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[OQTF] Les méthodes « déloyales » du nouveau Groupe de recherche des étrangers

ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE

Il y a Wuambushu à Mayotte. À La Réunion, le renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine s’est traduit par la création d’un Groupe de Recherche des Étrangers au sein de la Police aux frontières. Comme à Mayotte, cette nouveauté a connu des ratés au démarrage, le juge des libertés ayant considéré ses méthodes comme « déloyales » dans au moins trois affaires. 

Difficile de ne pas y voir une « extrême-droitisation » des esprits. Les mesures naguère proposées par le seul Front National pour lutter contre l’immigration clandestine ont le vent en poupe en cette année 2023. La lutte s’intensifie et la majorité macroniste se voit prise au piège de la radicalisation des députés Les Républicains pour faire adopter sa loi « Immigration ».

Ceux-ci proposent entre autres la suppression de l’AME (aide médicale d’Etat), mais aussi le rétablissement du délit de séjour clandestin (supprimé sous François Hollande en 2013), la dérogation au droit européen et la possibilité d’organiser un référendum sur la politique migratoire (Source : Le Monde du 23 mai).

Il faut croire que l’opinion publique en demande… C’est ainsi qu’a été imaginée l’opération Wuambushu à Mayotte. Et La réunion ? A-t-elle aussi eu droit à sa mesure spécifique ? La réponse est « oui » avec la création au début de l’année d’un Groupe de Recherche des Étrangers. C’est en tout cas sous cette appellation que l’initiative a été présentée aux responsables locaux de la Cimade, association indépendante chargée d’accompagner les étrangers dans leurs démarches administratives.

police aux frontières
6 policiers forment le nouveau GRE (Groupe de recherche pour l’exécution des mesures d’éloignement).

Aujourd’hui, la préfecture explique que ce GRE est « une unité spécialisée de 6 personnes créée récemment pour améliorer l’exécution des décisions des autorités administratives et judiciaires en matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière ». Et sa dénomination officielle est « groupe de recherche pour l’exécution des mesures d’éloignement ». Comme quoi la mise en place est un peu évolutive.

Le fichage pose questions

Ce GRE apparaît comme une réponse directe à l’émoi qu’avait provoqué en octobre dernier le meurtre de la petite Lola par une Algérienne sous le coups d’une OQTF (Obligation à quitter le territoire français). Il s’agissait en fait d’un acte de démence. L’émission « La Fabrique du mensonge » sur France 5 a disséqué comment l’extrême-droite s’est saisie sans vergogne de l’affaire. 

À l’Assemblée, avant même que la victime ne soit inhumée, Marine Le Pen avait lancé : « Trop de crimes et de délits sont commis par des immigrés clandestins que l’on n’a pas voulu ou pas su renvoyer chez eux ». Le ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti avait jugé le détournement « honteux » mais Olivier Véran, porte-parole du gouvernement avait vite assuré : « Nous devons faire mieux pour que les OQTF soient suivies d’effets »

Nacima Djaffour, avocate.
Nacima Djaffour, avocate, s’inquiète des méthodes employées par la nouvelle brigade de la PAF.

Quelques semaines après, le GRE apparaissait à La Réunion. Et ces premières actions ont de quoi inquiéter les personnes en situation irrégulière. Nacima Djaffour, l’une des avocats spécialisés dans le droit des étrangers, rappelle qu’être sans papier n’est pas un délit et ne peut donc pas faire l’objet d’arrestations ciblées.

Policiers ou facteurs ?

Elle a vu le nombre de placements en Centre de rétention administrative (CRA) exploser et s’interroge sur une liste d’étrangers recherchés qui est apparue depuis deux mois dans les procès verbaux de la Paf lors des audiences devant le juge des libertés et de la détention (JLD) : « Nous sommes sur un fichage systématique de personnes étrangères. On ne sait pas dans quelles conditions cette liste a été établie ni qui y a accès ».

Le 5 mai dernier, la compagne enceinte d’un sans-papier dénonçait des méthodes de la police s’apparentant à une « traque ». Son compagnon ayant été interpelé dans la rue avant d’être libéré par le JLD. Elle relatait que les policiers se font passer pour des facteurs. « Ils font croire aux gens qu’ils ont un colis pour eux et c’est comme ça qu’ils arrêtent les gens », rapporte-t-elle dans un article de Zinfos974.

Cet emploi de la ruse réjouira sans doute les partisans du renvoi systématique des étrangers chez eux mais il est déloyal. « Et ce n’est pas la Cimade qui s’emballe en parlant de procédés déloyaux, précise Élodie Auzole, présidente de la Cimade-Réunion, mais c’est le terme juridique employé par le JLD dans les ordonnances qui libèrent les étrangers arrêtés dans ces conditions »

« Zèle incompréhensible »

L’argument de la déloyauté n’est pas systématiquement entendu, car les policiers se défendent d’avoir contrevenu à leur déontologie. « Les éloignements sont effectués en application et dans le respect de la loi », assure la préfecture. Mais dans trois affaires, cette déloyauté a été retenue ce qui a permis à trois personnes expulsables de rester à La Réunion. Charge à leurs avocats ensuite de faire annuler l’OQTF qui pèse sur elles devant le tribunal administratif…

Elodie Auzole présidente de la Cimade-Réunion-Mayote
Elodie Auzole présidente du groupe local de la Cimade dénonce l’empressement à créer un groupe de recherche des étrangers dans une île où l’immigration clandestine reste marginale.

Ces exemples illustrent toute les subtilités du droit dans l’exécution des OQTF qui ne demeurent « exécutoires » que pendant un an. Le nouveau GRE a également recours à des « retenues administratives » de 24 heures maximum qui permettent d’organiser une expulsion sans que les avocats puissent intervenir. Là aussi il y a débat quant à la régularité de ces « RA ».

En tout cas, la création du GRE a déjà produit des effets sur le nombre de placements d’étrangers en CRA. Il y en a eu 15 depuis le 1er janvier contre 12 sur toute l’année 2022. « Désormais il ne s’agit plus seulement des étrangers sortant de prison, explique Élodie Auzole. On assiste à un vrai durcissement de la politique nationale voulue par Darmanin. On ne comprend pas qu’à La Réunion, on fasse du zèle » ! 

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.