Rester, partir, revenir…

[HISTOIRES DE MAFATE, ÉPISODE 2 : QUEL AVENIR POUR LES ENFANTS DE ROCHE PLATE]

La beauté et la tranquillité de l’îlet ne compensent pas toujours le manque d’eau, la précarité économique, les contraintes réglementaires et, surtout, le déchirement des familles lorsque l’enfant doit quitter le cirque pour aller au collège.

Maryline et Suzie accompagnent Jules à la sortie de l’école et s’inquiètent pour son passage au collège l’année prochaine.

Nous vous avons raconté la semaine dernière comment une parcelle de Roche Plate a vu pousser la première maison en dur du cirque de Mafate. L’idée d’utiliser des parpaings ne viendrait pas à l’esprit d’Erick Petit de la Rodière qui conduit actuellement les travaux de la nouvelle école de l’îlet saint-paulois. Lui, qui compte chaque kilo de matériaux, préfère utiliser le bois, plus léger, et donc moins coûteux à héliporter.

Cette question de parpaings soulève bien d’autres problèmes que les calculs de coûts… Elle ouvre le plus vaste débat du présent et de l’avenir du cirque : tradition, modernité, interdictions, autorisations, liberté de vivre, de rester, de partir… Quelques-uns en parlent ouvertement, beaucoup préfèrent donner leur impression sous couvert d’anonymat. Il vaut mieux ne pas froisser les autorités qui veillent sur un territoire où la quasi totalité de la population vit sous le statut des concessions…

« On a quand même l’impression que tout est fait pour nous inciter à partir. Ils nous interdisent tout et facilite notre installation dans les bas », glisse un père de famille étonné de voir des Mafatais obtenir des logements sociaux en quelques semaines sur la côte alors que les demandes des autres familles attendent des années.

Il y a mille raisons pour quitter le cirque

La professeure de l’école, Sabine Munoz, a atterri à Roche Plate en 1995 et n’en est plus jamais partie. Enseignante et mère de famille, elle a vu des tas d’allers et de retours : des classes qui s’ouvrent et se ferment au gré des aléas. « Son » école comptait deux classes quand elle est arrivée, puis une seule entre 1997 et 2010, et à nouveau deux classes entre 2010 et 2020. Pourquoi l’école s’est-elle à nouveau vidée cette année-là ? Le Covid n’explique pas tout. Ni le risque d’éboulement et la fermeture du bâtiment en novembre 2020.

Il y a mille raisons pour quitter le cirque… et autant pour y (re)venir. Romain Thomas, alias « Ton Romain » raconte comment son précédent îlet, l’let à Cordes, s’est vidé il y a près de quarante ans : Il y avait un risque d’éboulement mais aussi, dit-il : « Navé pwin dlo, navé pwin d’téléfon, si i ariv in mor pandan in siklon’, koman i fé »? Et actuellement : « Quel avenir auront mes enfants si on ne peut plus construire », s’interroge un gîteur à propos des contraintes qui pèsent sur les permis de construire.

Romain Thomas a vécu l’évacuation de son ancien îlet, Ilet à Cordes, en 1980.

Il y a deux ans, l’école s’est donc vidée puis un arrêté en a interdit l’accès. De l’autre côté du sentier, le dispensaire de santé est lui aussi fermé, envahi peu à peu par les herbes folles. « Des squatteurs risquent d’occuper ces bâtiments qui vont devenir des verrues paysagères, explique Janik Payet, responsable du secteur Ouest pour le Parc national. C’est une problématique dont il va falloir s’occuper après la construction de la nouvelle école ».

« Ils nous ont promis un parking gardé au Maïdo »

La reconstruction de l’école amène un peu de travail. Un premier bâtiment est sorti de terre. Il a été érigé en un temps record. Il s’agit du logement de fonction mais la maîtresse, qui habite sur place, n’en a pas besoin. La dizaine d’enfants (de petite section au CM2) a rapidement investi les lieux après quelques mois d’errance. Dans un premier temps, fin 2020, les cours étaient donnés provisoirement dans la petite église. Mais ce mélange du sacré et du profane était peu apprécié alors les écoliers se sont déplacés à quelques mètres sous un kiosque, lui aussi provisoire. « On a vécu des moments difficiles, sans eau et sans électricité, à la merci du vent et de la pluie », confie la professeure.

