populaire ne se contente pas de sanctionner la politique d’Emmanuel Macron car il apporte des solutions sociales, de gauche. La mission est cependant difficile à cause du souvenir du mandat de François Hollande. « Cette gauche a fait une politique de droite », assène-t-il. « Entre la droite réactionnaire et la gauche molle qui déçoit, les gens sont partis vers le Front National qui n’avait jamais été au gouvernement. »

Le Rassemblement national remporte des suffrages, sans même faire du porte-à-porte comme les autres partis. Alors comment faire campagne ? A la question de l’ambiguïté de certains de ses propos sur l’insécurité et sur « la violence importée de Mayotte », l’entretien se tend. « Je sens que c’est orienté », reproche-t-il. Mais il faut bien aller au fond des questions.

Le « racisme social » de Macron

Jean-Hugues Ratenon relève l’engouement médiatique et la responsabilité de ces « médias populaires » dans l’exploitation des thèmes chers à l’extrême droite. « J’ai dit, c’est une violence importée de Mayotte, à aucun moment je n’ai dit que ce sont les Mahorais qui sont violents. Le responsable c’est le gouvernement qui a laissé pourrir la situation et qui vient aujourd’hui avec des matraques. La répression n’est pas la solution. » « Ce n’est pas du tout mon orientation de stigmatiser les Mahorais. Moi, j’ai des amis mahorais. »

De même le député sortant dément tout rapprochement idéologique avec le maire RN de la Plaine-des-Palmistes. « S’il est venu à l’une de mes réunions, c’était avant qu’il ne rejoigne le Rassemblement national. Johnny Payet a suivi l’évolution de son électorat. Ce que je ne fais jamais. Je ne suis pas l’évolution de mon électorat, je garde ma ligne. Je ne suis pas un opportuniste ! » Pour lui, Johnny Payet « n’a rien de xénophobe » et n’est pas conscient de l’erreur d’étiquetage dont il s’est lui-même affublé.

S’il se refuse à évoquer les conséquences d’une extrême droite au pouvoir pour ne pas stigmatiser les électeurs du RN, Jean-Hugues Ratenon n’est pas avare d’exemples pour dénoncer le « racisme social » d’Emmanuel Macron vis-à-vis des chômeurs, des « gens qui ne sont rien » pour reprendre un terme du président de la République. 

« Le bon côté de cette dissolution, c’est que ça crée un espoir porté par le front populaire », conclut le député sortant.

Entretien : Franck Cellier

Tendu

Si l’entretien s’est tendu sur les questions de l’attitude à adopter vis-à-vis du Rassemblement national, c’est bien évidemment parce que le député dissous est en campagne et que sa « non-agression » vis-à-vis des électeurs de l’extrême droite peut lui être reproché comme un « pacte » implicite.

Il risque d’avoir face à lui un autre candidat de gauche, soutenu par le maire de Saint-Benoît, Patrice Selly, qui accuse Jean-Hugues Ratenon de se préparer à l’affronter lors des prochaines élections municipales. Ses propos et son positionnement seront âprement critiqués si les enjeux locaux l’emportent sur la ligne nationale d’union sacrée du Front populaire. En plus le candidat du RN, Joan Doro, 4e adjoint du maire de la Plaine-des-Palmistes, met les pieds dans le plat en affichant sur Zinfos 974 son « respect immense pour Jean-Hugues Ratenon »

S’ajoute également l’état d’esprit de l’opinion publique des électeurs de la 5e. Même si ça ne fait pas office de sondage, le report des résultat des européennes (réalisé par le journal le Monde) montre que les idées du Rassemblement national battent les records départementaux avec près de 40% des voix et que LFI plafonne à 18%. Bien sûr, la personnalité des candidat à l’élection législative va pondérer ces tendances, n’empêche…

Projection des résultats des élections européennes sur la 5e circonscription par le Monde.

Enfin, la situation de détresse de la population que décrit Jean-Hugues Ratenon dans l’interview est confirmée par un sondage réalisé du 7 au 17 mai par Sagis Groupe pour le compte de Groupama OI sur 500 individus représentatifs des habitants de La Réunion.

Cette étude dessine une Réunion à 85% inquiète quant à l’évolution de sa situation économique et sociale. 70% des personnes interrogée se disent également inquiètes pour l’évolution de leur qualité de vie et de celle de leurs familles. Et 81% pensent que la situation économique et sociale de La Réunion s’est dégradée au cours de la dernière année.

Derrière le pouvoir d’achat qui fait partie  des trois premières préoccupations de 59% de Réunionnais, suivent l’insécurité et la délinquance (50%), le chômage (32%) et le logement (27%)… Bref, l’électeur a peur pour sa peau. Et la peur n’est pas bonne conseillère.

Sondage réalisé par Sagis pour Groupama OI.
Sondage réalisé par Sagis pour Groupama OI.
Sondage réalisé par Sagis pour Groupama OI.

F.C.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.