La future école verra-t-elle le retour des enfants? Aucune certitude à ce sujet. L’attachement à Mafate, son histoire et la vie au grand air, se cogne à la précarité économique de chaque îlet. Un détail suffit parfois à tout compromettre. Un qui perd le droit d’accueillir des touristes parce qu’il n’a pas rempli son obligation vaccinale. Un autre obligé de trouver une nouvelle parcelle car la sienne est menacée d’éboulement. Un énième cambriolage de voiture au Maïdo qui finit par décourager le visiteur comme l’habitant.

Edmond Merlin roule de grands yeux de colère contre les élus : « Ils nous ont promis un parking gardé comme au Col des Boeufs mais on ne les voit jamais entre les élections ». Pour Jean-René Hoarau, gîteur et boutiquier, un vrai parking au Maïdo donnerait de l’emploi à un ou deux Mafatais et permettrait à Roche Plate de se développer au même rythme que la Nouvelle.

« Il n’y a pas de volonté politique pour nous aider » : le reproche réapparaît dans toutes les conversations. A l’entendre, Jean-René, il la construirait lui-même la route qui désenclaverait Mafate. Dur au travail, il passe sa vie dans ses champs ou dans les ravines à réparer sans cesse un réseau d’eau toujours plus ingrat à cause d’une sécheresse qui se serait accentuée ces vingt dernières années.

La légende de l’autonomie alimentaire

Un sacré problème que celui de l’irrigation ! « Il y a au moins 10 associations qui ont essayé d’amener l’eau. Mais c’est insoluble parce qu’il y a toujours plus de sanitaires », s’énerve le planteur. Lucide, il conclut : « De toute façon Mafate vit grâce à nous, les Mafatais, grâce aux touristes et grâce aux hélicoptères ».

L’autonomie alimentaire n’est ici qu’un leurre, une légende. Dans le partage de l’eau, l’agriculture arrive bien après les besoins domestiques grandissants. Les parcelles à cultiver se réduisent à peau de chagrin : elles ne sont plus concédées en hectares, mais en mètres carrés. Lors du premier confinement en mars et avril 2020, il avait fallu organiser des héliportages humanitaires pour nourrir les îlets désertés autant par les touristes que par les habitants ayant un point de chute sur le littoral.

Piloter un hélicoptère : l’objectif de la vie de Bruno.

Les rêves des adolescents, en âge de penser à leur futur, se tournent vers tout autre chose que les champs de maïs ou les petits élevages. « Je travaille à l’école et au gîte de mon père mais j’économise tout ce que je gagne pour payer mon brevet d’hélicoptère, confie Bruno Thomas, 20 ans. Ma formation coûte 25 000€, c’est mon seul objectif. Je prendrai le temps qu’il faut pour l’atteindre ». « Ma fille est partie sur le littoral poursuivre ses études. Mais elle veut revenir pour ouvrir le premier salon de coiffure et d’esthéticienne de Roche-Plate », se félicite sa maman Suzie. 

Le déchirement du passage au collège

Comprenons bien que « les études » — c’est-à-dire le moment où l’enfant quitte la case de maman — commencent dès la 6ème, à 11 ans. Ce passage est vécu comme un déchirement tant pour l’enfant que pour sa famille et il est l’une des causes des départs de Mafate. « On est placé dans des familles d’accueil. Elles sont payées pour ça mais elles n’assurent pas. On n’y mange pas à sa faim ». Le reproche paraît étonnant, il est pourtant récurrent. Les familles d’accueil ont mauvaise réputation.

« Nous avons eu 8 enfants, et nous avons préféré les mettre dans un internat. Seul le collège de Piton Saint-Leu en propose un », relate une maman. Leur rendre visite relève d’une expédition de deux jours entre la marche et les transports publics qui desservent très mal les abords du cirque. Souvent, un collégien mafatais ne voit ses parents que pendant les vacances.

Le risque d’échec et de déscolarisation est alors bien plus fort que celui d’éboulement massif. Pour y faire face les familles s’organisent et déménagent. Il n’y a pas toujours une grande soeur ou une tante de confiance pour accueillir le collégien. « Notre souhait serait qu’on construise un collège dans le cirque de Mafate, s’exclament Suzie et Maryline. Ou alors il faudrait un collège à Saint-Paul ou à la Possession pour tous les Mafatais avec un internat gardé par des Mafatais ».

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.